Au XIè siècle, le moine Guido d'Arezzo (992-1033) a l'idée, pour nommer les notes de la gamme, d'utiliser les syllabes d'un hymne liturgique fameux, l'hymne des vêpres de la fête de la Naissance de saint Jean-Baptiste. En, aviez-vous entendu parler ?
Cet hymne en latin est écrit en strophes de forme
sapphique : les trois premiers vers, composés de deux hémistiches (de cinq et
six pieds, respectivement), sont complétés par un quatrième vers, plus court,
de cinq pieds. Guido d'Arezzo a utilisé la première syllabe de chacun des six
premiers hémistiches de l'hymne (ut re mi fa sol la) pour son système de « solmisation »,
je vous renvoie à Wikipedia. Ce système ne fait pas correspondre exactement un
nom à une note, mais donne une position dans l'hexacorde.
Ut queant laxis
Re sonare fibris
Mi ra gestorum
Fa muli tuorum,
Sol ve polluti
La bii reatum,
Sancte Iohannes.
Oui, c’est une hexacorde, 6 cordes, ll n’y a pas encore de si, mais sa ! Ou plutôt Si
est composé des deux initiales de Sancte
et Iohannes au XVIèS.
Quant à do remplaçant ut, il
viendrait du mot « do » du à Giovanni
Maria Bononcini, au 17è siècle, qui l'aurait formé d'après la première syllabe
du nom du musicien italien Giovanni Battista Doni ; cela est cependant controversé, car le do est déjà attesté chez Pierre l'Arétin en 1536, c'est-à-dire
bien avant la naissance de Doni. Le nom ut
est cependant conservé dans les termes techniques ou théoriques. Ainsi, on
parle par exemple de trompette en ut,
de clé d’ut, de contre-ut pour le chant ou de concerto en ut mineur.
L'utilisation de rimes internes
(« laxis » « fibris », « gestorum » « tuorum ») complique légèrement le sens du
texte, comme c'est fréquemment le cas dans les hymnes liturgiques latines. En
guise d'introduction aux strophes subséquentes qui décrivent le récit
évangélique entourant la naissance de Jean, la première strophe sert
d'invitation aux chantres avec la traduction :
« Afin que tes fidèles puissent chanter les merveilles de tes gestes
d'une voix détendue, nettoie la faute de leur lèvre souillée, ô Saint Jean. »
Tout cela ne doit pas nous faire
passer à côté de l’essentiel : s’il y a hymne à Saint Jean Baptiste, c’est
à cause de l’importance de ce Saint :
Saint Jean le Baptiste est
désigné aussi par le titre de Précurseur ; d’Envoyé, ou de Témoin. Ce prêcheur du désert avec sa tunique en poils de
chameau, que la tradition ésotérique et iconographique a parfois remplacé par
une toison d’agneau ou de bélier vierge, est présenté comme un ascète, qui sera
décapité par Hérode pour amadouer Salomé. Ca y est : nous nous retrouvons
à Saint-Bertrand de Comminges où auraient été exilés : Salomé ;
Hérode, et aussi sa femme Hérodiade ! Baptiste est présenté comme une
figure de l’incorruptibilité, de l’indépendance de pensée, mais aussi du renoncement. N’est-il pas celui qui a dit de Jésus : « Il faut qu’il croisse et que je diminue », et aussi : « Il vient après moi celui qui est plus
grand que moi. Je vous baptise d’eau, il vous baptisera de feu et du Saint
Esprit ».
à gauche avec l'agneau. De sa main droite, il désigne l'enfant Jésus au centre : "voici l'Agneau de Dieu" |
Sa fête le 24 juin, jour du
solstice d’été, rend bien compte de ce rôle de Précurseur, qui reconnaît
humblement ne pas être le Messie, mais celui qui prépare sa venue. En effet, ce
jour-là, le soleil est à son apogée, à ce point culminant après lequel sa
lumière commencera à décroître, comme Jean Baptiste devant le Maître qu’il
annonce.
Comme le dira de lui précisément
le deuxième Jean, l’Evangéliste : « Il
n’était pas la lumière, mais il vint pour rendre témoignage à la lumière ».
Il est la figure symbolique qui donne une représentation du Feu Principe, de la
Lumière, qui n’est pas la Cause Première mais son émanation, comme le Feu du
Buisson Ardent qui manifeste la présence de Dieu à Moïse, ou les flammes de
Pentecôte qui rendent sensibles la descente du Saint Esprit, avec ses dons qui
sont en priorité Intelligence, Connaissance et Amour.
C’est ainsi que Jean Baptiste est
devenu le cœur de la célébration du solstice d’été, au milieu de l’embrasement
des feux, rituel qui a des racines dans les plus antiques traditions, en Inde,
en Iran, en Egypte, avant de passer en Grèce dans les Mystères d’Eleusis ; les
feux de joie de la fête de Jupiter Stator à Rome ou du culte de Mithra. Il est
vécu comme tel au Val d’Aran si proche de nous.
Plus proche de notre symbolique,
il faut évoquer les feux de la fête solaire associé au mythe
d’Héraclès-Hercule, dont les 12 travaux représentés à Martres Tolosane dans la
villa Chiragan sont assimilés dans certaines traditions, à la marche du soleil
dans les 12 Signes du Zodiaque, le 12e travail correspondant au solstice d’été
: Héraclès cueille les pommes d’or des Hespérides, avant de se laisser piéger
en revêtant la tunique imprégnée du sang du Centaure Nessus, qui va lui
communiquer le feu de son poison, poussant le héros à se faire brûler sur un
bûcher d’où, purifié, il accèdera à l’immortalité des dieux.
au musée st Raymond : Hercule et l'hydre de Lerne (2è travail) |
si l'on devine les pommes du jardin des Hespérides, il ne reste plus grand chose d'Hercule (12è travail) |
pas terrible ma photo : à nouveau l'hydre de Lerne |
et ici ? non ce n'est pas le lion de Némée (1er travail).. alors ? |
Ce mythe a pris de l’importance
dans la Gaule méridionale, où Héraclès a été pris comme divinité tutélaire par
les tailleurs de pierre, ce qui en fait dans l’Antiquité une sorte de
préfiguration maçonnique de Saint Jean puisqu’il est pris pour maître par ceux
dont le culte professionnel revêt un caractère initiatique représenté par les
12 travaux du héros, jusqu’à son élévation finale.
Revenons dans notre Comminges,
dominé par la cathédrale de Saint-Bertrand. Jean de Mauléon a été abbé de
Bonnefont, de 1498 à 1523, un bail de 25 ans tout de même ! 1524, il est
sacré évêque dans les stalles de chêne de la cathédrale d’Auch. 1er
mai 1531, il érige la confrérie de St Bertrand, et lance la construction des
stalles, l’église dans l’église. Je vous ai déjà parlé de l’ordonnancement des
lieux, d’une rigueur totale.
Les deux Jean, dont son prénom est l’homonyme, sont
à la place d’honneur : à l’entrée Ouest à droite le premier des Chanoines
a derrière lui Jean l’évangéliste, avec son aigle, symbole de sa capacité à
voir la lumière du soleil en face.
Et l’autre Jean, le Baptiste, est à l’Est,
au-dessus du trône de l’évêque, dans un costume étrange montrant une jambe
dénudée. Jean de Mauléon cumule les mandats, il est à la fois premier Chanoine
et évêque, j’ignore comment il distribue sa place selon les rites ! Evêque,
nous avons déjà remarqué qu’il a en face de lui Saint-Michel, celui du Mont st
Michel des mers, qui terrasse le démon. Le même st Michel figure au-dessus de lui sur le baldaquin qui surmonte son trône.
En allant de place en place on
identifiera bien sûr Marie, la Vierge à qui est consacrée la cathédrale, même
si Bertrand est à l’aise partout, parfois plus important que la
Vierge notamment sur le tympan à l’entrée Ouest ! Ne manquent ni Moïse ;
ni le roi David ; ni les Vertus ! Les gloires de l’époque, une sorte
de Panthéon commingeois.
Derrière, l’orgue décoré des
travaux d’Hercule (toujours pas par hasard) joue les partitions ordonnant les
notes de l’hymne de Saint-Jean.
Méfions nous des
apparences
nos anciens de la Renaissance
étaient sacrément érudits !
j'adore Dieu le père qui domine le tout avec placidité