Encore une découverte, dans le
site de Capitolias, précisément à Bayt Ras, connu par son théâtre antique, très
visible sur Google map :
Les archéologues ne béniront
jamais assez les travaux de voirie. C’est
que certains coups de pelle, tels ceux donnés fin 2016 devant l’entrée de
l’école du bourg de Bayt Ras, dans le nord de la Jordanie, ont le don de faire
jaillir des trésors des tréfonds du passé. Dans le cas présent, une tombe
romaine, creusée à flanc de colline, dont le Département des antiquités de la
Jordanie a révélé en septembre dernier l’existence après en avoir sécurisé l’accès.
« Ce tombeau composé de deux
chambres funéraires et contenant un très grand sarcophage en basalte est dans
un excellent état de conservation, même s’il semble avoir déjà été visité. Il
appartient à une nécropole située à l’est d’un imposant théâtre mis au jour
dernièrement, s’enthousiasme Julien Aliquot, l’un des trois chercheurs du
Laboratoire histoire et sources des mondes antiques (HiSoMA) à avoir foulé cet
hypogée aux printemps 2017 et 2018, lors de deux missions sur place. L’ensemble
se trouve sur le site de l’ancienne cité de Capitolias, fondée à la fin du Ier
siècle de notre ère et intégrée dans la Décapole, région qui regroupait les
villes hellénisées (dotées d’institutions de type grec mais appartenant à
l’Empire romain) du sud-est du Proche-Orient, entre Damas et Amman. »
Mais qu’offre de si remarquable cette tombe
rupestre de 52 m2 ? Plusieurs choses. À commencer par un nombre impressionnant
de figures (près de 260 qu’il s’agisse de dieux, d’humains ou d’animaux)
peintes sur les murs de la plus grande des chambres. Certes, d’autres tombeaux
romains de la Décapole présentent un fastueux décor mythologique, mais aucun
n’arrive à la cheville du petit dernier question iconographie. « Ce fourmillement de figures compose un
récit qui s’ordonne de part et d’autre d’un tableau central représentant un
sacrifice offert par un officiant aux divinités tutélaires de Capitolias et de
Césarée maritime, la capitale provinciale de la Judée », explique Julien
Aliquot. L’ensemble se trouve
sur le site de l’ancienne cité de Capitolias, fondée à la fin du Ier siècle de
notre ère.
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tout a été photographié en 3D ; les images sont décortiquées et reconstituées, on verra le tout sur place à Florence |
Qui pénétrait dans la tombe,
avant qu’elle ne soit fermée, avisait d’abord, sur sa gauche, des divinités en
train de banqueter allongées sur des lits et dégustant les offrandes apportées par
des humains de plus petite taille qu’elles. Toujours à gauche de la porte
d’entrée, un deuxième tableau, d’inspiration champêtre, montre des paysans
affairés à labourer la terre à l’aide de bœufs, à cueillir des fruits, à
travailler la vigne… Quant au panneau suivant, il met en scène des bûcherons
abattant des arbres d’essences variées avec l’aide des dieux, un thème
rarissime dans l’imagerie gréco-romaine.
Non moins original, cette fois à
droite de l’entrée : un large tableau illustre l’édification d’une muraille. « Des personnages faisant penser à des
architectes ou à des contremaîtres côtoient des ouvriers qui assurent le
transport de matériaux à dos de chameau ou d’âne, des tailleurs de pierre ou
des maçons qui montent des murs, non sans accident. Cela donne une scène de
chantier aussi précise que pittoresque que prolonge un dernier tableau où un
prêtre pratique un autre sacrifice en l’honneur des divinités protectrices de
la cité », indique Julien Aliquot. Sur le mur, de part et d’autre de la
porte d’entrée, et au plafond, se déploie une composition plus classique
évoquant le Nil et le monde marin où des nymphes flanquées d’Amours chevauchent
des animaux aquatiques, tandis qu’un médaillon central associe les signes du
zodiaque et les planètes autour d’un quadrige.
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encore une évocation du Zodiaque ? |
Déjà unique par l’abondance et
l’originalité de son iconographie, ce tombeau l’est plus encore par les
inscriptions qui accompagnent les scènes de chantier. « Ces quelque 60 textes peints en noir, dont nous avons déjà pu
déchiffrer une partie, présentent la particularité d’être rédigés en araméen,
la langue locale, tout en utilisant des lettres grecque »s, dit
Jean-Baptiste Yon, également du Laboratoire HiSoMA. Cette combinaison des deux
principaux idiomes du Proche-Orient antique est rarissime et va permettre de
mieux cerner la structure et l’évolution de l’araméen. Par ailleurs, les
inscriptions s’apparentent à des sortes de bulles de bande dessinée
puisqu’elles décrivent les activités des personnages qui parlent en expliquant
ce qu’ils font : “Je taille (la
pierre).”, “Hélas pour moi ! Je suis mort !”). Ce qui est, là encore,
exceptionnel.
Quant au sens à donner à ce
dispositif iconographique et textuel très riche, les chercheurs sont enclins à
y voir l’illustration des étapes de la fondation de Capitolias : consultation
des dieux sur le choix du site lors d’un banquet, défrichage du terrain,
élévation d’une muraille, remerciements aux dieux après l’édification de la
cité… « Selon notre interprétation, le
personnage enseveli dans le tombeau a toute chance d’être celui qui s’est fait
représenter en officiant dans la scène du sacrifice du tableau central, et
d’être par conséquent le fondateur de la cité », commente Pierre-Louis
Gatier, du HiSoMA. Son nom n’est pas encore identifié, mais pourrait être gravé
sur le linteau de la porte qui reste à dégager. »
Créé par la Jordanie pour
l’étude, la conservation et la mise en valeur de ce joyau sans équivalent, un
consortium international d’experts mobilise entre autres, outre les historiens
et épigraphistes d’HiSoMA, Claude Vibert-Guigue, spécialiste de la peinture
antique au laboratoire Archéologie et philologie d’Orient et d’Occident2, et
Soizik Bechetoille, architecte à l’Institut français du Proche-Orient3.
Présentation des résultats des travaux en cours à Florence en janvier 2019,
lors du 14e congrès d’archéologie jordanienne.
Un bon motif
d’organiser un déplacement à Florence !
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le monde romain était immense !