Patrick Saurin accuse !
La vérité n’est pas
celle que nous serine à longueur de journée les journaux télévisés. Ne
confondons pas Etats ; Banques ; et le peuple Grec !
Patrick Saurin mérite d’être entendu, voici ses propos :
De grandes institutions qui
violent les règles élémentaires de droit, bafouent leurs propres statuts,
tolèrent des malversations et des fraudes, de grands responsables politiques et
financiers pris en flagrant délit d’infraction et de malversation, et pour
finir un peuple grec floué, humilié et spolié, telle est la triste réalité que
révèle en pleine lumière le Rapport préliminaire de la Commission pour la
Vérité sur la Dette grecque |1|.
Contrairement à ce que répète à
l’envi la cohorte d’experts et de journalistes invités à demeure des plateaux
de télévision, des radios et de la presse écrite, la crise grecque ne trouve
pas son origine dans un peuple essentialisé comme fainéant, fraudeur et vivant
à bon compte sur le dos de l’Europe et de ses habitants. C’est une toute autre
histoire que met en évidence la Commission à l’issue de ses premières
investigations.
Aléa (moral) jacta
est
En effet, la crise de la dette
publique grecque est en réalité une crise générée par quelques grandes banques,
en particulier françaises et allemandes, qui après avoir privatisé des profits
conséquents, ont socialisé une bonne partie de leurs pertes, non moins
conséquentes, par une manipulation digne des praticiens du jeu de bonneteau.
Dans cette escroquerie à grande échelle, le rôle du bonneteur ou manipulateur
est tenu par les banques, celui des complices ou « barons » par la Troïka (le
Fonds monétaire international, la Banque centrale européenne et la Commission
européenne), celui des seconds couteaux par les gouvernements des États
européens, et enfin celui de la victime par le peuple grec. Le préjudice subi
s’élève à 320 milliards d’euros, le montant de la dette grecque.
L’histoire commence au début des
années 2000, à un moment où les grandes banques occidentales décident de
déverser massivement sur le marché grec, qu’elles estiment plus rémunérateur
pour elles que leur marché national, une part importante des énormes liquidités
dont elles disposent. Prises d’une frénésie irrépressible, elles prêtent aux
entreprises, aux particuliers, à l’État grec et procèdent à l’acquisition de
filiales sur place pour opérer plus facilement, à l’exemple du Crédit Agricole
avec Emporiki et de la Société Générale avec Geniki. Inondées de liquidités,
les banques grecques, privatisées depuis 1998, se lancent à leur tour dans
l’octroi d’une quantité d’emprunts sans prendre la peine de procéder à
l’analyse du risque qui est pourtant la base du métier de banquier. Ainsi,
entre 2000 et 2009, les crédits explosent, les prêts aux ménages et les crédits
immobiliers sont multipliés par 6, les financements aux entreprises doublent.
Tout n’est que profit, calme et volupté dans le petit monde de la finance
jusqu’à ce qu’éclate la crise de 2008-2009. Née aux États-Unis avec la crise
des subprimes qui a vu la spoliation de millions de ménages modestes, la crise
devient internationale et gagne l’Europe et la Grèce. En Grèce, de nombreux
ménages se retrouvent brutalement dans l’incapacité de payer leurs échéances et
les banques sont aux abois. C’est alors qu’interviennent les gigantesques plans
de soutien aux banques mis en place par la Banque Fédérale aux États-Unis (29
000 milliards de dollars) et par la Banque centrale européenne (5 000 milliards
d’euros) car, fidèles pratiquants du commandement de l’aléa moral, les
banquiers se sont empressés de faire supporter leurs pertes par les États,
c’est-à-dire par les contribuables.
La Troïka ou l’éloge
du crime en bande organisée
En 2009, en Grèce, la
falsification des chiffres du déficit et du niveau de la dette publique donne
le prétexte qui manquait pour justifier l’intervention du FMI au côté de ses
deux complices, la Banque centrale européenne et la Commission européenne. Sous
couvert de « plans de sauvetage » de la Grèce, cette Troïka va imposer au pays
deux memoranda. Ces derniers prévoient des financements importants,
respectivement de 110 et 130 milliards d’euros, mais qui, pour l’essentiel ne
vont bénéficier qu’aux banques grecques et étrangères qui recevront plus de 80
% des sommes débloquées. Mais surtout, ces plans d’ajustement sont accompagnés
de drastiques mesures d’austérité : licenciements massifs dans la fonction
publiques, coupes dans les services publics, diminutions des salaires et des
pensions, bradage du patrimoine du pays. Les effets de ces politiques vont être
catastrophiques : en quelques années, le pays perd 25 % de son PIB, voit son
taux de chômage tripler pour atteindre 27 % (60 % chez les jeunes et 72 % chez
les jeunes femmes), et en lieu et place d’une diminution de la dette publique,
on voit celle-ci augmenter jusqu’à 320 milliards d’euros pour représenter 177 %
du PIB en juin 2015. Dans ces plans d’austérité imposés à la Grèce, le plus
inadmissible est la crise humanitaire qu’ils ont suscitée en frappant
indifféremment enfants, personnes âgées, migrants, malades, femmes isolées sans
emploi, c’est-à-dire les plus fragiles de la société. Gabriel Sterne, un
économiste d’Oxford Economics (une société de conseil spécialisée dans
l’analyse économique et la prospective), reprenant une étude d’économistes du
FMI portant sur 147 crises bancaires sur la période 1970-2011, constate que
la crise grecque fait partie des 5 % des crises les plus graves. La chute de 42
% du PIB de la Grèce entre 2008 et 2015 est un phénomène qui n’a été observé
que dans des pays confrontés à des guerres, à des effondrements du cours des
matières premières et en Argentine dans les années 1980 et 1995.
2012 : Une restructuration de la
dette au profit de la Grèce ? Non, une gigantesque opération de transfert des
risques des banques privées vers le secteur public
L’événement le plus important
dans la crise grecque ces dernières années, c’est le changement radical quant
aux détenteurs de la dette publique. Alors qu’à la fin des années 2000 cette
dette était à 80 % entre les mains des investisseurs financiers privés,
aujourd’hui, c’est le secteur public qui la détient dans les mêmes proportions.
Les économistes Benjamin Coriat et Christopher Lantenois ont attiré l’attention
sur cette inversion de la dette grecque au niveau de sa structure à l’issue de
la restructuration de 2012 dont l’objet essentiel était d’opérer « un transfert
massif de risque du privé au public ». Leurs collègues Zettelmeyer, Trebesch
et Gulati soulignent également ce phénomène inhabituel : « Nous n’avons pas
connaissance dans toute l’histoire des dettes souveraines d’un autre cas de «
migration de crédit » du secteur privé vers le secteur public aussi énorme. »
Cette « migration de crédit »
obéissait au souci de sauver les banques, et non la Grèce et sa population. En
juin 2013, ATTAC Autriche a publié une étude très détaillée pour identifier les
véritables bénéficiaires du soi-disant « sauvetage » de la Grèce intervenu
entre mai 2010 et juin 2012. Sur un total de 206,9 milliards d’euros, il est
ressorti que 77 % avaient été affectés au secteur financier. L’étude précise
que « ces 77 % constituent… un minimum d’un montant qui a pu être sous-estimé.
» Même Jean Arthuis, président de la commission des budgets au Parlement
européen, le reconnaît dans un entretien donné le 11 mai 2015 au journal
Libération : « on a, en fait, transféré le mistigri des banques aux États ».
La dette grecque est totalement insoutenable et en grande
partie illégale, illégitime et odieuse. L’enquête minutieuse de la
Commission a relevé de multiples irrégularités dans la mise en place des
financements. Là encore, la liste est longue. Ainsi, le FMI dont l’article 1
des statuts indique qu’il a pour but de « contribuer… à l’instauration et au
maintien de niveaux élevés d’emploi et de revenu », participe à la mise en
place de memoranda qui prévoient de massives suppressions d’emplois et de
drastiques diminutions de salaires et pensions. De même, la BCE a outrepassé
son mandat en imposant, dans le cadre de sa participation à la Troïka,
l’application de programmes d’ajustement macroéconomique (à savoir
l’ignominieuse réforme du marché du travail). De son côté, le FESF a violé
l’article 122.2 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)
qui autorise le financement d’un État membre « lorsqu’un État membre connaît
des difficultés ou une menace sérieuse de graves difficultés, en raison de
catastrophes naturelles ou d’événements exceptionnels échappant à son contrôle
». Or la Grèce ne rentrait pas dans ce cadre car, à l’instar d’autres pays de
l’Union européenne, elle avait vu sa situation se détériorer suite à la mise en
œuvre des conditionnalités fixées dans les protocoles d’accord, sachant par ailleurs
que la mise en place du prétendu « programme d’aide » (le Memorandum of
Undestanding) s’est faite en violation de la procédure de ratification telle
que prévue dans la Constitution grecque. On peut également considérer que les
prêts bilatéraux consentis par les États présentent de nombreuses irrégularités
ou clauses abusives, notamment lorsque l’accord de facilité de prêt prévoit que
les dispositions de l’accord doivent être mises en œuvre même si elles sont
illégales. Enfin, les dettes des créanciers privés peuvent être également
considérées comme illégales car elles révèlent une attitude irresponsable des
banques privées avant l’arrivée de la Troïka et une mauvaise foi de certains
créanciers privés qui ont spéculé sur la dette grecque en utilisant les Credit
default swaps (CDS).
De nombreux droits humains (droit
à la santé, au logement, à l’éducation, à la Sécurité sociale, droit du travail
etc.) sont foulés aux pieds au prétexte qu’il faut d’abord payer la dette,
alors que les traités internationaux, la Constitution grecque et la
réglementation de l’Union européenne et celle de ses États membres prévoient
précisément le contraire.
Par ailleurs nombre de contrats
de prêts ont été entachés de lourdes irrégularités. La violation de la
procédure de ratification telle que prévue dans la Constitution grecque rend
tout simplement inconstitutionnel les conventions de prêt et les protocoles
d’accord. Les deux clauses de délégation au Ministre des finances ne sont pas
constitutionnelles. D’autres clauses abusives imposées par les créanciers
violent la souveraineté de l’État grec, comme celle par laquelle ce dernier en
tant qu’emprunteur « renonce… de façon irrévocable et inconditionnelle, à toute
immunité à laquelle il a ou pourrait avoir droit, eu égard à lui-même ou à ses
biens, par rapport à toute procédure juridique en rapport avec cette
convention… ». Plus grave encore, certains contrats ont donné lieu à de
grossières malversations, comme par exemple des versements de fonds réalisés
sans facture pour des contrats d’armement, ainsi que nous l’a appris le nouveau
ministre grec de la défense à l’occasion d’une rencontre à son ministère.
En résumé, on peut conclure que
la dette publique grecque est illégale car elle a été consentie en violation de
procédures légales, des droits nationaux, du droit de l’Union européenne et du
droit international. Cette dette est également illégitime en ce sens qu’elle
n’a pas servi l’intérêt général, elle n’a pas bénéficié à l’ensemble de la
population mais à une petite minorité d’intérêts particuliers. Cette dette
présente un caractère odieux car, lors de sa mise en place, les créanciers
savaient qu’ils violaient des principes démocratiques avec pour conséquence le
non-respect de droits humains fondamentaux. Enfin cette dette est en totalité
insoutenable en ce sens qu’elle empêche l’État grec de respecter ses
obligations en matière de droits humains fondamentaux.
Que peut faire l’État
grec aujourd’hui ?
Le rapport préliminaire établi par la Commission fournit aux
autorités grecques de nombreuses pistes de droit pour la suspension et la
répudiation de la dette souveraine grecque.
L’article 26 de la Convention de
Vienne sur le droit des traités dispose que les traités qui lient les parties
doivent être exécutés de bonne foi. La mauvaise foi et la contrainte (observée
notamment lors de la renégociation de la dette) sont des motifs de nullité. En
droit international, un État lésé peut ne pas exécuter une obligation
internationale vis-à-vis d’un autre État si ce dernier s’est rendu responsable
d’un acte internationalement illicite. La Constitution grecque a été violée, en
particulier en ce qui concerne l’obligation d’obtenir l’accord du Parlement
pour les accords internationaux. Enfin, les droits humains, consacrés à
l’article 103 de la Charte des Nations Unies, priment sur les autres
obligations contractuelles.
En plus de ces fondements de
droit, l’État grec peut décider une suspension unilatérale de sa dette en se
fondant sur l’état de nécessité. Toutes les conditions pour la mise en place
d’une telle décision sont remplies dans la mesure où les autorités grecques
doivent protéger un intérêt essentiel de l’État contre un péril grave et
imminent et qu’elles ne disposent pas d’autre moyen à leur disposition pour
protéger l’intérêt essentiel en question. Enfin, lorsqu’un État est confronté à
une dette insoutenable, il peut unilatéralement décider de faire défaut car
l’insolvabilité souveraine a sa place dans le droit international.
Face à des institutions aveuglées
par une haine de classe et à des créanciers corrompus et dépourvus de tout
scrupule, les autorités grecques auraient bien tort de se priver de ces moyens
de droit même si leur mise en œuvre ne peut répondre qu’à une partie des
problèmes auxquels est confrontée leur pays depuis des mois. La décision prise
à l’unanimité par le conseil des ministres grec de consulter la population sur
la dernière proposition des institutions européennes pourrait bien être la
première étape d’un processus qui mène à l’annulation de la dette grecque ou
tout au moins à une partie significative de celle-ci. Aujourd‘hui, à quelques
jours du référendum, le soutien international au peuple grec doit s’intensifier
pour l’appuyer dans son refus du projet de la Troïka qui doit être remplacé par
un programme alternatif, démocratique et au service de l’ensemble de la
population.
|1| Ce rapport a été réalisé par
la Commission pour la Vérité sur la dette publique grecque créée le 4 avril
2015 Par Zoé Konstantopoulou, la Présidente du Parlement hellénique. Composée
d’une trentaine de membres (pour moitié grecs et pour l’autre moitié de
personnes représentant une dizaine de nationalités), la Commission a travaillé
durant 2 mois et demi pour produire un rapport préliminaire présenté le 17 et
18 juin dernier aux autorités du pays réunies au Parlement.
J'ai éliminé les nombreuses autres références un peu compliquées
Auteur
Patrick Saurin a été
pendant plus de dix ans chargé de clientèle auprès des collectivités publiques
au sein des Caisses d’Épargne. Il est membre de l’exécutif national de Sud
BPCE, du CAC et du CADTM France. Il est l’auteur du livre « Les prêts toxiques
: Une affaire d’état ». Rien que pour cela, étant concerné....! je ne pouvais que le citer !
Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette
publique de la Grèce, créée le 4 avril 2015.
Ce matin Thomas Piketti nous confirmait sur Europe 1 qu’il fallait restructurer
la dette grecque, comme cela a été fait en particulier pour l’Allemagne en
1954.
Sur tous les médias, Philippe de Certines ne cesse de marteler que depuis 2010, les Grecs sont en excédent primaire, c'est à dire dépensent moins que leurs propres recettes fiscales. Nous n'en sommes chez nous pas là !
et s’ils avaient raison ?