Je dis « vie de flambé » comme je dirais « vie de chien » , selon une expression beaucoup plus répandue, car l’exercice que je vous propose aujourd’hui est le suivant : il s’agit comme au théâtre d’un rôle de composition : je me mets « à la place de… », je tente d’entrer dans la personnalité d’autrui. Se mettre à la place de l’autre, appréhender son point de vue, et ainsi participer pro-activement à construire un compromis avec lui est une attitude tolérante éminemment respectable, qui facilite les relations dans ce que les politiques d’aujourd’hui nomment le « vivre ensemble ! » On a l’habitude, au théâtre, d’adopter la personnalité d’un être humain (donc de la même espèce), rarement celle d’une espèce moins intelligente comme un animal. Seul Lafontaine a brillamment réussi l’exercice ! Mais même lui a préféré nous réincarner en animaux plutôt qu’en insectes. Sauf deux toutefois : la fourmi (sociale et travailleuse) ; et la cigale (individualiste et détachée des contingences). La première a choisi la relance par l’industrialisation et l’exportation, c’est l’Allemagne. La seconde, méditerranéenne, a choisi la croissance par la consommation à crédit, mais j’arrête la politique car vous allez décrocher ! J’en reviens aux insectes et, bien sûr à cause de leur taille, on doute qu’ils soient dotés d’un cerveau, et par là même d’une quelconque conscience. Voilà pourquoi l’exercice que je vous suggère est tout à fait inédit.
« Qui d’autre peut-on être à part soi ? » s’interroge Arditi, en réfléchissant à ce qui fait la singularité de son être propre. Lui pourtant est coutumier d’entrer dans la conscience d’autrui. Et comme chacun est unique, on ne peut être un autre sauf justement à faire le comédien, à entrer dans une autre peau, en prenant comme sienne une vision différente. Le prisme à travers lequel l’autre voit les choses. Ses repères à lui ; ses références ; ses valeurs ; ses troubles obsessionnels (compulsifs ou pas). Lui, l’autre, apprécie de manière singulière le contexte qui l’entoure. Son environnement. Les relations avec ses pairs. Avec ses ennemis (ses prédateurs dans le monde animal). Il recherche l’âme sœur. Il vit tout court. Une vie physiologique. Une vie intellectuelle. Il peut s’adonner à d’autres activités, prendre du plaisir ? Sentiments, émotions, et passions. Tout cela, le matériel et l’immatériel, jusqu’au spirituel, est-ce imaginable dans le monde animal ?
C’est une question qui interpelle… ! !
normalement on ajoute : « …quelque part » !
On sait grâce à Lorenz que l’être vivant quel qu’il soit cherche tout d’abord à vivre « biologiquement » (il faut bien se nourrir). Puis à transmettre ses gênes à une descendance (il faut repérer l’âme sœur ; la séduire ; créer (à deux chez les hétéros) des bébés ; et enfin protéger (nourriture et descendance) face aux agressions multiples. Faire grandir en éduquant. Chez l’homme tout cela se fait de surcroit avec une idée de progrès, c’est à dire que l’avenir souhaité sera meilleur que le passé.
A priori, ces valeurs : le progrès, l’égalité, la liberté, la solidarité, qui sont les vertus par excellence des marins, sont exclues du monde animal. Voilà pourquoi les croyants estiment que seul, l’homme conscient, à l’image de Dieu, dispose de facto d’une conscience, que certains croient éternelle et incluse dans l’âme. Du coup il pense, et Descartes affirme qu’ il n’est qu’à cause de cette faculté.
Beaucoup croient aujourd’hui que les animaux ont « quelque chose de l’ordre de l’intellect », que nombreux communiquent entre eux, qu’il existe des vies de famille avec une solidarité et la protection des faibles, et qu’il s’agit de beaucoup plus que du simple instinct. Du coup nous sommes d’accord avec le respect des animaux, nous promouvons le bien être animal, nous renonçons à les chasser puis les manger, nous élevons certains au rang de compagnon (le chien d’aveugle et le cheval) en leur prêtant même des sentiments quasi amoureux.
Comme je m’intéresse davantage aux insectes, mais pas n’importe lesquels, je m’interroge. Je n’ai pas trouvé d’autre exercice que le jeu consistant à m’identifier à eux, à jouer ce fameux rôle de composition. Dans l’univers immense des insectes, j’ai choisi les papillons parce qu’ils sont particuliers : leur beauté à elle seule signifie à mon sens une recherche (de quel créateur ?) de mettre de la beauté dans la Nature. Qui sont-ils en réalité ? Telle est ma quête.
Je reviens à mon flambé, qui a attiré tant de photographes, apparemment sensibles à leur grâce si particulière !
Je fais l’acteur, et m’identifie totalement, et donc je dis je. Vous observerez plus tard que comme je suis un mec, je m’identifie mieux à un mâle. Je suis donc flambé du sexe masculin. On ne peut étendre à l’excès un rôle de composition aussi radical !
Je nais donc un jour d’un œuf, je suis minuscule, petite chenille, (flute, on m'écrit au féminin) je ne connais pas mes parents, ni mes frères et sœurs, nés séparément, voués à dévorer la chair verte de jeunes feuilles de prunellier assez disséminées pour me garantir de la concurrence. Mon apparence a été « construite » pour me confondre avec ma plante nourricière dont je simule les nervures. Mes sens sont très réduits. Je sens l’odeur, je me frotte aux poils fins de la partie supérieure lisse de la feuille. Mon instinct me pousse à dévorer mon support. Je dévore inéluctablement. Je bouffe. Je bouffe. J’expulse des crottes.
Environ six fois de suite, un embonpoint insupportable me fait entrer dans un engourdissement comateux : j’expulse ma vieille enveloppe. Je mue. Et je renais, chenille grandie toujours aussi morte de faim. Je poursuis cette vie éminemment « bestiale ». Seul m’inquiète le frôlement des insectes volants comme les guêpes hérissées de dards. La poursuite du bec des oiseaux. En cas d’attaque, la Nature m’a doté d’un réflexe cérébro-spinal : je me redresse vigoureusement, et j’expulse une odeur nauséabonde par deux appendices orange logés dans mon cou.
Dernier sommeil comateux : l’instinct, toujours lui, m’a doté de la capacité d’une dernière métamorphose : je m’accroche à un support. Mes hormones internes m’entrainent dans une mutation profonde. De longues heures ; des jours de transmutation : je change de couleur, et deviens chrysalide. Totalement immobile avec comme seule protection la ressemblance à mon support inerte.
On ne dirait pas qu’il y ait eu la moindre place pour quelque sentiment
dans cette première phase de vie.
Est-ce, ensuite une re-naissance, puisque je suis né une première fois ?
Voilà qu’un jour, je deviens imago : enfermé dans mes bandelettes de momie, mon enveloppe, mon plâtre en langage humain, craque, se fendille sur le dessus. J’ai besoin d’air. J’ai six nouvelles pattes. Je gigote, m’extrais, m’accroche à toute aspérité, découvre le soleil. Je respire, mais j’ai froid, je suis trempé, j’écarte mes moignons d’ailes, et souffle, souffle, déploie mes quatre membres, étale ce qui devient des ailes : j’ai été transformé, je suis autre, j’ai acquis un moi. Cerise sur le gâteau, je suis très élégant, agréable à regarder, tous les atouts pour réussir.
Devenu sec, léger, je découvre mon dos musclé, j’agite mes ailes, et sans que personne m’ait appris, ça y est, je vole, je vole, comme tout apparait petit, d’en haut !
Mes sens sont nouveaux, je sens les odeurs, d’autres odeurs, l’odeur du nectar, du sucré. J’ai une trompe, j’ai une folle envie de plonger ma trompe dans toutes ces fleurs sucrées. Et puis j’ai acquis des yeux tout neufs, je vois les fleurs, je m’enivre de nectar, je suce à ma faim. Je ne bouffe plus : je déguste. J’ai appris une sensation nouvelle : le goût.
Apaisé, je monte dans les airs. Extraordinaire liberté, je monte sans bouger les ailes dans les ascendances d’air chaud. Je plane au sens propre. Je plane au sens figuré. Comme c’est beau là-haut. Je suis libre. Une virevolte, je me pose sur ce tilleul. Le plus haut. Je contemple mon territoire. J’ai appris un sentiment supplémentaire : l’appartenance à un territoire. La propriété. Je la défends. Et puis les odeurs des fleurs du tilleul remontent avec le vent chaud. Je les capte avec mes longues antennes. Je suis bien.
Heureux…
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il est plus aisé de photographier un papillon posé : cette rare photo en vol est extraordinaire ! |
Tiens quel est cet individu qui me ressemble et qui vole vers moi ? C’est à moi cet univers paisible : allons le chasser. Je pars furieux à sa rencontre : je fais exprès de l’agresser, de lui rentrer dedans. Il s’enfuit ! Je suis le mâle dominant du coin ! Un peu d’agressivité ne fait pas de mal à son ego ! J’ai donc un ego ! j’ai vaincu l’adversaire, bravo à moi ! Tiens, je vais aller planer un peu, c’est si excitant !
Une odeur différente. Excitante. Envoûtante…Je pars en vol, tous sens éveillés. Où est-il ? Où est-ELLE ? Qui est-ce ? Il faut, il faut que je voie cette ELLE si attirante. Elle est comme moi, en vol. Elle me ressemble et cette fois, elle m’attire comme un aimant : c’est donc elle l’âme sœur ? Et je vole en tourbillons autour d’elle comme elle tourne autour de moi. Nous montons aux cieux en virevoltant ! J’ai besoin de son corps, mon abdomen se tort de douleur. Nous nous accolons, tombons dans les feuilles. On s’accroche, je luis transmets mes gênes. Sensation exquise ! Je redeviens libre, je plane et je suis… ! Une fleur jaune sucrée : je descends. Un adversaire : je fonce. Une nouvelle femelle : le jeu de l’amour fou recommence : j’ai peu de temps à vivre, j’en profite un max.
Qui a doté cette nouvelle mère de cet instinct irrésistible ? Sentir de loin la plante nourricière ? La repérer, puis voler vers elle ? choisir une à une les feuilles les plus susceptibles de recueillir un œuf ? déposer un à un les œufs ? dans un coin de la feuille ? dans une branche suffisamment dense pour que la nourriture suffise à alimenter une chenille toute sa vie ?
L’œuvre de nos flambés est aboutie, ils ont transmis la vie.
Y a-t-il eu des émotions là dedans ?
Des sentiments ?
Je pense que oui. A admirer ces photos, il y a une émotion de petites choses toutes simples : la re-naissance de l’adulte parfait, finies les vicissitudes des métamorphoses passées. La conscience aigue de transmette la vie. La liberté, ces bains dans les flaques pour se mirer dedans ; ces vols plané pour-le-plaisir dans le ciel bleu parfumé d’odeurs d’été. Nos ados s'expriment autrement et disent : le fun ! Le fun de planer… !
En tous cas, voilà de la beauté
pure et véritable, un don
un don… du ciel ?
Ces photos ne sont pas de moi, offertes aux internautes par des photographe (remarquables) séduits par ces
flambés. On voit souvent des photos documentaires d’imago qui posent sur une feuille, parfois même naturalisés !
Là, on les sent amoureux de la vie, au bord de l’eau et en vol plané. Je leur adresse ma sincère admiration, on voit
qu’ils aiment les papillons. Ce sont donc d’autres amis.
Quant à l'anthropologie, c’est la branche des sciences qui étudie l'être humain sous tous ses aspects, à la
fois physiques (anatomiques, morphologiques, physiologiques, évolutifs, etc.) et culturels (socio-religieux,
psychologiques, géographiques, etc.). Elle tend à définir l'humanité en faisant une synthèse des différentes
sciences humaines et naturelles. Le terme anthropologie vient de deux mots grecs, anthrôpos qui signifie
homme (au sens générique) et logos qui signifie « parole », « discours » (et par extension « science »).
Cette discipline vise particulièrement les faits spécifiques à l'humain par rapport aux autres animaux (faits
anthropologiques comme homo ou anthrôpos) : langages articulés et figuratifs, rites funéraires, politiques ou
magiques, arts, religions, coutumes, parenté, habitats, techniques corporelles, instrumentales, de mémorisation, de
numération, de représentations spatiales et temporelles, etc. Elle s’appuie notamment sur l’étude comparative
des différentes sociétés et ethnies décrites par l'ethnologie et envisage l'unicité de l'esprit humain à travers la diversité
culturelle.
J’ai pleinement conscience de mon exagération quand je prête au flambé un début de conscience, mais je dois dire
que mes rôles de composition m’ont changé à tel point que je persiste…chacun a les TOC qu’il peut !