Je suppose que Salvo Montalbano
connait ce plat…réputé à Venise :
le crabe mou. Je suppose que Guido Brunetti, lui qui vit sur place, apprécie à sa juste valeur ! Astuce même en Français, ce crabe est mou parce qu’il a mué, a perdu sa carapace, et est donc bon à mâcher ! Il s’agit
du Carcinus aestuarii, autrement dit
« crabe d‘estuaire », une espèce exclusive à Venise et à sa région, où
convergent – fait exceptionnel – le delta du Pô, ainsi que six autres fleuves
et des torrents mineurs. Les crabes sont extrêmement sensibles à la pollution,
mais ils ont réussi à se maintenir dans la lagune, malgré la présence de deux
pôles industriels majeurs (Porto Marghera et Mestre). Les pêcheurs spécialisés
ont compris comment respecter ce gisement et y puiser avec parcimonie. Ils en
pêchent aujourd’hui, dans des quantités moindres que par le passé, et les
vendent à prix d’or, comme du caviar.
tel une chenille, le crabe mou sort de sa vieille carapace pour grandir dur |
Normalement, les crabes font leur
mue de la fin de janvier au mois de mai et de la fin de septembre à la fin de
novembre. Les pêcheurs, appelés moecanti du nom vernaculaire de l’animal, moeca
(voire mol’eca), littéralement « molle », capturent d’abord les
crabes avec un filet spécial et des nasses. Après quoi, ils les amènent dans
des sacs de jute jusqu’au lieu où des experts (50 sur 3.000 pêcheurs…) font le
tri à l’oeil nu entre les moeche (aptes à la vente) et les mazanete (les
femelles gravides). Les femelles sont relâchées et les moeche (ou les crabes
qui s’apprêtent à muer) sont élevés quelques temps dans des viviers en bois
(les vieri) fixés sous l’eau à des poteaux en bois…
ce n'est pas Venise, mais Chioggia |
La région de Vénétie a pris conscience
(tardivement) du risque de disparition des crabes et du métier traditionnel de
pêcheur (activité pratiquée de Burano à Chioggia depuis des générations). Ella
a donc favorisé l’adhésion des moeche au mouvement international Slow food, et
les a protégés avec le label ministériel P.A.T. (produit agroalimentaire
traditionnel), réservé aux produits simples ou élaborés dont l’appellation
d’origine bénéficie d’une reconnaissance particulière au sein de l’Italie.
Vous comprendrez alors que vous
retrouver au marché de Rialto, en plein coeur de Venise, face à ces petites
bestioles, vivantes, coûte un certain prix (56
euros…). À Venise, encore maintenant, le symbole de la ville, le lion de Saint
Marc, quand il est représenté de face, est appelé in moeca, parce que les ailes
ouvertes rappellent l’aspect du crabe mou avec ses pinces menaçantes…
La ville de la lagune la plus
liée à cette tradition est sans aucun doute Chioggia, à quelques kilomètres au sud de
Venise. A l’inverse du chef lieu vénitien, Chioggia n’est pas envahie par le
tourisme de masse et conserve encore le charme des villes d’autrefois. Venir à
Chioggia signifie vivre la mer en plein, la principale activité
économique étant encore la pêche. Les canaux sont presque entièrement occupés par les pêcheurs, accolés
les uns aux autres. Entre les ruelles l’air est imprégnée d’odeurs violentes
d’iode et de poisson sec. Tout à Chioggia est intense……
On y va en 2018 ?