Attention, il ne faut pas se détourner de la mythologie, les Trois Grâces sont les Trois Charités : Aglaé la brillante. Thalie, c'est l'Abondante, verdoyante, celle qui fait fleurir les plantes. Et Euphrosyne est la joyeuse, celle qui réjouit le cœur ; la joie de l'âme résultant des bienfaits du soleil, celle qui nous guide en ce moment d'été sur les plages.
J'insiste sur les Charités : d'abord elles étaient représentées vêtues d'un long chiton et coiffées d'une couronne, mais à partir de la fin du IV° siècles av. J.-C., elles sont représentées comme étant des jeunes femmes vierges, élancées, se tenant par la main ou par l'épaule ou également par la taille ; une des Trois Charites regarde le sens inverse des deux autres, dans une attitude dansante ; souvent nues, ou vêtues de légères étoffes sans agrafes ni ceintures et parfois d'un voile flottant.
Fragonard a précisément respecté les conventions anciennes
Dans certaines représentations elles tiennent à la main, une
ou des roses, un dé à jouer et une branche de myrte (groupe de statues à Élis-au Louvre).
Ce sont donc des déesses personnifiant la vie dans toute sa plénitude, et plus spécifiquement la séduction, la beauté, la nature, la créativité humaine et la fécondité.
loin du sens que l'on attribue aujourd'hui au mot "charité"
Selon Hésiode et Pindare, elles sont les filles de Zeus et d'Eurynomé (ou d'Eunomie). Certaines traditions tardives en font plutôt les filles d'Hélios (le Soleil) et d'Églé, ou de Dionysos et d'Aphrodite (ou d'Héra).
Quant à Homère, il nomme Charis comme l'épouse d'Héphaïstos et présente Pasithée comme une des Charités, fille de Dionysos et d'Héra. Héra la promet en mariage à Hypnos à condition qu'il veuille bien l'aider à endormir Zeus.
Fragonard les a déshabillées, (mais personne ne pouvait les voir au ciel), et a respecté la convention obligeant la présence de roses |
Dans les temps primitifs, on n'honorait à Sparte que deux
Charités, Kléta (L'Illustre) et Phaenna (L'Éclatante), qui, chez les Athéniens,
portaient les noms d'Auxo (Celle qui fait croître) et Hégémone (Celle qui met
en route). Le premier surtout de ces noms, Auxo, permet d'affirmer leur
caractère de déesses de la végétation, sans doute aussi de la fécondité. C'est
Hésiode qui porte leur nombre à trois. Dans l'antique cité des Minyens, à
Orchomène de Béotie, elles étaient trois, Euphrosyne, Thalie, Aglaé, et étaient
adorées comme divinités des eaux dans le fleuve Céphise, comme le rappelle
Pindare au début de la XIVe Olympique.
En grec ancien, la racine du nom des Charités est celle du verbe χαίρω / khaírô (« se réjouir, être joyeux »). Cette joie vivante, force élémentaire qui nous maintient dans l'être et le bonheur, est celle que les Grecs se souhaitaient en se saluant du seul mot de χαῖρε / khaĩre (« réjouis-toi ! »).
dans cette toile de Jacques Louis David, Vénus est aidée des trois Grâces pour désarmer Mars (qui se laisse faire naturellement...!) |
mais qui résisterait à cette main (posée à cet endroit, signalé à propos par les colombes amoureuses ? ?) |
Euphrosyne est la joie poussée à son sommet, l’allégresse,
la joie de vivre que l'on ressent dans un banquet (tel le banquet éternel des
dieux auquel les hommes participaient au début du récit de la Théogonie) ;
Thalie est la personnification de l’abondance, voire la
surabondance, le trop-plein de vie, qui se prodigue comme un don ;
Aglaé est la beauté dans ce qu'elle a de plus éblouissant,
la splendeur. Il s'agit de la plus jeune, elle passe selon Hésiode pour
l'épouse d'Héphaïstos à la place d'Aphrodite. Enfin, Aglaé est aussi la
messagère d'Aphrodite.
Ensemble, elles personnifient le mode de vie festif, de
dépense, qui permet de vivre la vie dans ce qu'elle a de plus intense. Les
Charités sont la vie telle que l'entendaient les Grecs. Ainsi, chez eux, tout
ce qui est reçu est une charis, une grâce (ou une gratification) : dans une
société fondée sur le don (ce qu'exprime en grec ancien le verbe χαρίζομαι /
kharízomai, « accorder une grâce ») et le contre-don, elles sont donc intégrées
au système de valeurs, en plus d'être un idéal de vie festive. Leur rôle dans le don est décrit par Sénèque : « Selon les uns, elles
représentent la bienfaisance dans ses trois acteurs, celui qui donne, celui qui
reçoit, celui qui rend : selon d’autres, sous ses trois faces : le bienfait, la
dette, et la reconnaissance. ».
Jean-Baptiste Regnault 1798 leur a donné la plus jolie carnation de toutes les peintures jamais faites |
Comme tous les dieux et déesses, elles sont éternellement jeunes et belles, à l'âge que les Grecs considéraient comme celui de la plénitude, entre quinze et vingt ans.
Elles incarnent le désir de l'homme, et sont l'incarnation de la vie, mais pas dans sa différence avec la mort (thanatos), plutôt en tant qu'élément du vivant (βίος / bíos, bios) ; elles incarnent la vie (ζωή / zôế, zoé), quand celle-ci est plus intense. Elles président ainsi à toutes les activités ludiques (d'où leurs représentations en danses et en jeux), à toutes les activités gratuites : la sexualité en dehors du mariage, le festin (le repas en l'absence de faim), la danse (l'activité physique sans nécessité, pour le plaisir).
Cependant, cette forme supérieure que peut revêtir la vie ne
l'est que dans l'ordre. Pour que la vie puisse s'épanouir à ce point, il est
nécessaire qu'un roi règne. Ainsi, elles sont souvent représentées dansant ; la
danse qu'elles exécutent est très différente de celles des Ménades qui
escortent Dionysos. Elle est dirigée par Apollon qui joue de la cithare,
dictant le rythme de la danse, en découpant le temps et les mouvements en
périodes régulières. De même, les fêtes humaines qu'elles président ne se font
qu'à certains moments de l'année, à des dates réglées à l'avance.
Edouard Bisson 1899 |
Les Charités ont comme divinités symétriques les Érinyes, divinités de la haine et de la vengeance, elles aussi soumises à l'ordre du roi. Dans les sociétés antiques, l'échange (le don) est requis pour arrêter le cycle de la vengeance, pour exorciser l'ambivalence de la vie : on échange des cadeaux contre la vie.
La grâce peut être de différentes sortes :
-la grâce érotique, versée par Aphrodite, inspire le désir
sexuel ;
-la grâce du guerrier, qui est la gloire ;
-la grâce du roi, qui inspire le respect (notre charisme).
La grâce (χάρις / kháris, charis) peut également être versée
sur les hommes. Ainsi Ulysse, qui sort du bain préparé par Nausicaa, et reçoit
la charis d'Athéna, prend l'apparence d'un dieu.
c'est un peu compliqué, non ?
mais pourtant, c'est fondamental,
basique et "essentiel"
le moteur même de la Vie humaine
vous vous souviendrez ? Euphrosyne ; Thalie et Aglaé Linné a donné leur nom à trois sortes de papillons ! |
euphrosyne |
athalia |
aglae |