A l’époque, je
parle d’un temps passé que les moins de
vingt ans ne peuvent pas connaitre, puisque 53 ans en arrière ! Un
Ingénieur Agronome de l’Institut Agronomique de la rue Claude Bernard se
désigne par son année d’entrée : 1963. Un Ingénieur du Génie Rural des
Eaux et des Forêts issu du 19 avenue du Maine, par sa date de sortie :
juillet 1967. Ce n’est pas terminé : il faut accomplir un stage d’études, qui
donnera lieu à un rapport écrit, à remettre à l’Ecole. Puis accomplir son
service militaire, qui me mènera au premier poste actif, DDA du Tarn et Garonne
à Montauban, en mars 1969. Toujours à l’époque, l’objectif est d’intégrer le
Corps (éteint aujourd'hui) d’Officier des Haras, re-stage au Haras du Pin,
vingt-quatre heures sur vingt-quatre à parler, monter, panser, penser cheval. Les collègues vouvoient leur moitié. Trop
de cheval tue la vocation, et je me recyclerai en construisant des stations fruitières
pour les rapatriés du Tarn et Garonne durant sept ans passés à Montauban, m’immergerai
dans l’ingénierie alimentaire, et concevrai le ramassage des ordures ménagères
de Caussade : c’était le bon temps du début de la fin ... du Génie Rural !
ces vieilles diapo datent de 1967 |
Début Septembre
1967, le but du voyage est de dresser le constat de l'élevage du cheval dans les Haras de Pologne, Nation en avant
en ce domaine, avec notamment l’élevage des étalons arabes les plus prestigieux
au Haras national de Janów Podlaski, le plus vieux haras de chevaux arabes de
Pologne. La vie est ainsi faite qu’aujourd’hui nous sommes à trois quart d’heures
de Tarbes où subsiste cette spécialité avec les plus beaux chevaux arabes du
monde.
Encore
faut-il se rendre en Pologne, et pouvoir se déplacer sur place, de Haras en
Haras, d’hôtel en hôtel, sans portable qui n’existe pas, pas question de prendre l’avion, sinon comment se déplacer ensuite ? Jeune
ingénieur sorti d’école, j’ai la chance de posséder une 2CV Citroën bleue pâle à
laquelle j’ai fait mettre des clignotants dans les ailes avant. J’ai pris du
fil de fer pour réparer le démarreur, un pneu en plus de la roue de secours, une
nourrice d’essence, et nous avons rempli les places arrière de boites de
conserve, de manière à pouvoir nous sustenter en cas de disette. Nous avons un
peu d’argent qui sera changé sur place en zlotis,
et par le miracle du change, disposons d’un pouvoir d’achat relativement considérable ! Un camarade qui
deviendra Directeur de Tarbes, possède une Renault 4, pour partir à deux, et
pouvoir nous dépanner en cas de problème. Détail, mon épouse-passagère est
enceinte, elle ne raterait ce déplacement pour rien au monde, elle accouchera au retour
en France, le 14 février 1968, jour de la Saint-Valentin, pendant les évènements. Malgré les routes en
briques, la suspension de la 2CV prévenait tout incident, ouf il n’y a pas eu de problème majeur.
ballade en 4L : tout le monde est à pied ou en voiture à cheval |
Nous sommes
reçus comme au temps de Napoléon, nos hôtes nous prennent pour des
ambassadeurs, ouvrent d’anciens châteaux, parlent un Français parfait. Moi j’ai
l’impression d’être dans un épisode de « Guerre et Paix », renforcé
par le dépaysement, les promenades en calèches, la découverte des morceaux d’ambre
de la Baltique, et l’ambiance étonnante des palaces décatis et leurs
restaurants étoilés que notre pouvoir d’achat rend accessibles : des
Russes parlent fort lors d’un banquet à table, et des serveurs leur apportent
cérémonieusement des boites sur un plateau d’argent. Boites ouvertes que nous reconnaissons
bien, le couvercle a été déroulé et laissé en rouleau au-dessus avec une clé, l’emballage
intact pour preuve de l’origine prestigieuse : les Russes attablés se
font servir des sardines en boites ... de Bretagne !.... nous, nous en avons plein
les voitures ! Nous traverserons les frontières gardées par des soldats en mitraillette, fouillant la voiture pour voir si personne n’est caché dans la malle. Des
policiers tentent de monnayer nos ampoules de rechange, inexistantes
en Pologne. en échange de notre liberté. Moi qui aime Citroën suis comblé : dans les villages les
gosses stoppent la voiture pour la balancer, croyant que je suis l'inventeur de ce drôle de véhicule si bizarrement suspendu.
Nous roulons
tranquillement sur une avenue de Varsovie, à vrai dire quasiment vide, jusqu’à
ce qu’un choc impressionnant retentisse côté gauche : un motard de police
nous fait une "queue de poisson" après avoir cogné du poing dans la portière, faisant signe de nous rabattre sur le trottoir. Nous obtempérons
vite fait, et passe un cortège avec cette voiture en tête, notre Président debout dedans : on nous avait poussé pour laisser passer de Gaulle, nous étions
sans nouvelles de France depuis une semaine, et ignorions qu’il allait nous
doubler dans Varsovie !
Il effectuait un voyage officiel en Pologne, du 6 au 12 septembre 1967 !
Premier chef d'Etat occidental à
se rendre dans le pays, il y est accueilli triomphalement. A Cracovie, il
appelle de ses vœux une réelle coopération entre les cultures françaises et
polonaises, et non pas "l'absorption
dans quelque énorme appareil étranger". Il se rend ensuite à
Auschwitz, puis en Silésie, à Zabrze, d'où il lance : "Vive Zabrze, la ville la plus silésienne de toute la Silésie,
c'est-à-dire la plus polonaise de toutes les polonaises".
A Varsovie, il rejette la
partition du monde en deux blocs et plaide pour la détente et la coopération,
qui seule permettra la résolution du problème allemand. Enfin, le Général
s'adresse à tout le peuple polonais à travers une allocution télévisée. Il
ignorait notre présence, sinon nous aurions été certainement invités, jeunes ambassadeurs du cheval ?
Voilà l’homme du 18
juin à Varsovie
une bouffée de confiance irradie nos veines dans la 2 CV
sagement garée le long du trottoir
nous ne sommes plus seuls ni à Varsovie, ni en Pologne
sans portable ; sans GPS ; sans médicaments, avec nos derniers zlotis
l'Homme du 18 juin vient de nous croiser
nous l'avons rejoint !
sagement garée le long du trottoir
nous ne sommes plus seuls ni à Varsovie, ni en Pologne
sans portable ; sans GPS ; sans médicaments, avec nos derniers zlotis
l'Homme du 18 juin vient de nous croiser
nous l'avons rejoint !
PS : cette année 2020 commémore les 80 ans de l'appel du 18 juin 1940. Nous sommes jeudi, jour du marché, heureusement déconfiné, et donc prioritaire. La cérémonie, qui un autre jour aurait eu lieu à 11 heures, est décalée à 14H30. J'avoue mon désarroi : n'est-ce pas récemment que en pleine négociation du Ségur de la santé, la manifestation à Paris des soignants nous montrait les images déconcertantes de femmes et d'hommes en blouse blanche, les vainqueurs du covid 19, opposés aux forces de l'ordre, entourés des nuages lacrymogènes ? Et que Dijon voyait durant trois jours se battre les bandes Tchétchènes opposées aux bandes locales défendant, équipées d'armes lourdes, leur marché de la drogue, forces de police en caserne, "pour ne pas mettre de l'huile sur le feu" ?
Chez nous, 80 ans après l'appel du 18 juin, les mesures restrictives liées à l'épidémie resteront strictes. Les drapeaux resteront sur leurs supports, privés de porte-drapeaux. Le public restera contingenté à dix, les rassemblements restant sous contrainte, du moins les rassemblements "officiels".... difficile à suivre !
si de quelque part... le Général nous regarde...?