Thé ou café ce
dimanche
avec Farid Abdelkrim dont le bouquin sort ces jours-ci |
Il faut se lever tôt : 7
heures ! Normalement, on dort à cette heure le dimanche matin ! Non ! Il faut écouter Christine Ceillac : elle
a le bonheur d’inviter les personnalités du moment, et en une heure d’horloge on
découvre toujours des hommes ou femmes attachants. Souvent ce sont des vedettes
de la télé ou du cinéma. Parfois il s’agit d’intellectuels, et Malek Chebel, c’est du lourd !
Quatre fois docteur ! Bel
esprit. Bilingue naturellement arabe et français, j’imagine américain, sans
oublier qu’il est breton (de Nantes. Je sais, hérésie). C’est un anthropologue
des religions et un philosophe algérien né en 1953 à Skikda (anciennement
Philippeville). Il a étudié en Algérie, puis en France à Paris, où il a
également abordé la psychanalyse, activité qu’il a un temps exercée. Il a
enseigné dans de nombreuses universités à travers le monde.
Essayiste, auteur d’ouvrages
spécialisés sur le monde arabe et l’islam et créateur de l’expression «l’islam des Lumières». Il tient des
conférences dans de nombreux pays d’Europe et d’Afrique, et travaille à une
vaste enquête sur l’islam dans le monde.
Il est connu pour sa réflexion
sur l'islam, sa culture, sa bibliothèque, son histoire, sa vie intellectuelle, sa
présence à l’Institut Arabe où le reçoit Jack Lang, son érotisme… Quelle palette ! Il est également connu pour ses prises de
position publiques en faveur d'un islam libéral et en faveur d'une réforme de
l'islam incluant les aspects positifs de la modernité politique.
Malek Chebel a fait partie du
Groupe des Sages qui, auprès de Romano Prodi, président de la Commission
européenne, réfléchissait aux implications culturelles induites par l'Europe,
notamment dans ses rapports avec la rive sud de la Méditerranée, à l'origine de
l'élaboration de la première charge euro-méditerranéenne. Il s'intéresse désormais
particulièrement aux travaux de l'Union pour la Méditerranée (UPM).
L'œuvre prolifique de Malek
Chebel, nourrie de son triple bagage d'historien, de psychanalyste et
d'anthropologue est principalement consacrée à la défense de la liberté sous
toutes ses formes, liberté politique, liberté de pensée, de vivre et d'aimer,
et de sa place dans l'islam et la culture musulmane. Déclinée comme objet de
perception, de construction, de pratique, la liberté guide la réflexion de
Malek Chebel pour travailler sur le corps, le désir, l'amour, les relations
entre les sexes, mais aussi la tolérance, l'engagement politique, le don. Super hein ?
Il a rédigé plusieurs préfaces,
dont celle du Coran traduit par Edouard Montet (Éditions Payot). Sans compter « le Coran pour les nuls ». Il
a pris des positions fortes pour prôner ce qu'il considère être un islam
moderne. Qu'il s'agisse du voile qui est d'après lui un sujet «secondaire», -
ce qui ne l'empêche pas de qualifier cette revendication de "régression" -,
qu'il s'agisse encore du besoin de traiter les problèmes entre les hommes par
les hommes eux-mêmes, et non par le recours à la religion, au nom de Dieu, ou
en invoquant le nom de Dieu.
Son ouvrage, Islam et
libre-arbitre a pour objet de comprendre l’islam dans sa relation à l’Occident.
Comprendre les manières de penser, de vivre, la sensibilité de l’autre, pour
dépasser la haine. Laisser une place à l’autre. Il s'agit aussi d'une
interrogation sur la place de la liberté en islam et d'un plaidoyer pour une
relecture de l’islam et de ses traditions.
Malek Chebel écrit aussi pour
réhabiliter l'islam. En Occident, les musulmans peuvent susciter haine et suspicion,
mais surtout de l'incompréhension. Malek Chebel, en expert de l'islam, pense
que si l'islam est au cœur des débats du siècle, il est d'abord important de le
comprendre et de le connaître. Selon son analyse, les musulmans souffrent de
cette image négative de leur religion.
«La plupart des musulmans sont pris en tenaille entre un groupuscule de
musulmans violents, qui veulent islamiser le monde, et la grande majorité des
Occidentaux qui ne comprennent rien à l'islam ».
Il rappelle que l'islam est pluriel,
et qu'il est aussi vivant. Il rappelle que dans le passé, l'islam a été
novateur dans bien des aspects de la vie. Il analyse avec une grille de
sociologue l'évolution et les mutations des mentalités au sein du monde
musulman. Malek Chebel défend l'idée qu'à travers les siècles, il y a eu de
grandes périodes de paix, de créativité et de bonheur :
« C'est au nom de ces siècles-là que je travaille, au nom d'un grand
nombre de savants, de littérateurs, de grammairiens, de juristes, de médecins
et de califes ou sultans dilettantes que je m'exprime, en étant avec d'autres,
le dépositaire de cet héritage ».
Il dénonce le manichéisme des
fondamentalistes, car d'après lui, les islamistes intégristes ramènent la
pensée de l'islam au VIIè siècle. Ils
veulent faire oublier et effacer l'apport musulman dans le domaine
philosophique, ainsi que toutes les réformes et mutations que la religion a
connues, au gré de l'histoire et sous l'effet des événements.
Malek Chebel pense que ceux-ci
s'accrochent de manière rigide et autoritaire au Coran et aux théologiens
fondamentalistes pour donner du Coran une lecture complètement anachronique.
Leur conception se limite à une vision dualiste et dogmatique de la vie où tout
est catégorisé en termes de pur et d'impur. Malek Chebel refuse ce manichéisme :
selon lui c'est à un détournement de l'islam, de sa culture et de sa tradition,
auquel on assiste à l'échelle planétaire, qui est désastreux pour le monde
musulman, totalement régressif et même destructeur car il représente un
enfermement dangereux, qui entretient de plus, l'incompréhension de l'Occident.
Tout à l'opposé de cette ligne
intégriste de la défense de la pureté, Malek Chebel plaide pour un «islam des Lumières », notion qui donne
son titre à un de ses derniers ouvrages. L'islam dont il parle, c'est celui du
partage :
« Celui qui amène au monde l'algèbre, l'arithmétique, la parfumerie,
une gastronomie brillante, une musique, une maison de la sagesse et qui
s'occupe de cosmologie, fondé sur la raison, sur les connaissances et le
travail, sur l'échange et le respect d'autrui. J'ai essayé de montrer que
l'islam est plus humain qu'on ne le pense, il est plus accessible, plus proche
de nous, il parle au cœur, à l'émotion et n'est pas là pour semer la terreur »
Associer l'islam aux Lumières : cette relation est inscrite dans la
dynamique amorcée au XIXè siècle et poursuivie par les nombreux réformistes qui
ont voulu changer le visage de cette religion en s'appuyant sur le travail de la raison. Ces penseurs ont
été taxés d'hérésie. Aujourd'hui, le débat est plus que jamais d'actualité :
l'islam est-il compatible avec la République ? Quelle est la place et le statut
de la parole libre, de la laïcité, de l'égalité des sexes, de la tolérance ou
de la démocratie ? Faut-il adapter l'islam à la modernité ou au contraire
adapter la modernité à l'islam, ainsi que le prétendent les fondamentalistes ?
En vingt-sept propositions, Malek
Chebel répond à ces interrogations sans masquer les contradictions de l'islam
ni éluder les questions difficiles : il se fait le théoricien d'un « autre islam », un islam en prise sur
le réel.
En avril 2011, il a débattu avec
le philosophe et théologien Rémi Brague lors d'une conférence-débat organisée à
Sciences Po par le Centre Saint-Guillaume sur l'histoire du dialogue entre
Islam et chrétienté. Il participe en octobre 2013 à un colloque au Sénat
(Paris) sur l'islam des Lumières avec Reza, Tahar Ben Jelloun, Olivier Weber,
Abdelkader Djemaï, Gilles Kepel et Barmak Akram. Le débat a été ensuite
reproduit en novembre au Maroc lors d'une conférence sur la tolérance.
L'autre partie de l'œuvre,
savante, lève aussi le voile sur la culture propre à l'islam, sous l'aspect de
la vie érotique, des rapports entre les sexes, des arts et autres raffinements
de la culture orientale qui ont fasciné l'Occident depuis la découverte de
l'Orient.
Vincent Stiepevich |
C'est toute la partie de son
œuvre, où se retrouvent le psychanalyste et l'anthropologue associés pour
pénétrer les mœurs, l'imaginaire et l'érotique, à travers l'histoire de l'islam
et du monde musulman, soit tous ces livres qui parlent de l'amour et du désir
en islam, pour en faire apparaître la singularité, la richesse, le raffinement
et les rappeler, voire les faire renaître, tout en les analysant.
En 2004, Malek Chebel a publié
son Dictionnaire amoureux de l'islam, où il aborde l'ensemble des questions qui
ont trait à l'islam, en matière de droit et de mariage, mais aussi d'érotisme :
le réformisme musulman, la répudiation des femmes, le voile ou la sexualité.
Cette exploration des arcanes de l'amour est aussi un livre d'histoire qui
expose les raffinements de la culture orientale.
Dans son Voyage en orient, Gérard
de Nerval a écrit : « J’ai parlé de ces
dernières sous le nom d’almées en cédant, pour être plus clair, au préjugé
européen. Les danseuses s’appellent ghawasies ; les almées sont des chanteuses
». […] Les voyageurs qui ont assisté à des fêtes arabes ou turques ont tous
été surpris par la liberté et la sensualité des courtisanes et des danseuses.
L’almée, à la fois danseuse et chanteuse et concubine, maitrise au moins un art
précieux comme la musique, la danse ou le chant. »
Dans Psychanalyse des Mille et Une Nuits Malek Chebel montre qu'il a
fallu aux femmes réinventer le monde à leur mesure pour le maîtriser :
cloîtrées dans leur harem, en proie à l'ennui et à l'intransigeance du sérail,
elles racontent des histoires dont elles sont les acteurs principaux. Sous leur
inspiration, Les Mille et Une Nuits deviennent une initiation aux mystères de
la chair. Malek Chebel décrypte cette œuvre magnifique et célèbre : comment la
femme, Shéhérazade, a dû réinventer le monde pour maîtriser la mort.
Quant à L'esprit de sérail, Mythes et pratiques sexuels au Maghreb étudie
toutes sortes de thèmes liés à la sexualité : tabou de la virginité, obsession
de la virilité, androgynie, et aussi le langage obscène, les homosexualités,
voile, yous-yous, circoncision… À partir de ces figures emblématiques, Malek
Chebel montre comment fonctionne au Maghreb l’« esprit de sérail », concept qu’il a forgé pour mieux saisir
l’emprise redoutable de la loi du Père sur l’esprit et le corps de chacun -
homme ou femme.
L'Encyclopédie de l'amour en Islam rappelle ce qu'il en fut de
l'amour et de la sensualité aux origines de l'islam : « On m’a fait aimer en ce bas-monde trois choses : les parfums, les
femmes et la prière, qui reste la plus importante à mes yeux », affirmait
Mahomet. C’est dire que l’on peut être un musulman fidèle, respectueux du texte
sacré, sans être ennemi de la jouissance charnelle, affirme Malek Chebel. Dans
ce travail, fruit d’une dizaine d’années de recherches, Malek Chebel a parcouru
l’univers amoureux des pays musulmans. Il propose avec cette étude, comme une
entrée dans la langue amoureuse, les mœurs, des techniques érotiques, mais
aussi la médecine, la jurisprudence, l’esthétique, la psychologie et la
mystique de cette civilisation qui a connu dans son histoire, et connaît
encore, la vie d’un imaginaire amoureux raffiné et d'une grande richesse.
on reconnait la patte de Gil Elvgreen : tout le monde dans cette scène sourit : c'est la joie ! |
« Les fondamentalistes tiennent pour impure toute intention charnelle,
et même tout clin d'œil. Mais cet islam procède d'une haine de la chair. Il
condamne le corps et la nudité, et excommunie la femme au seul prétexte qu'elle
est une femme. La religion de Mahomet n'a pas toujours été synonyme de
frustration et de culpabilité. Par le passé, un grand raffinement a accompagné
son développement, notamment en Mésopotamie, en Andalousie, au Maghreb et en
Syrie. Rappelons-nous les divans recouverts de roses et les lits coquins dont
parlent « Les mille et une nuits ». Mais la psychanalyse a prouvé que ce que l'on
refoule le plus est cela même qui rejaillit avec une force sauvage... « Le
Kama-sutra arabe » est un livre de sagesse autour du couple. Prélude à la
fécondation et au coït, c'est aussi un manuel du savoir-jouir, une anthologie
de poésie courtoise et une grammaire des positions amoureuses. »
Voyez, il était temps de regarder mieux les odalisques que je vous
montrais précédemment !
les mille vierges, ce n’est pas au Ciel qu’il faut les chercher :
elles sont sur terre !