La Tribune
Lecture de fin de vacances
Ça fait froid dans le
dos… !
Signe de l’époque, la littérature
« faillitaire » fait florès. Deux ouvrages de fiction financière, « La Nuit de la faillite » de Gaspard
Koenig publié en début d’année, et un ouvrage un peu plus ancien, « Le jour où la France a fait faillite »,
proposé en 2006 par Philippe Jaffré et Philippe Riès, avant donc la crise de
2008 : je devais les lire. Je les ai lus. Merci à la Tribune de ses
commentaires, que je reprends souvent mot à mot :
Le scénario Koenig
Tout doit être décidé ici au
cours d'une nuit qui est justement la «nuit
de la faillite» nécessitant de réveiller et faire revenir au Palais de
l'Elysée le président de la République : il faut agir avant la journée
médiatique et boursière du lendemain.
Deux solutions de gestion de
crise sont présentées au président par ses principaux ministres et conseillers
en matière économique.
La première est celle d'un
renflouement public du secteur bancaire fortement attaqué sur les marchés
financiers, ceci afin d'éviter un « bank run » généralisé. Les banques sont en
première ligne et il s'agit d'éviter un effet domino entre crise de dette
souveraine et crise bancaire. Les avocats de ce scénario évoquent les
précédents anglo-saxons de 2008-2009 (Etats-Unis, Royaume-Uni, Irlande) de
sauvetage public du système.
Ce scénario de nationalisation
des banques fait l'objet de critiques car il ne ferait que repousser la
difficulté : dans le scénario Koenig, les difficultés des banques sont en effet
liées à leur exposition à la dette souveraine française. Le refinancement de la
dette publique nationale se posera très vite et la solution de nationalisation
bancaire ne ferait que gagner quelques semaines. On constate sur ce point que
dans le monde réel les grandes banques françaises expliquent désormais de façon
explicite leur exposition au risque souverain dans leurs documents de
référence.
Koenig confie alors au directeur
du Trésor - le seul dont le véritable nom ait été changé… - la défense de
l'option de prédilection de son livre : que la France fasse défaut de façon
volontaire, ordonnée et préventive, en engageant immédiatement des négociations
avec ses créanciers avec l'appui de toutes les techniques de restructuration :
introduction législative d'une clause de renégociation des obligations
publiques, moratoire sur les intérêts, extension des maturités, « haircut »
(réduction du capital).
Cette option est férocement
condamnée par les représentants des banques qui participent à la négociation
nocturne élyséenne en mettant en avant le spectre de l'hyperinflation allemande
de 1923, le fait que la France devienne la honte de l'Europe et perde une
grande partie de sa souveraineté, enfin l'énorme impact industriel d'une telle
décision sur le système financier français d'envergure internationale.
Koenig fait finalement arbitrer
l'exécutif en faveur du scénario de défaut volontaire, après une rapide
information de l'Allemagne qui en accepte le principe.
Dans le scénario Jaffré/Riès, les
banques françaises refusent de financer l'Etat et le seul scénario qui fait
l'objet d'une discussion politique est celui d'une sortie de la France de
l'euro. Les auteurs n'aiment pas cette solution qui selon eux génèrerait crise
de changes et fuite des capitaux (avec la nécessité de rétablir le contrôle des
changes), disparition de la solidarité européenne, incertitude quant au niveau
de dépréciation du franc inconnu et d'inflation importée et au final une
récession encore bien pire que dans le scénario de maintien de la France dans
l'euro, avec ses corolaires dramatiques en matière de chômage et de pouvoir
d'achat. Le livre plaide donc fortement pour un règlement du problème de dette
souveraine française dans le cadre européen et du FMI plutôt qu'un plongeon
dans l'inconnu.
La solution retenue par
l'exécutif dans le livre couple donc thérapie de choc budgétaire et solidarité
européenne sous condition :
la BCE, associée aux autres
banques centrales, permet d'éviter un approfondissement de la crise bancaire en
effectuant une injection massive de liquidité en faveur du système financier français,
ce qui rassure les banques étrangères qui reprennent leur flux avec les banques
françaises et permet de maîtriser partiellement la panique bancaire (une
semaine de fermeture des guiches est toutefois nécessaire dans leur scénario).
L'Etat étant chez Jaffré/Riès
incapable d'organiser son refinancement à court terme, les administrations
financières analysent au plus près les
décaissements de l'Etat : outre des retards dans les paiements des
fournisseurs, Jaffré & Riès proposent un paiement seulement partiel des fonctionnaires
et des pensionnés.
La France fait appel à la
solidarité européenne en demandant une aide en trésorerie aux partenaires
européens ; son levier sur ses partenaires consiste dans le risque systémique
que poserait aux pays européens l'effondrement d'une économie aussi importante
pour la zone euro que celle de la France ; mais l'aide européenne est
conditionnelle et est liée à un plan de restructuration draconien des finances
publiques françaises, une mise sous tutelle provisoire de l'économie nationale
et une grave récession économique.
Philippe Ries (sur son blog) http://blogs.mediapart.fr/blog/philippe-ries |
Le gouvernement prépare dans ses conditions un plan de
redressement en deux volets :
volet court terme : plan drastique de réduction des dépenses à
court terme, prévision d'un retour rapide à l'équilibre budgétaire en assumant
une dépression économique à court terme ; volet long terme
: redéfinition à moyen terme du format des administrations publiques.
Que se passe-t-il après « la nuit de la faillite » ?
Le choix fondamental du livre de
Koenig est prédéterminé par le titre même qui limite l'action à une seule nuit.
Il en résulte plusieurs conséquences.
Le premier concerne le choix de
l'option qu'il fait prendre à l'exécutif politique, celui du défaut volontaire.
Comme Koenig situe l'action à mi-mandat, cela signifie pour l'exécutif
politique un changement total de ligne politique en court de mandat, sous la
pression d'évènements financiers, ce qu'on peut comparer aux situations
historiques constatée dans 3 pays critiques de la zone euro :
Grèce : la crise commence fortement en octobre 2009 juste après les
élections législatives et l'arrivée de l'équipe Papandréou qui dénonce
immédiatement les errements budgétaires de l'équipe précédente ; le Premier
ministre devra quitter les affaires deux ans plus tard et son parti sera
lourdement battu aux deux élections législatives de 2012 ; Irlande : le Premier ministre Brian Cowen qui fait appel à l'aide
européenne en octobre 2010 démissionne en janvier 2011 avant un changement de
majorité aux élections de mars 2011 ; Portugal : le
Premier ministre Jose Socrates fait appel à l'Union européenne en avril 2011 et
doit démissionner peu de temps après.
Dans les faits, tous les
gouvernements qui ont reconnu une situation de défaut ou la nécessité d'une
assistance européenne ou internationale ont quitté le pouvoir peu de temps
après suivant différentes modalités (changement de personne à la tête de
l'exécutif, élections à date prévue, élections anticipées). C'est donc tout
sauf une décision à prendre avec légèreté avec le risque d'apparaître comme «
l'homme de la banqueroute ».
En outre, Koenig ne traite que
très rapidement les effets patrimoniaux d'un défaut même partiel qui ne
toucherait les créanciers tant extérieurs que français. Pour mémoire, les
compagnies d'assurance françaises détenaient par exemple une très grande partie
de la dette souveraine française détenue par les résidents (40% de la dette
domestique fin 2012 selon les données de la FFSA) : tout défaut a donc de
lourdes conséquences sur les patrimoines.
Mais pour Koenig, le défaut a
l'avantage d'ouvrir une nouvelle page après « des décennies de gabegie, une
longue succession de politiques interventionnistes », de permettre aux cartes
d'être rebattues et de « tout recommencer », le défaut constituant pour Koenig
un arbitrage générationnel favorable des jeunes et des nouveaux entrants.
Ce qui se passerait après…
Si Koenig ne s'intéresse pas au «
jour d'après », Jaffré et Riès y consacrent au contraire des développements
détaillés dont certains ne sont pas sans ressemblance avec ce qui s'est produit
dans le sud de l'Europe depuis 2009, à la différence près que c'est la France
qui tient là le rôle principal.
Solidarité européenne, intervention du FMI et niveau des pertes sur la
dette publique française
La France demanderesse d'aide
européenne subit un procès en règle de la part de ses partenaires : l'aide
financière qu'elle reçoit des pays européens est conditionnée à un plan
crédible de redressement des finances publiques contrôle par l'Europe et associé
à une garantie sur une partie du stock d'or de la Banque de France.
Les marchés commencent à faire
des paris sur le niveau de consolidation sur le principal de la dette
française. Jaffré et Riès font faire proposer aux officiels français un abandon
par les détenteurs de dette publique française des 2/3 du principal, le FMI
arrêtant au final sa proposition à 50% seulement. Pour mémoire et dans le monde
réel, les créanciers privés du souverain grec ont accepté en octobre 2011 une
réduction de 50%.
L'équilibre recherché par les
créanciers de la France est de concilier un non effondrement de la France et
une certaine volonté de faire un exemple. Jaffré et Riès imaginent même l'avion
présidentiel français placé sous séquestre sur un aéroport américain par un
créancier ayant activé le système judiciaire américain, comme cela est par
exemple arrivé à la Russie à la fin des années 1990.
Poursuivre les
réformes en France
Le livre de Jaffré et Riès
constitue quasiment une liste à la Prévert de réformes structurelles
d'inspiration libérale, mais que l'on a également grandement vu en Europe du
nord il y a vingt ans. Ils s'en donnent clairement à corps joie :
- réduction d'un cinquième de la
part de la dépense publique dans le PIB avec sortie complète de l'Etat du
secteur concurrentiel du fait de multiples privatisations (la Joconde est même
vendue un milliardaire chinois !!!)
- remise en cause du statut de la
fonction publique et diminution d'un tiers de ses effectifs (pour mémoire la
Grèce indique actuellement ne remplacer qu'un fonctionnaire sur dix partants à
la retraite et les baisses des traitements et pensions ont été de l'ordre de
30%)
Voilà ce qu'ils indiquent concernant les grandes politiques
publiques :
-éducation et enseignement
supérieur : régionalisation de l'enseignement, mise en concurrence des
universités, fin de la gratuité mai création d'un un chèque enseignement à
consommer organisant une concurrence entre établissements ;
-santé : couverture uniquement
pour le grand risque, avec contribution privées proportionnelles pour les
risques sanitaires courants (remboursement des dépenses dans la limite de 5%
des revenus annuels), réorganisation drastique de la carte hospitalière
- pensions : baisse de 10% puis
gel du montant des retraites (les Grecs ont eu au final droit à 30%) ;
- réduction et mutualisation très
forte du dispositif militaire ;
- réduction drastique des contributions françaises aux
programmes européens.
Concernant
l'organisation administrative, les auteurs prévoient :
-une réorganisation des
administrations publiques sur le modèle suédois (séparation entre les
ministères centraux de tailles limitée définissant et contrôlant les politiques
publiques et les opérateurs chargés de mettre en œuvre ces politiques) ;
-la simplification radicale de
l'organisation territoriale : uniquement 2.500 communes et 7 régions avec
suppression du département.
Même si le package de réformes de
Jaffré et Riès peut sembler caricatural, il n'en a pas moins de nombreux points
de ressemblance parfois troublants avec les potions que les pays d'Europe du
Sud sont en train d'absorber.
Conséquences
économique et sociale
Pour Jaffré et Riès, la purge sur
la dette publique se traduit par une récession brutale au cours des deux années
qui suivent la crise, avec multiplication des faillites, explosion du chômage,
réduction drastique du pouvoir d'achat et augmentation très forte de
l'émigration. On retrouve ici encore en 2006 une vision bien corrélée avec la
situation grecque (réduction du PIB de 22% en 4 ans entre 2009 et 2013, avec
une prévision gouvernementale d'arrêt de la récession en 2014.
Maintenir l'ordre
public et cohésion sociale
Pour le gouvernement, le respect
de l'état de droit devient immédiatement une priorité avec la crainte d'une
combinaison entre 1995 (agents publics & transports) et 2005 (banlieues).
Le gouvernement prépare donc un dispositif législatif et pratique pour faire
face à cette situation, marquée de toute façon par des manifestations de masse.
Sauver le système
bancaire
La crise bancaire ne dure que
quelques jours avant l'apport inconditionnel de liquidités aux banques
impactées par la crise française et la baisse des taux directeurs. Il n'en a
pas moins fallu pour les deux auteurs la fermeture pendant une semaine des
agences bancaires françaises et le gel des avoirs sur livret A.
La crise systémique a été évitée
mais il y a toutefois dans le scénario des conséquences lourdes pour le système
bancaire français : fragilisation considérable des banques ayant beaucoup de
dette française à l'actif de leur bilan avec risque de passage de banques
françaises sous pavillon étranger compte-tenu des besoins de recapitalisation,
de la baisse de l'activité bancaire (réduction des crédits du fait de la
récession économique), ce qui entraîne une réduction-restructuration du
secteur.
Pour Jaffré et Riès, la situation
semble politiquement un peu plus facile que dans la fiction de Koenig, puisque
les évènements ont lieu quelques semaines seulement après les élections
nationales et sans écart majeur avec les propos de campagne.
La communication de crise de
l'exécutif insiste donc sur « la nécessité d'un plan de redressement national
de cinq ans », « le rappel de l'attachement à l'ancrage européen de la France
», des douloureuses décisions à court terme (paiement partiel des traitements
et des fonctions, fermeture des agences bancaires) et l'importance du maintien
de l'ordre public.
Il faut noter que la crise arrive
chez Jaffré et Riès sous un gouvernement de centre droit. Aucun rapport avec la situation actuelle donc ! Le PS est dans
l'opposition mais va être de plus en plus déchiré entre une ligne légitimiste
d'opposition modérée à l'exécutif (accent sur l'équilibre des sacrifices dans
la gestion de la crise, vigilance contre des tentations autoritaristes du
gouvernement et l'action violente des minorités) et une ligne souverainiste
anti-Europe et anti-euro. Presque on dirait "les frondeurs" tels qu'ils paraissent ajourd'hui ! Pour Jaffré et Riès, la réduction inéluctable du
secteur public dans les réformes liées à la crise va priver le parti d'une
fraction importante de sa base militante et électorale et le parti finit par
éclater en deux composantes (une majorité social-démocrate et une minorité
révolutionnaire). On s'y croirait ?
L'extrême gauche se mobilise très
fortement contre cette « offensive contre la classe ouvrière » provoquée
par une agence de notation américaine, certains groupuscules allant jusqu'à
envisager un retour à la violence politique.
En tout état de cause, la crise
profite électoralement aux partis aux bordures de l'échiquier politique qui
progressent massivement dans les sondages et intentions de vote. En ce moment, il s'agit précisément du Front National ! Force est de
constater que la vision des auteurs entre ici encore en résonance avec la
situation grecque, marquée depuis 2008 par la forte montée en puissance de
Syriza (extrême gauche) et Aube Dorée (extrême droite) et l'affaiblissement très
importante des deux grands partis historiques de gouvernement, même s'ils
demeurent associés au gouvernement à ce jour.
Conclusion
Les deux ouvrages se complètent
bien et la fiction permet dans les deux ouvrages des présenter de façon décapante
une vision du futur économique et budgétaire de notre pays.
Mais seul le livre de Jaffré et
Riès décrit dès 2006 « le jour d'après », mais sans le retour d'expérience qu'a
permis la crise de la zone euro et les débats qui ont suivi sur l'équilibrage
entre rythme adéquat de rétablissement des comptes publiques et maintien d'un
niveau minimal d'activité.
Attention, il s’agit de fiction !
je vous parlais précédemment de …malaise !
Comme la peur vient de l’inconnu,
voici l’inconnu démystifié, et le catalogue des mesures (brutales) possibles :