Je vous ai déjà raconté l’histoire de Graëlls dédiant un papillon (mais quel papillon) à la reine Isabelle d’Espagne. Une bien belle histoire, de pure galanterie espagnole, telle qu’on les lit dans les livres de contes, vous savez ceux que la maman lit aux enfants avant de dormir, aux alentours de Noël. Je vous engage naturellement à relire ce joli conte à vos enfants, c’est le moment !
Eh bien voilà-t-il pas que Jérôme me raconte une histoire similaire, sauf qu’elle est contemporaine, qu’elle est vraie, et qu’elle s’adresse à une héroïne moderne, son épouse Annie !
Je vais m’autoriser à vous la raconter, en restant discret bien entendu, sauf à puiser dans mes souvenirs d’hier et à extraire la substantifique moëlle d’une publication très officielle extraite pages 361 à 365 de la revue savante Nota lepid.30. Comme moi vous ignoriez tout de cette revue, sauf à cliquer sur le lien qui suit naturellement : http://www.soceurlep.eu/
Vous tombez (comme je le fais aussi) sur la Societas Europaea Lepideropterologica (ils parlent latin dites-donc !) qui nous annonce la tenue de leur 28ème congrès (2013) du 29 juillet au 4 août à Blagoevgrad (c’est en Bulgarie). Il ne faut pas rater ça ! Le frontispice de la page web est illustré d’un magnifique exemplaire de Thaïs, très attirant car il s’agit bien d’une belle espèce, rare, répandue dans toute l’Europe, et qui se nomme Diane en langage courant : une aussi belle Effigie que Beethoven au moins ! Moi, je préfère !
La cotisation n’est pas bien chère, 35 Euros, et les thèmes de haut niveau scientifique, à telle enseigne que signent des Docteurs, des docteurs germaniques par exemple, comme le trésorier Treasurer Robert Trusch, Staatliches Museum für Naturkunde, Erbprinzenstr. 13, D-76133 Karlsruhe, Germany. Les membres fondateurs regroupent : le President : Dr. Rienk de Jong (Leiden , Netherlands ) ; Vice President : John Heath (Monks Wood , UK ). General Secretary : Günter Ebert (Karlsruhe , BRD). Treasurer : Dr. Hans-Eckmar Back (Bonn , BRD). Membership Secretary : Dr. P. Sigbert Wagener (Bocholt , BRD). Meeting Secretary : Dr. Georges Bernardi (Paris , France ). Editor : Otakar Kudrna (Portsmouth, UK). Ouf vous avez noté comme moi qu’il y a un Français (ou plutôt un parisien) dans les membres fondateurs !
Si vous avez quelque chose à dire, que vous avez découvert une espèce nouvelle par exemple, vous publiez votre note, comme vient de le faire Jérôme Pagès. Je tente de reproduire le début :
JÉRÔME PAGÈS
Agrocampus, 65 rue de Saint-Brieuc, F-35042 Rennes cedex;
Résumé. Pseudochazara annieae sp. n. a été découvert dans la vallée de Swat (Nord Pakistan). Le mâle est immédiatement reconnaissable par ses ailes antérieures de couleur brun gris foncé ne présentent qu’une faible trace de bande postmédiane et ses ailes postérieures présentant, sur le même fond brun gris foncé, une bande postmédiane fauve orangé. La femelle présente ces mêmes caractéristiques à un degré moindre avec un fond brun clair. Dans les deux sexes, le revers des postérieures est gris avec des lignes postmédiane et antémarginale bien marquées. L’habitus des mâle et femelle est illustré en couleur en vues dorsale et ventrale. L’habitus de Pseudochazara droshica (Tytler), l’espèce la plus semblable à P. annieae, est également illustré.
Abstract. Pseudochazara annieae sp. n., was discovered in the Swat Valley (Pakistan ). The male can be distinguished immediately from the other Pseudochazara by its dark grey-brown forewings with only a trace of a postdiscal band and by a orange postdiscal band on the hindwings. The female presents the same features but less prominent and with a clear brown background. In the two genders, the verso of the hindwings is grey with marked postdiscal and sub-marginal lines The abitus is illustrated in colour for both sexes in dorsal and ventral view. Pseudochazara droshica (Tytler), the species most similar to P. annieae is also illustrated.
Je dois fouiller dans mes souvenirs de Bretagne : nous sommes dans la période 1993-1998, je suis DRAF de Bretagne, adresse prestigieuse, 1 rue de Montfort. Un immeuble reconstruit après l’incendie de 1720, l’immeuble a donc 265 ans, escalier en chêne noirci par l’immersion en mer comme on le faisait alors pour les coques de bateaux. Mêmes architectes Pierre le Mousseux et Jacques-Jules Gabriel, que le Haras du Pin. Mêmes lambris, des vitraux dans le couloir d'entrée, un appartement de Haut Fonctionnaire ! Je côtoie fréquemment l’intelligentsia de l’Enseignement Supérieur agronomique, représenté par l’ENSAR, l’Ecole Nationale Supérieure d’Agronomie. Mais aujourd’hui on dit Agrocampus-Ouest, Agro c’est bien l’agronomie, mais campus fait plus américain, et inclut Angers dans ce qui est un réseau de Grandes Ecoles d’Agronomie. Le Directeur est un Agro, Pierre Thivend, qui organise les cérémonies du centenaire de son Ecole, et publie un livre à l’occasion. Il y a le Professeur Pierre Aurousseau, qui modélise la Bretagne en 3D, et simule par ordinateur la dépollution des nitrates dans un modèle inspiré des travaux de Dassaut. On ne nous écoute pas dans le cadre des travaux officiels de Bretagne Eau pure pour prévenir l’envahissement des algues vertes. Et on substitue à nos propositions basées sur la géographie et la biochimie des normes administratives, interdisant par exemple de cultiver une bande de 3 m le long des cours d'eau, alors qu'ici le sous-sol et la pente exigeraient 5 m ; et là il serait possible localement de supprimer tout recul : on voit le piètre résultat aujourd’hui de normes administratives systématiquement découplées de la réalité. Et je fais la connaissance d’un Professeur de mathématiques, Jérôme Pagès, parce que nous avons un même loisir soigneusement caché : les papillons. Moi j’ai cessé de chasser. Lui continue. Comme il ne trouve plus d’espèces nouvelles en France, il se déplace beaucoup pendant ses vacances, et se rend en Himalaya et au Pakistan. Des endroits encore vierges de pesticides. Il possède une collection impressionnante, un patrimoine en péril : je me souviens encore ses prophéties, sur les pâturages surpâturés par les chèvres (il faut bien répondre à la demande croissante de cachemire) et le risque que les chenilles n’aient plus rien à manger donc que les adultes disparaissent. C’est un grand observateur de la biodiversité, et ses observations sur le systèmes sol-herbe-chenilles-papillons sont passionnantes.
photo J Pagès de Polyommatus ashretha...l'arrière-plan est sublime ! |
Evidemment, passer ses vacances à arpenter les steppes, ou mieux les versants caillouteux et déserts des biotopes naturels, peut être passionnant pour un chercheur, et relativement ...austère pour son épouse. Et pourtant, abandonner son époux à ce moment privilégié des congés où les couples se rendent à Ibiza, Nice ou Gstaad, (Swiss holidays in the Bernese Oberland) serait une rupture ! Donc, Annie suit, accompagne son époux, le soutient dans ses moments de doutes (tous les chercheurs ont leurs moments de doutes, et leur épouse dans ce cas précis joue un rôle de soutien essentiel, à tel point que le chercheur étant récompensé (par une médaille-méritée) déclarera dans son discours de remerciement tout ce qu’il doit à son épouse-sans-qui-il-n'aurait-pu-aussi-bien-trouver).
Et voilà que Jérôme tient son papillon. C’est un Satyride, un de ces papillons d’été marron, dont les dessins sont destinés à les camoufler dans l’ambiance pré-automnale qui se dessine déjà dans les couleurs du paysage. Je vous renvoie aux lépidoptères en question :
Bravo Jérôme. Et surtout, bravo Annie. Jérôme a rendu Annie immortelle. Il lui fait ce compliment, intégré tel quel dans la publication. Il parle d’Annie au présent (l’aventure c’est maintenant), on a l’impression qu’il y en a eu déjà beaucoup, et qu’il va y en avoir encore d’autres. Je cite dans le texte :
« Etymologie. Cette espèce est dédiée à mon épouse Annie, qui m’accompagne dans
bien des aventures ».
On leur en souhaite des tas pour la nouvelle année 2013 !
A propos : si vous avez des loisirs à Paris, rendez vous donc au Musée d’Histoire Naturelle : vous y verrez l’holotype !
d'habitude, les marges claires latérales (encore visibles en bas chez la femelle), sont beaucoup plus contrastées |