Une fois de plus, je me promène dans saint-Bertrand, profitant du peu de visiteurs pour flâner porte Cabirole, au Nord de la Cathédrale, puis aux Olivetains. La bibliothèque est toute jolie, et le livre sur Parayre m'attire, me rappelant des souvenirs : la bibliothèque de Toulouse rue Périgord, et les deux sculptures devant : deux représentations de la Littérature, la classique, et la moderne. Le sculpteur est Henry Parayre.
Sculpteur de l’Entre-deux-guerres par excellence, Henry Parayre développe un art sobre, privilégiant « l’expression intérieure » dans les nus féminins et les portraits qu’il façonne. Un style néo-classique en rupture totale avec l’art académique mais n’empruntant jamais la voie de l’avant-garde de l’époque. Dès les années 20, sous l’influence du peintre Marcel-Lenoir et du poète Marc Lafargue, le sculpteur toulousain s’est rapproché de l’esthétique de Joseph Bernard et d’Aristide Maillol. Les critiques, y compris parisiennes, ont accueilli de plus en plus favorablement son œuvre et l’artiste s’impose rapidement comme le chef de file de la sculpture toulousaine.
En ce début du xxe siècle,
Toulouse « la palladienne » apparaît comme un centre artistique privilégié par
rapport à beaucoup d’autres villes de province. Il y existe par tradition un
courant d’intérêt en faveur des arts plastiques assez comparable, toute
proportion gardée, à celui que connaît alors le bel canto, le grand sujet de
fierté de la Ville rose. Un tel état d’esprit avait encore été développé par la
notoriété nationale, et même internationale, à laquelle avaient su parvenir
dans le dernier quart du xixe siècle les « Toulousains », Henri Martin,
Benjamin Constant ou Jean-Paul Laurens en peinture, les sculpteurs Falguière ou
Antonin Mercié pour ne citer que les plus célèbres. Le contexte se révélait
donc particulièrement favorable à l’éclosion de jeunes talents, même si ces
derniers ne partageaient pas toujours les conceptions artistiques de leurs
aînés.
C’est dans ce milieu privilégié que le jeune sculpteur Henry Parayre, à peine rentré de Paris en 1905, allait prendre une part active dans la fondation de la « Société des artistes méridionaux » avec un groupe d’amis : Maurice Alet, Castan, Guénot, Vivent... Ils avaient en commun, dans un souci de régénération, le désir de rompre avec l’académisme de l’école toulousaine et de promouvoir un art moderne, un art vivant « ayant des racines au cœur même du peuple ». Leur démarche qui s’inscrit dans un mouvement beaucoup plus vaste, d’ampleur européenne, s’inspire sur place de l’enseignement de Jean Rivière, professeur de sculpture décorative à l’école des Beaux-Arts depuis 1872. À la fois peintre, sculpteur et ébéniste, celui-ci exerça une influence souvent déterminante auprès de ses élèves. En fait, les « méridionaux » ont repris à leur compte l’une des idées maîtresses de Jean Rivière, selon laquelle la régénération artistique se réalisera d’abord par la promotion des arts décoratifs, conséquence elle-même de ce renouveau de l’artisanat et de l’apprentissage auxquels Parayre devait bientôt se consacrer. Leur catalogue de l’exposition de 1909 ne mettait-il pas en exergue la pensée d’Anatole France : « Les Beaux-Arts et les Arts industriels ne se séparent pas. Ils sont l’art, l’art source de toutes les joies » ?
Henri, Ernest, Anaclet Parayre est né le 9 juillet 1879 à Toulouse. Il était issu d’un milieu très modeste,
d’un père inconnu et d’une mère, femme de chambre dans un château de la région
toulousaine, qui meurt de la tuberculose alors qu’il n’a pas trois ans. Ce sont
les grands-parents qui ont recueilli l’enfant de leur fille unique. Son
grand-père, Hugues Parayre, était menuisier à Toulouse. L’enfance
d’Henri se passa dans l’atelier familial où il s’amusa, comme tout enfant de
son âge, à assembler et à sculpter les chutes de bois. En grandissant, de plus
en plus habile de ses mains, il aida son grand-père et devint apprenti dans
l’entreprise familiale. Devant la facilité avec laquelle leur petit-fils
apprenait le métier et surtout devant son caractère créatif et curieux, les
grands-parents l’inscrivirent, en 1892, aux cours du soir de l’école des
Beaux-Arts de Toulouse
Dans la première décennie de sa
vie, l’artiste évolue donc dans un milieu peu fortuné, mais où il est en
permanence au contact de la taille du bois. Il est d’ailleurs important de
souligner l’importance de ce type d’éducation puisque de nombreux sculpteurs
comme Abbal, Bernard, Bourdelle ou Wlérick ont grandi dans l’atelier familial
d’ébénisterie ou de taille de pierre. Cette génération a souvent bénéficié d’un
long apprentissage et d’une connaissance parfaite des métiers du bois ou de la
pierre avant de se risquer à la création. Cet amour du travail, cette connaissance
de la technique et ce regard d’artisan suivront Parayre toute sa vie.
La mort de son grand-père au mois de mars 1900, six ans après celle de sa grand-mère, le laisse sans attache familiale lorsqu’il termine de brillantes études à l’école des Beaux-Arts. Il décide alors de poursuivre sa formation à Paris, étape quasiment obligatoire pour tout jeune artiste voulant réussir dans sa discipline. Ses très bons résultats à l’école toulousaine lui permettent d’entrer dans l’atelier de Paul Dubois, membre de l’Institut et directeur de l’École nationale des Beaux-Arts. Cet artiste fait partie, avec les sculpteurs Chapu ou Falguière, du groupe des « florentins », ainsi dénommés car ils s’inspirent des toscans du Quattrocento, de Donatello en particulier, beaucoup plus que de l’Antiquité gréco-romaine. Paul Dubois a atteint la célébrité grâce, en particulier, à des bustes comme ceux de Louis Pasteur ou du peintre Bonnat. Parayre suit ses cours assidûment et apprend beaucoup auprès de lui, en particulier dans la technique et le goût du portrait qu’il conservera tout au long de sa carrière. Sa Tête florentine exposée en 1922 rend hommage à l’enseignement de Dubois et à son style élégant inspiré par la Renaissance italienne.
Mais le jeune provincial s’adapte
mal à la capitale et ne fréquente guère les cercles artistiques et
intellectuels. Ses visites privilégiées sont les musées parisiens et en
particulier le Louvre. Le mal du pays le pousse en 1904 à retourner vers sa
ville natale. En 1905, il part à Béziers où il vient d’épouser Jeanne Duprat
dont il aura son unique enfant – Elisabeth – la même année. Il travaille alors
chez son beau-père, entrepreneur en monuments funéraires, pour qui il sculpte
bustes et bas-reliefs destinés à prendre place sur les caveaux. Le cimetière
vieux de la ville conserve encore plusieurs de ces œuvres.
Il retourne à Toulouse en 1907,
définitivement cette fois, jusqu’à l’année de sa retraite en 1942. Son ancien
professeur Rivière lui propose un poste de contremaître à l’atelier des Arts du
bois de l’école des Beaux-Arts. Celui-ci fonctionne dès lors comme une école
d’apprentissage et, à la mort de Rivière en 1922, Parayre lui succède à la
direction de cet atelier. Pour Parayre, le renouveau des arts décoratifs passe
d’abord par celui de l’apprentissage. Cette nouvelle fonction ainsi que son
expérience personnelle lui permettent d’en parler avec compétence. Il se lance
alors dans une série d’initiatives liées à des projets industriels concernant
les arts décoratifs. En 1910, il publie une plaquette intitulée « La crise de
l’apprentissage ». Elle vient s’inscrire dans la préparation du congrès annuel
de l’Union provinciale des Arts décoratifs qui, après Munich et Nancy, est
organisé cette année-là à Toulouse par la Société des Artistes méridionaux.
Parayre y préconise une série de mesures pour améliorer la formation des jeunes
apprentis et permettre ainsi d’arrêter « le mouvement décadent de nos
industries d’art ». Ses publications, accompagnées parfois de conférences, sont
très appréciées. Elles le font désigner en 1917 par le préfet de la
Haute-Garonne comme rapporteur général du comité des Arts appliqués de la
région de Toulouse, chargé de répondre à l’enquête nationale lancée par le
sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts. En pleine guerre, il s’agit de définir
pour l’avenir les moyens destinés à « combattre efficacement la concurrence des
produits ennemis (c’est-à-dire allemands et autrichiens) à caractère artistique
».
Il se consacre également aux arts
décoratifs dès 1914, en travaillant avec la faïencerie du Matet, de
Martres-Tolosane, où on lui demande de créer une nouvelle collection adaptée
aux goûts du jour, ceci afin de relancer une industrie en perte de vitesse. Il
crée de nombreux modèles inspirés de formes anciennes et rappelant tantôt des
vases antiques, tantôt la vaisselle languedocienne des XVIIIe et XIXé siècles.
Les motifs du décor appliqué s’inspirent de la nature, tels les fleurs, les
épis de blé ou les escargots annonçant le style Art déco. L’engouement escompté
n’est malheureusement pas au rendez-vous et cette aventure ne dure que quelques
années. Parayre n’est pas pour autant découragé puisqu’en 1918 il prend la
responsabilité d’une usine de meubles située à Lalande près de Toulouse,
travaillant pour le compte des Galeries Lafayette de Paris, une démarche
intimement liée à la formation qu’il dispense à l’école. Mais là encore,
l’entreprise ne s’avère guère rentable, et la production doit s’arrêter..
Deux commandes essentielles dans la production de l’artiste sont passées en 1933 et 1934 ; elles sont liées au vaste programme de la mairie de Toulouse qui construit la bibliothèque et le parc des sports. Là, Parayre n’est pas entravé par le fait d’évoquer la mémoire d’un homme, il peut donc laisser libre court à son esprit créatif. Et, très logiquement, il fait à nouveau appel au nu féminin. Il conçoit pour la bibliothèque deux superbes nus, respectivement intitulés : "Littérature classique", et "Littérature moderne" : le premier dans une attitude classique, la tête légèrement penchée, le bras posé sur un arbre avec autour des reins un léger drapé ; l’autre, plus sensuel, lève les bras au niveau de la tête, donnant une impression d’élan qui contraste avec la plénitude de la Littérature classique.
le triomphe de Clémence Isaure par Gustave Violet en haut du fronton |
les Trois grâces toulousaines de Violet |
La deuxième commande concerne la piscine municipale pour laquelle Parayre a conçu un groupe. Pour représenter la mère, il reprend une figure de jardin exécutée en 1932, et il y ajoute un jeune enfant à ses côtés, donnant ainsi à la composition un aspect pyramidal. Doit-on voir dans cet assemblage une réponse à la nécessité de livrer l’œuvre en quatre mois comme l’exigeait le commanditaire, ou tout simplement une volonté délibérée de l’artiste ? Quoi qu’il en soit, ce groupe est particulièrement bien construit, son horizontalité lui confère une grande stabilité, évoquant ainsi le sentiment de protection qu’une mère offre à son enfant....
... surtout s'il patauge seul dans l'eau !
il fallait bien s'attendre à quelques naïades !
Henry connaissait-il le Trophée de Saint-Bertrand, avec la Victoire d'Actium entourée de dauphins ?
dans quelques jours, je vous montrerai les Trois Grâces
de Janniot, vous repenserez alors à
Henry Parayre
amis Toulousains, faites un tour rue du Périgord !