Le Monastère de Santes Creus est proche de chez nous, une
demi-heure de voiture, et après toutes ces années il était temps de lui rendre
visite ! En latin, le vrai nom est Sanctae cruces : question
immédiate : existe-t-il ici des morceaux de la vraie croix ? Explication :
vers 1170, la communauté s'installe définitivement dans le site actuel, en
changeant son nom pour celui de Santes Creus, que la tradition connecte à quelques
croix lumineuses apparues dans la soirée à cet endroit. On n’en saura pas davantage !
En espagnol on doit dire : Real Monasterio de Santa María de Santes Creus,
et en catalan Reial Monestir de Santa Maria de Santes Creus). C’est une abbaye
cistercienne construite au XIIè siècle située en bordure de la commune de
Aiguamurcia, dans la province de Tarragone (Espagne), par des bâtisseurs … venant du Languedoc ! Pour tout vous
dire, obsédé par le lavabo de Bonnefont (1), je voulais voir à quoi ressemble cet
édicule dans une abbaye d’époque encore intacte. Vous allez donc le voir, le
lavabo roman, clône de Bonnefont, dont l’âge atteint quelque mille ans !
il faut oser franchir la porte 4 en voiture, puis franchir le porche 3 permettant d'accéder à la place 2 On se gare au milieu des voitures du coin, et on cherche l'entrée |
Surprise à l’arrivée : sens interdits partout,
impossible d’entrer sauf à être riverain…ce qu’une exploration à pied permet d’expliciter,
je reconnaitrai vite comment entrer dans la cité construite autour d’une
immense place, où les voitures (espagnoles) sont apparemment tolérées.
Je repère une britannique logeant dans le gite voisin, elle
m’indique la réception heureusement ouverte. Le temps de dire que je suis
jubilado, le prix d’entrée descend à 4,4€, et je puis entrer : direct dans
le lavabo !
en fait il y a trois cloitres, celui de l'entrée est mignon comme tout mais ce n'est pas celui de l'abbaye |
En accord avec le schéma d'organisation de l'Ordre
cistercien, le cœur du monastère est formé ici comme ailleurs par les trois
pièces principales de la vie des moines : l'église, le cloître adossé et la
salle capitulaire. Les bâtiments qui complètent l'ensemble sont le réfectoire,
le parloir, la salle des moines (ou le scriptorium) et, au deuxième étage, le
dortoir commun.
En plus du groupe de bâtiments détaillés ci-dessous, il y en
a d'autres d'utilisation disparate comme les cuisines, le réfectoire, l'infirmerie,
les chambres des moines à la retraite, (nos fameux jubilados) le cloître postérieur, le Palais Royal et un
espace réservé au cimetière. Il existe aussi la chapelle primitive de la
Trinité, le Palais de l'abbaye, la chapelle de Sainte Lucie et l'Arc Royal
d'accès à la place de Saint Bernard.
L'espace central d'une abbaye est son cloître (claustrum) autour duquel s'agencent tous les
autres bâtiments. Quadrilatère plus ou moins régulier formé par quatre galeries
(le chiffre quatre symbolisant les quatre évangiles, les quatre vertus
cardinales, les quatre éléments...), il enferme un jardin souvent agrémenté de
deux points d'eau : un puits et un lavabo (pour les ablutions). C’est la projection
du Paradis sur terre, et les orangers couverts de fruits évoquent immédiatement
le jardin des Hespérides !
J’ai consulté pour vous la Règle de Saint-Benoit (2), qui affiche
que signe d’un cœur pur, les moines devaient se laver les mains plusieurs fois
par jour, surtout en revenant des travaux des champs : d’où l’importance
du lavabo collectif, rond, dont les jets doivent couler en permanence : si
l'hygiène était parfois rudimentaire (peu de bains et de changements de
vêtements), les moines se lavaient plusieurs fois par jour le visage et les
mains.
C’est à la demande du roi Jacques II d'Aragon et avec son
appui, que l'abbé Pedro Alegre commença en 1313 la démolition du cloître roman,
(sauf le lavabo) et la construction du nouveau cloitre gothique, sans modifier
les autres bâtiments existants autour (l'église, la salle capitulaire, les
fermes). Voilà l’explication du faste quasi royal qui règne ici, sans rapport
avec la rigueur habituelle de la règle des moines cisterciens.
(2)
Extraits
de la règle de saint Benoit
CHAPITRE 66
Des portiers du monastère
À
|
La porte du monastÈre, on placera
un homme d’âge mûr, expérimenté, qui sache recevoir et fournir un
renseignement, et dont la maturité le garde de courir ca et là.
Ce portier
aura sa cellule près de la porte, pour que les arrivants trouvent toujours
présent quelqu’un qui les renseigne.
Dès que
quelqu’un aura frappé, ou qu’un pauvre aura appelé, il répondra « Deo
gratias » ou « Benedicite », et, avec toute la sérénité que donne la crainte de Dieu,
il s’empressera de répondre dans la ferveur de la charité.
S’il en a besoin, le portier recevra
l’aide d’un frère plus jeune.
S’il est possible, le monastère sera construit de telle façon que tout le
nécessaire, à savoir l’eau, le moulin, le jardin, soit à l’intérieur du
monastère et que s’y exercent les différents métiers, pour que les moines ne
soient pas forcés de se répandre à l’extérieur, ce qui ne convient nullement à
leur âme.
Nous voulons que cette règle soit lue
fréquemment en communauté pour qu’aucun frère ne prétexte son ignorance.
CHAPITRE 68
Si un frère se voit enjoindre
quelque chose d’impossible
|
’Il arrive qu’un frÈre se voit
commander une chose difficile ou impossible, il recevra en toute sérénité et
obéissance l’ordre formulé.
Si le poids
de cette charge lui semblait excéder par trop la mesure de ses forces, il
soumettra avec patience et en temps opportun à son supérieur les motifs de son
incapacité, et cela sans arrogance, sans affrontement, sans polémique.
Cette remarque faite, si le
supérieur maintient son ordre, le plus jeune saura que cela lui est avantageux.
Alors, mû par la charité et confiant en l’aide de Dieu, qu’il obéisse.
CHAPITRE 72
Du bon zèle que doivent avoir les moines
|
E mÊme qu’il y a un zÈle amer, mauvais,
qui sépare de Dieu et mène à l’enfer,
de même il y a un bon zèle qui
sépare des vices et mène à Dieu et à la vie éternelle.
Les moines exerceront donc ce zèle
avec toute la ferveur de l’amour, c’est-à-dire qu’ils se préviendront d’égards
les uns les autres, supporteront avec une extrême patience leurs infirmités
physiques et morales, rivaliseront d’obéissance les uns les autres.
Nul ne cherchera ce qu’il estime
être utile à lui-même, mais ce qui l’est à autrui.
Ils se témoigneront un chaste amour
fraternel.
Ils auront pour Dieu une crainte
d’amour.
Ils
aimeront leur abbé d’un amour humble et sincère.
Ils ne préféreront absolument rien au Christ, qui veuille nous conduire tous ensemble à la vie éternelle.
Ils ne préféreront absolument rien au Christ, qui veuille nous conduire tous ensemble à la vie éternelle.
La Règle de Saint Benoît Chapitre
72
Les
Conférences des Pères, leurs Institutions et leurs Vies, et la Règle de notre
Père Saint Basile, que sont-elles sinon des outils de vertus pour des moines
obéissants et de sainte vie ?
Tandis que
pour nous, paresseux, de mauvaise vie et négligents, il y a de quoi rougir de
honte.
Qui que tu
sois donc qui te hâtes vers la patrie céleste, accomplis, avec l’aide du
Christ, cette petite règle pour débutants, alors, sous la garde de Dieu, tu
parviendras à ces plus hauts sommets de doctrine et de vertu dont nous avons
parlé ci-dessus.
AMEN !
Il faut lire les 71
chapitres qui précèdent, notamment le chapitre 4, dont voici les premières
lignes !
CHAPITRE 4
Quels sont les instruments
pour bien agir ?
|
’Abord aimer le Seigneur Dieu
de tout son cœur, de toute son âme et de toutes ses forces.
Ensuite, le prochain comme
soi-même.
Puis ne pas tuer.
Ne pas commettre d’adultère.
Ne pas voler.
Ne pas convoiter.
Ne pas porter faux témoignage.
Respecter tous les hommes.
Et ne pas faire à autrui ce qu’on
ne veut pas qu’on nous fasse.
Renoncer à soi-même pour suivre le
Christ.
Mater son corps.
Ne pas s’attacher aux plaisirs.
Aimer le jeûne.
Restaurer les pauvres.
Vêtir qui est nu.
Visiter les malades.
Ensevelir les morts.
Aider les tourmentés.
Consoler les affligés.
Se tenir à l’écart des affaires du
monde.
Ce n’est pas fini, mais je vous
laisse trouver vous-même la suite !
PS (1) : Bonnefont :
suivent une bonne douzaine de chapitres sur l'abbaye aux trois cents colonnes !
(juillet-aôut 2015)
...à suivre,
deux billets !