Comme c’est triste, ce spectacle
des éleveurs inquiets pour leur sort, qui tentent de défendre, avec leur boulot, notre mode de vie, le modèle français, fait de « savoir vivre et savoir
manger »…..
Je trouve ces propos d’ Edgar
Morin, inquiet de voir les hommes avancer «
comme des somnambules vers la catastrophe ». Le philosophe se dit affligé
par la pauvreté de la pensée contemporaine, mais affirme déceler sur la planète
de multiples signes, certes atomisés, qui augurent de futures métamorphoses.
Pour lui qui a traversé le XXe siècle, c’est dans « l’inespéré que réside l’espoir ».
A condition de maintenir la
résistance face à la « double barbarie du
vichysme rampant et du néolibéralisme ».
évidemment, nos amis allemands vendent dans cet établissement davantage de porcs allemands que bretons ! |
Edgar Morin, comment
va notre monde ?
Il va de mal en pis. Les
processus qui nous poussent vers des catastrophes – dont on ne peut prévoir ni
la date ni l’ampleur, mais qui seront certainement interdépendantes –
continuent. Je pense à la dégradation globale de la biosphère. Les Etats ne
sont pas prêts à quitter à la fois ce qui constitue leur égoïsme et leurs
intérêts légitimes. Je pense à la prolifération des armes nucléaires qui se
poursuit, au recours à l’énergie nucléaire pacifique, dont aucun effort
sensible, hormis quelques exemples locaux, comme en Allemagne (Le pays va
abandonner totalement l’atome d’ici à 2022, ndlr), ne vise la réduction
massive. Je pense, bien entendu, à l’économie, qui est non seulement dérégulée,
mais saute de crise en crise. Ce système est dirigé par des économistes
dominants qui représentent la doctrine officielle pseudo-scientifique et
continuent de nous assurer que tout va bien. Je vois l’Europe toujours au bord
de la décomposition, sans que l’élan nouveau d’une métamorphose ne se produise.
J’observe la domination insolente de la finance sur le monde qui dure, y
compris à l’intérieur des partis politiques. Le poids de la dette que l’on fait
peser sur nos têtes sans que l’on essaie de réfléchir pour voir si elle est
remboursable et quelle est la part justifiée… Enfin, j’ajoute à cette crise
économique et de civilisation ce paradoxe incroyable qui fait que l’on continue
à apporter comme solution aux pays – qu’on appelle – en voie de développement
ou en cours d’émergence, la solution du monde occidental, alors que notre
civilisation elle-même est en crise. Notre civilisation malade, voyez-vous, se
propose comme une médecine pour les autres ! Elle apporte avec elle la dégradation
des solidarités.
Votre constat est très
sombre…
Je ne vois pas, sinon dans
l’inespéré, la lueur de l’espoir. Toutes ces conditions critiques provoquent
des angoisses tout à fait compréhensibles, car il existe une perte d’espoir en
l’avenir. La précarité grandit. Pas seulement chez les jeunes et les vieux,
mais aussi au sein des classes moyennes qui se trouvent déclassées. La
précarité de tous les êtres humains grandit au rythme de la dégradation de
l’état de la planète. Et au fond cette précarité devient source d’angoisses qui
elles-mêmes emportent vers des régressions politiques et psychologiques très
graves.
Lesquelles ?
Nous en voyons les premiers
symptômes avec l’émergence de ceux que l’on appelle sottement les « populistes » car on n’a pas trouvé le
mot pour les qualifier. Ce sont des formes de recroquevillement sur des
identités nationales ou raciales, avec des phénomènes de rejet. Regardez la
France : les boucs émissaires y prolifèrent. Vous avez un fantasme d’invasion
de migrants africains, maghrébins et roms. J’y vois personnellement un signe
clair de la dégradation de l’esprit public. Regardez les manifestations contre
le mariage pour tous. L’état d’esprit au moment de ce mouvement était tel
qu’une grande partie de la population attachée à l’idée du mariage, au lieu d’y
voir une extension de la sacralisation du mariage – puisque même les
homosexuels en voulaient –, y ont vu une profanation !
Le recroquevillement a
même été plus loin…
Les familles – elles-mêmes en
crise depuis des années avec la fin de la grande famille, le fait que les vieux
sont éjectés dans des asiles, que les couples se séparent – sont allées
chercher de nouveaux fantasmes. Elles se sont jetées sur la rumeur de la
disparition de l’enseignement du sexe humain. Tout cela est tout à fait
malsain. D’autant plus que ces idées stupides se répandent au milieu d’un vide
de la pensée politique, un vide de la pensée sociologique et historique.
Ce que vous appelez
notre « somnambulisme » gagne donc du terrain.
Les signes inquiétants se
multiplient et s’aggravent. Pendant ce temps, on agite nos gris-gris de la
compétitivité et de la croissance. Nous sommes enfermés dans des calculs qui
masquent les réalités humaines. On ne voit plus les souffrances, les peurs, les
désespoirs des femmes, des hommes, des jeunes, des vieux. Or, le calcul est
l’ennemi de la complexité, car il élimine les facteurs humains qu’il ne peut
comprendre.
Nous sommes devenus
aveugles. Pourquoi ?
On nous a enseigné à séparer les
choses et les disciplines. Nos connaissances sont compartimentées. S’il y a
toujours eu des phénomènes complexes, cette complexité s’est accrue avec la
mondialisation. Résultat, notre pensée s’avère de plus en plus incapable de
traiter les problèmes à la fois dans leur globalité et dans les rapports de
cette globalité avec les parties. Pour s’en sortir, il nous reste les rapports
d’experts, qui sont eux-mêmes des rapports de spécialistes… Et, comme l’on
souffre d’une absence de pensée, on arrive à se convaincre que l’on va trouver
des éléments d’information à l’intérieur de tableaux remplis de chiffres.
Or, plus on a recours aux
chiffres pour comprendre la réalité humaine, moins on la comprend, parce que
les chiffres ne nous parlent ni des souffrances, ni des humiliations, ni des
malheurs, ni de l’essentiel : la
solidarité, l’amitié, l’amour.
Je viens d’entendre sur Europe
Frédéric Mazella, le fondateur de blablacar : il s’exprime en américain,
le langage, après tout, de ceux qui créent, et croient en demain.
Là-bas, l’échec fait partie de la
vie, à condition qu’on sache le dépasser. Car après tout on n’existe que par
les épreuves surmontées :
fail ; learn ; success
échouons. Apprenons de nos échecs. Surmontons, dépassons
ce sera la réussite
ne serait-ce que sur nous-même !
salle des bijoux du Louvre
en 1822, Jean-Baptiste Mauzaisse a peint ce plafond :
"le Temps montrant la ruine qu'il amène et les chefs-d'oeuvre qu'il laisse
ensuite à découvrir"