samedi 1 août 2020

"Racines", le dernier tableau de Van Gogh


Nous sommes fin juillet 1890, 130 ans jour pour jour après le suicide de Vincent Van Gogh. C'est toujours un moment émouvant. Auvers sur Oise sera le lieu où Vincent sera inhumé, un an avant son frère cadet Théo qui l'a rejoint, éperdu de douleur. De vieilles cartes postales ravivent ce souvenir.


Auvers sur Oise à l'époque, est un village du chemin de fer à vapeur. De l'Oise et ses ponts, ses bateaux. Et l'artiste local, c'est Daubigny, le château, la rue, tout tourne autour de lui. A part lui, toujours le château, son jardin, les chaumières, et la célèbre église. Et à part tout cela : des champs, transfigurés par la palette de Vincent.



"le botin", la barque destinée à peindre sur l'Oise, dont la maquette est dans le grand salon décoré


le jardin du château

Que peindre à Auvers ?

les chaumières, les champs ...










... les champs ...

la carriole, et le train au fond

le champ de coquelicots







... et l'été culminant, ce sont les moissons sous le ciel d'orage ...


le fameux champ de blé aux corbeaux

les meules, en Normandie on disait : "les villotes"







Vincent comme toujours travaille d'arrache-pied, observe, crée frénétiquement.

Il peint la fille du docteur Gachet dans son jardin


il peint aussi des arbres, des peupliers, ses arbres sont bleus


Vincent déprime, prend son revolver, se tire une balle dans le ventre

le docteur Gachet n'a pas le droit de le soigner apparemment, Vincent meurt dans d'atroces souffrances...

... et ne finit pas (?) ce dernier tableau : "racines", commencé le jour même



le voici encadré, en quoi n'est-il pas terminé ? (sauf s'il n'est pas signé ?)

C'est là qu'intervient le covid19, je vous assure que c'est la vérité-vraie : Wouter van der Veen, directeur scientifique de l'Institut Van Gogh est confiné, et raconte : -"On était en confinement et je n'avais pas grand-chose à faire, (il avoue) je me suis donc mis à ranger des dossiers", relate-t-il. Parmi eux, deux douzaines de cartes postales anciennes (entre 1900 et 1910) dont celle qui suit :


Il a un copain habitué à transformer les photos des stars dans les magazines grâce à des logiciels sophistiqués comme Photoshop et d'autres mieux encore, et le copain (désoeuvré lui aussi à cause du confinement) crée ce photomontage : à gauche la vérité vraie ; à droite le tableau de Vincent, fasciné par les racines tordues tellement qu'il les représente bleues.


Alors, Wouter van der Veen doute (ce qui fait son mérite d'ailleurs : un scientifique doit toujours douter !). Mais en analysant l'image de plus près, plusieurs détails vont évacuer ses doutes : la boursouflure d'une racine, la disposition reconnaissable de certains troncs, ainsi qu'une forme de couleur ivoire à droite du tableau qui se révèle, sur le terrain, être un mur de calcaire, "toujours visible aujourd'hui", explique-t-il.

"Comment envisager une seule seconde que ce taillis puisse être encore là 130 ans plus tard ? C'est invraisemblable !" s'exclame Wouter van der Veen d'une voix passionnée. Il ignore bien naturellement que chez nous, les taillis cachent l'aqueduc romain de Saint-Bertrand depuis 2045 ans, et que les racines qui ont incrusté le béton romain des moellons sont toujours présentes ! Il ignore (pourtant il ne devrait pas) qu'à saint Rémy de Provence, Vincent a peint un platane avec de grosses racines, et que la platane est toujours là. (oui on dit la platane, qui est féminin, comme la lièvre (lebra)  en occitan). Pour en avoir le cœur net, le chercheur se rend sur place, (une fois le confinement levé), accompagné du président de l'Institut Van Gogh, Dominique-Charles Janssens. Beaucoup de choses ont disparu mais ils retrouvent, rue Daubigny, les vestiges du modèle : le talus et les fameuses racines, les vraies.

les racines actuelles expertisées : avec un logiciel à remonter le temps, il est facile de les représenter en juillet 1890 et de les peindre en bleu : ce sont les racines de Van Gogh !

Très vite, Wouter van der Veen fait part de son hypothèse au musée Van Gogh d'Amsterdam. Un travail de validation est alors confié aux chercheurs du musée, Louis van Tilborgh et Teio Meedendorp, épaulés par un dendrologue (qui est la science de la reconnaissance des arbres) et spécialiste des forêts "historiques". Ce doit être un Ingénieur des Eaux et Forêts comme moi, mais spécialisé en Histoire-des-arbres ! Je kiffe ! En se basant sur la technique artistique de Van Gogh et en comparant le tableau, la carte postale et l'état actuel du taillis, ils ont pu conclure qu'il s'agit "très vraisemblablement" du bon endroit. "Wouter m'a appelé pour me faire part de sa découverte", se rappelle Teio Meedendorp. "Je connaissais cette carte postale, mais jamais je n'aurais pu penser qu'il s'agissait DES racines", confie-t-il.

Et forcément, cette découverte fait la une des journaux, et amène à un rassemblement de people à Auvers sur Oise, cela tombe bien en période de vacances : on prend des pots, on s'échange le coronavirus entre porteurs-sains (on dit asymptomatiques), on force quelques personnes fragiles à se mettre le masque, on fait des photos et des reportages à la télé. Le tableau soit-disant pas fini est encadré, et dans l'état, avec la photo-montage, la photo du talus, l'histoire rétablie, il doit valoir une fortune : heureux le propriétaire non ?

la chute ?


Pour Wouter van der Veen, qui se fait photographier près de la racine, "Racines" prouve que le suicide de l'artiste n'est pas dû à une crise de démence dont Van Gogh était parfois victime. "Vincent van Gogh réfléchissait longtemps à ses toiles", expose-t-il. "Pour faire un tableau avec une composition si complexe, il faut avoir toute sa tête". Pour l'expert, cela "éloigne l'idée d'un Vincent van Gogh qui, ce jour-là, ne savait pas ce qu'il faisait. Son geste ultime [son suicide] a été commis de manière consciente et lucide".  

Comme Teio Meedendorp, Wouter van der Veen voit même dans Racines une "lettre d'adieu en couleurs" de l'artiste."  A ce propos,Vincent écrit, dans une lettre à Théo :

-"Je voulais exprimer, tant dans cette figure de femme blême et mince que dans ces racines noires et bougonnes avec leurs nœuds, quelque chose de la lutte pour la vie", raconte Vincent dans une lettre adressée à son frère Théo en 1882, 8 ans auparavant, évoquant deux de ses tableaux de l'époque.

et dire que sans le covid, 

tout cela serait resté caché !

les coquelicots, peints le fameux mois de juillet 1890

heureusement, nous passons en août

aujourd'hui !


https://www.facebook.com/vangoghthelife/photos/a.672079319524547/672078829524596