Je vous ai déjà raconté que l'Hermitage, en plus de la statue de Jupiter d'Olympie, merveille du monde, hébergeait une collection d'impressionnistes français de tout premier plan, dont des Van Gogh magnifiques.
http://babone5go2.blogspot.com/2021/12/zeus-dolympie-merveille-du-monde.html
Il faut dire qu'il y a eu, autrefois, nous sommes une fois encore dans les années 1900, une période d'admiration sincère des élites moscovites pour la France et sa Culture, pour ses paysages de la Riviera, pour son Art, ses peintres et sculpteurs. Ivan Morozov était de ceux-là, il avait l'argent, le goût, le nez fin, et l'âme d'un collectionneur : il amassait les oeuvres de peintres encore peu appréciés chez nous, pour les exposer chez lui ! Je vais vous faire un aveu : c'est grâce à lui, (et à Vuitton naturellement), que je découvre le pourtant-peintre-breton Maurice Denis ! Quelle honte est la mienne !
le jeu consiste à reconnaitre les peintres et les sujets, pas facile ! |
mes chères barques aux Saintes Maries de la mer |
Touche à touche sur les murs des différents salons, il y a ces artistes qui se vendent déjà très cher, ces impressionnistes reconnus comme Manet, Monet, Degas ou Renoir… Et puis il y a les petits nouveaux de la scène d’avant-garde comme Cézanne, Gauguin, Matisse, ou Picasso… Et leurs oeuvres sont encore très abordables : seulement 300 francs pour "Les deux saltimbanques" de Pablo Picasso (qui figure sur l’affiche de l’exposition). Ce jour-là Yvan Morozov a fait une belle affaire.
Riches industriels dans le textile, les frères Mikhaïl et Yvan Morozov sont des collectionneurs visionnaires, particulièrement bien conseillés par les marchands français de l’époque, Ambroise Vollard ou Paul Durand-Ruel. Et à Moscou, ces collectionneurs-mécènes font des paris osés, comme de demander au peintre Maurice Denis d’orner l’ensemble du salon de musique avec d’immenses panneaux roses flashy et sensuels ! Cela va choquer la bonne société moscovite, mais contribuer à créer leur légende.
C'est là que Bernard Arnault démontre une puissance égale à celle d'un Etat : il convainc le Président Poutine de laisser partir (provisoirement) quelque 200 tableaux à Paris ! Quel dommage qu'il ne soit pas candidat à la Présidence de la République : voilà un homme qui démontre tous les jours son efficacité : nos amis parisiens, émules de leur Anne Hidalgo-Maire(sse) candidate, leur offre de visiter une bonne partie de l'Hermitage... sans prendre ni le train, ni l'avion, évitant la présentation de tout pass sanitaire aux frontières !
merveilleux Paul Signac Marseille |
Si vous me promettez d'aérer toutes les heures votre appartement, je vous laisse regarder gratuitement (et sans masque) ces merveilles !
mieux encore, et voilà enfin arriver Maurice Denis :
il avait entièrement décoré l'appartement des Morozov :
et créé un décor de l'enlèvement de Psyché par Zéphyr
c'est é-nor-me ! |
le taureau de Marathon, la première corrida |
et une merveille de scène méditerranéenne : Eurydice |
mais j'ai interrompu l'Histoire des Morozov !
pour la route, voici deux Monet ; un autre Sisley, et un Cézanne |
tous ces peintres se rendaient visite, voyageaient énormément, et ont laissé des merveilles comme ce tableau de Glanum |
Philanthropes, progressistes convaincus et soucieux du bien-être au quotidien de leur personnel, les Morozov vont pourtant subir de plein fouet la Révolution russe de 1917. Dès 1918, les bolchéviques vont nationaliser le palais moscovite des deux frères, de même que l’ensembles des collections, qui s’élèvent à l’époque à près de 600 chefs- d’œuvres, tableaux, sculptures.
Au début, l’ancien hôtel particulier d’Yvan Morozov, devenu
Musée d’art moderne occidental se visite, et il reçoit même des soldats de
l’Armée Rouge. Mais ça, c’était avant que Staline ne déclare la guerre à la
culture bourgeoise venue d’occident. Rapidement, l’art moderne français est
considéré comme un Art "dégénéré" - le terme apparaît en Russie dès
1927- 10 ans avant que les nazis ne l’utilisent. Et alors que les Morozov sont
exilés depuis longtemps en Europe, Staline ordonne que les tableaux soient
décrochés des cimaises pour les détruire.
Pierre-Auguste Renoir, portrait de Mademoiselle Jeanne Samary, Paris 1978
Finalement, ils seront roulés, et expédiés en Sibérie où ils resteront entreposés pendant plusieurs décennies dans des conditions catastrophiques, par moins 40 degrés. Avec ce froid terrible, les peintures vont énormément souffrir et certaines ne seront jamais restaurables. C’est le cas de la plupart des tableaux de Van Gogh et de Gauguin qui, faute d’argent, travaillaient tous les deux de mauvais pigments sur des supports ultra-fragiles.
Après Staline et le dégel de l’URSS, ce qui reste de la légendaire collection Morozov va être réparti entre le musée de l’Ermitage à Saint Petersbourg, et à Moscou, les Musées d’Etat Pouchkine et Trétiakov. Rescapées du froid et du communisme, ces œuvres sont devenues un trésor d’état, et demeurent unanimement considérées comme l’une des plus belles collections au monde.
Aujourd’hui, cinq ans après avoir prêté la remarquable collection Chtchoukine, (grâce à d’excellents contacts et au mécénat pro-actif de LVMH), ces grandes institutions russes consentent à nouveau le prêt extraordinaire de 200 chefs-d’oeuvres à la Fondation Vuitton.
Une exposition aussi émouvante qu’historique. C’est la première fois en effet, depuis la Révolution Russe, que les œuvres de cette fabuleuse collection sont rassemblées dans un même lieu, comme à l’époque d’Yvan et de Mikhaïl Morozov.
Et c’est en France, à Paris, que ce petit miracle artistique a lieu.
"La Collection Morozov. Icônes de l'Art Moderne"
Fondation Louis Vuitton
8 avenue du Mahatma Gandhi, 75016 Paris
01 40 69 96 00
Jusqu'au 22 février 2022
après demain !