mardi 31 mars 2020

Les favorites de Tanoux (3)

Quand titillé par Sotheby's je vous ai montré les merveilleuses peintures d'Orient de Jean-Léon Gerôme, et que j'ai poursuivi par le papillon qui tapait du pied, vous vous doutiez bien, (et moi aussi), que le simple fait d'évoquer la Reine de Saba, allait tout droit nous conduire ... au Harem !

voici le tableau entier de "la favorite", dont je ne vous avais montré que le détail du visage

Franchement, le sujet me gêne. Comme me met mal à l'aise la fascination des artistes, se rendant en Orient dans les années précédant 1900, pour la manière machiste dont se conduisaient les Princes locaux, kidnappant (déjà) les femmes étrangères et autochtones, les confinant dans un harem clos, et les consommant à leur guise comme simple marchandise. 

Ne croyez donc pas que je bade le moins du monde devant ces femmes dénudées, car quand elles sont déshabillées de force, cela me scandalise au plus profond de mon éducation égalitaire, et de la politesse et courtoisie inculquées par ma mère vis à vis des femmes : on les précède en montant l'escalier (pour ne pas entrevoir la moindre petite culotte), et on doit leur ouvrir la porte, surtout quand elle est montée sur ressorts et qu'on risque de se la prendre dans la figure, comme la branche relâchée par inadvertance de la forêt va gifler la personne derrière vous.

Non, ce que je vais vous montrer, c'est que l'on pouvait peindre cela, exposer dans les salons de peinture, écrire des poèmes, et que l'on ne s'y risque plus : tel était le cas de Tanoux, Henri Adrien, né le 18 octobre 1865 à Marseille et mort le 29 juillet 1923 à Paris, vous voyez ainsi qu'il peint dans les années 1900, c'était encore pendant la Colonisation.

D’abord attiré par des scènes populaires de faubourgs lointains, il expose, dès 1886, Judith montrant la tête d’Holopherne au peuple juif au Salon de Paris, où il est par la suite régulièrement représenté. Je ne vous le montre pas : impossible à trouver ! En 1889, il reçoit une mention honorable à l’Exposition universelle.

Médaille d’or et hors concours du Salon des artistes français, il est élu sociétaire de la Société des artistes français en 1905. En 1895, ayant obtenu, au premier tour, 26 voix sur 38 votants pour son Revendeurs et revendeuses, le Conseil supérieur des Beaux-Arts lui décerne l’une de ses quatre bourses de voyage : le voilà donc en Orient : spécialités : paysage… et nu. Je devrais écrire au pluriel : nus !

Le 21 novembre 1924, la galerie Jean Charpentier du 76, rue du Faubourg-Saint-Honoré à Paris ouvre une rétrospective des œuvres d'Adrien Henri Tanoux. Cette exposition  réunit, avec de grandes toiles devenues populaires grâce à la carte postale, des petits nus, dont la célèbre illustration du poème d’Alfred de Musset, la célèbre Namouna, le vieux marchand d’esclaves présentant deux filles nues aux tons de peau différents. Alfred de Musset s'en mêle en effet, évoquant dans son chant troisième,  en alexandrins, "un jeune musulman, avec sa manie, d'acheter au bazar, deux esclaves par mois"... Nous sommes le 6 mai 1921, dans le Ménestrel, "journal de musique". Je vous renvoie au poème qu'il faut lire en entier si l'on veut tout comprendre ! (1)





Voici une variante du tableau ci-dessous, vous voyez qu'il n'y a rien d'érotiquement attirant dans la scène, sauf le malaise de voir une femme nue-prisonnière-innocente, jetée de force dans la prison de femmes appelée là-bas harem.

Cela recommence avec Namouna  que voici, signé en haut à gauche....

...et bien considérée comme ... esclave avec son anneau doré à la cheville droite



et des oeuvres semblables, avec l'anneau doré, il y en a des tonnes :





























comme il faut bien varier les titres, au lieu de dire "prisonnières" on va parler "d'odalisques"




le top du statut est quand l'esclave devient ... "favorite" ...

...laissant imaginer qu'il y aurait une espèce de consentement à la domination Maitre-esclave ! ! 


vous voyez la différence avec ces nus plus classiques ?


si la dame sort libre (et souriante) de son bain, on peut sans doute (?) davantage apprécier son anatomie dénudée (?)


chez Gerome pour y revenir, voici "le bain turc"


on peut espérer voir "la favorite" sortir (un peu) de l'emprisonnement ?


Commere lui, n'a pas besoin de la déshabiller

pour nous faire aimer la femme !



Tanoux non plus, avec son odalisque au tambourin

(à peine le haut est-il un peu déshabillé)

elles étaient vraiment confinées !

(j'espère qu'il s'agit bien du passé) ?


demain c'est le 1er avril ... drôle de poisson : 

je vous parle de Bachelard :

comment penser, avec un cerveau réfléchi ?




PS (1) : on relit aujourd'hui le chant 3 de Musset avec un oeil différent, du moins j'espère !























PS (2) : certains blogs sont des mines d'informations sur l'esclavage des "favorites" :

lundi 30 mars 2020

Le papillon qui tapait du pied (2)

Avant de vous raconter mon histoire, il faut nous mettre dans l'ambiance orientale d'Aladin et autres contes, que Sotheby's sait si bien nous raconter avec ses peintures orientales dont je n'ai pas fini l'inventaire : dans la lignée de notre grand peintre romantique Eugène Delacroix, Victor Huguet excellait dans la peinture de chevaux et de scènes de chasse se déroulant en Afrique du Nord. Ici, un groupe de cavaliers observe un de leurs faucons attraper sa proie.

Voici le lot 110, comme il s'agit d'un Français moins connu, et pas de Delacroix himself, le prix est vraiment sympa avec un zéro de moins, voilà pourquoi je vous le montre : des seigneurs, que l'on dirait contemporains, chassent avec leurs faucons de simples perdrix d'élevage, jouant à celui qui a dressé le faucon le plus féroce : mieux vaut qu'ils tuent en effet des perdrix plutôt que des rivaux, ou qu'ils mettent des otages en esclavage ... !





la scène continue par terre, la récompense du faucon étant de bouffer sa proie

Il me manque une scène de harem pour vous raconter l'histoire qui suit : du papillon qui tapait du pied, et que raconte naturellement Rudyard Kipling, la voici : elle est assez longue, mais je sais que, comme moi, vous restez confiné, et que vous avez à combler le temps et à vous cultiver comme nous l'a recommandé le Président. 

En réalité, elle est écrite en Anglais, ce qui explique le titre original : 

The Butterfly that Stamped


 et j'ai une chance extraordinaire, les illustrateurs dessinent le papillon en Machaon !



"Voici, ô ma Mieux-Aimée, une histoire, une nouvelle et merveilleuse histoire, une histoire différente des autres histoires, une histoire sur le Très Sage Souverain Suleiman-bin-Daoud, Salomon Fils de David. Elle fait référence au sceau de Salomon, le pentagramme, mentionné dans le tableau à Jaffa par notre Allemand Maler Gustav, Name : Bauernfeind que je vous montrais hier.















Il existe trois cent cinquante-cinq histoires sur Suleiman-bin-Daoud, mais celle-ci n'en fait pas partie. Ce n'est pas l'histoire du Vanneau qui découvrit l'Eau, ni de la Huppe qui protégeait de la chaleur Suleiman-bin-Daoud. Ce n'est pas l'histoire du Pavé en Verre, ni du Rubis avec le Trou de Travers, ni des Lingots d'Or de Balkis. C'est l'histoire du Papillon qui Tapait du Pied.

"Maintenant, prête attention une fois encore et écoute !

"Suleiman-bin-Daoud était sage. Il comprenait ce que disaient les bêtes, ce que disaient les poissons et ce que disaient les insectes. Il comprenait ce que disaient les rochers au plus profond de la terre quand ils se penchaient les uns vers les autres en gémissant ; et il comprenait ce que disaient les arbres quand ils frissonnaient au milieu de la matinée. Il comprenait tout, depuis l'évêque en chaire jusqu'à l'hysope sur le mur ; et Balkis, sa Reine Principale, la Toute Belle Reine Balkis, était presque aussi sage que lui.

il faudra que je vous parle de Henri Adrien Tanoux, expert pour peindre les favorites : demain !

"Suleiman-bin-Daoud était puissant. Au troisième doigt de sa main droite il portait un anneau. Lorsqu'il le tournait une fois, les Afrites et les Djinns surgissaient de terre pour faire tout ce qu'il leur ordonnait. Lorsqu'il le tournait deux fois, les Fées descendaient du ciel pour faire tout ce qu'il leur ordonnait ; et lorsqu'il le tournait trois fois, le très puissant ange Azrael de l'Épée venait, vêtu en porteur d'eau, lui apporter les nouvelles des trois mondes : Au-Dessus, Au-Dessous et Ici.

"Pourtant, Suleiman-bin-Daoud n'était pas orgueilleux. Il tentait rarement de faire de l'épate et lorsque cela lui arrivait, il le regrettait. Une fois, il voulut nourrir tous les animaux du monde entier en un seul jour, mais quand la nourriture fut prête, un Animal sortit de la mer profonde et avala tout en trois bouchées. Fort surpris, Suleiman-bin-Daoud dit :

— Ô Animal, qui es-tu ?

Et l'Animal dit :

— Ô Roi, longue vie à toi ! Je suis le plus petit de trente mille frères et nous vivons au fond de la mer. Nous avons appris que tu allais nourrir tous les animaux du monde et mes frères m'ont envoyé te demander quand le dîner serait servi.

Suleiman-bin-Daoud, encore plus surpris, dit :

— Ô Animal, tu as mangé tout le dîner que j'avais préparé pour tous les animaux du monde.

Et l'Animal dit :

— Ô Roi, longue vie à toi ! Tu appelles ça un dîner ? D'où je viens, nous mangeons deux fois plus entre les repas.

Alors Suleiman-bin-Daoud s'aplatit la face contre terre et dit :

— Ô Animal ! J'offrais ce dîner pour montrer quel puissant et riche roi j'étais, et pas vraiment pour être bienveillant envers les animaux. Maintenant, j'ai honte et c'est bien fait pour moi.

Suleiman-bin-Daoud était un sage, un vrai de vrai, ma Mieux-Aimée. Après cela, il n'oublia jamais que c'était idiot de faire de l'épate, et maintenant commence la véritable histoire.

Il épousa des femmes tant et plus. Il épousa neuf cent quatre-vingt-dix-neuf femmes, sans compter la Toute Belle Balkis ; et elles vivaient dans un immense palais d'or, au milieu d'un ravissant jardin avec des fontaines. Il n'avait pas vraiment besoin de neuf cent quatre-vingt-dix-neuf femmes, mais en ce temps-là, tout le monde épousait des femmes tant et plus et le Roi, bien entendu, se devait d'en épouser plus encore, rien que pour montrer qu'il était le Roi.

Certaines des femmes étaient aimables mais d'autres tout bonnement abominables, et les abominables se querellaient avec les aimables et les rendaient abominables à leur tour ; alors elles se querellaient toutes avec Suleiman-bin-Daoud et cela devenait abominable pour lui. Mais Balkis la Toute Belle ne se querellait jamais avec Suleiman-bin-Daoud. Elle l'aimait trop. Elle restait assise dans ses appartements du Palais d'Or ou bien elle se promenait dans les jardins du Palais, et elle était sincèrement désolée pour lui.

Bien sûr, s'il avait décidé de tourner sa bague pour évoquer les Djinns et les Afrites, ils auraient magiqué ces neuf cent quatre-vingt-dix-neuf épouses querelleuses en mules blanches du désert, en lévriers ou en pépins de grenades, mais Suleiman-bin-Daoud craignait que cela soit de l'épate. Si bien que lorsqu'elles se querellaient trop, il allait se promener seul dans les beaux jardins du Palais en souhaitant n'être jamais né.

Un jour, alors qu'elles se querellaient depuis trois semaines, toutes les neuf cent quatre-vingt-dix-neuf épouses ensemble, Suleiman-bin-Daoud sortit pour chercher la paix et le calme comme d'habitude, et parmi les orangers il rencontra Balkis la Toute Belle, fort peinée que Suleiman-bin-Daoud soit à ce point tourmenté. Elle lui dit :

— Ô mon Seigneur et Lumière de mes Yeux, tournez la bague à votre doigt et montrez à ces Reines d'Égypte, de Mésopotamie, de Perse et de Chine quel puissant et terrible Roi vous êtes.

Mais Suleiman-bin-Daoud secoua la tête et dit :

— Ô ma Dame et Délice de ma Vie, souvenez-vous de l'Animal qui sortit de la mer et me fit honte devant tous les animaux du monde parce que je voulais faire de l'épate. Maintenant, si je faisais de l'épate devant ces reines de Perse, d'Egypte, d'Abyssinie et de Chine, uniquement parce qu'elles me tourmentent, je pourrais avoir plus honte encore.

Et Balkis la Toute Belle dit :

— Ô mon Seigneur et Trésor de mon Ame, qu'allez-vous faire ?

Et Suleiman-bin-Daoud dit :

— Ô ma Dame et Contentement de mon Cœur, je continuerai à endurer mon destin entre les mains de ces neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Reines qui me contrarient avec leurs querelles incessantes.

Alors il poursuivit sa promenade parmi les lis, les nèfles, les roses, les balisiers et les gingembriers aux lourdes senteurs, qui poussaient dans le jardin, jusqu'à ce qu'il atteignît le grand camphrier qu'on appelait le Camphrier de Suleiman-bin-Daoud. Mais Balkis se cacha parmi les hauts iris, les bambous tachetés et les lis rouges, derrière le camphrier, afin de rester proche de son seul et véritable amour, Suleiman-bin-Daoud.

Bientôt, deux Papillons arrivèrent sous l'arbre en voletant, et ils se querellaient.

Suleiman-bin-Daoud entendit l'un dire à l'autre :

— J'admire ton audace à me parler ainsi. Ignores-tu que si je tapais du pied, le Palais de Suleiman-bin-Daoud tout entier et ce jardin disparaîtraient dans un coup de tonnerre ?

Alors Suleiman-bin-Daoud oublia ses neuf cent quatre-vingt-dix-neuf femmes agaçantes et rit, à en faire trembler le camphrier, de la vantardise du Papillon. Puis il leva le doigt et dit :

— Viens ici, petit bonhomme.

Le Papillon était terriblement effrayé, mais il trouva moyen de voler jusqu'à la main de Suleiman-bin-Daoud et il s'y posa en s'éventant. Suleiman-bin-Daoud pencha la tête et murmura tout doucement :

— Petit bonhomme, tu sais que tous tes tapements de pied ne courberaient pas un brin d'herbe. Qu'est-ce qui t'a poussé à dire ce boniment effarant à ton épouse ? Car à coup sûr, il s'agit de ton épouse.

Le Papillon regarda Suleiman-bin-Daoud et il vit les yeux du Roi Très Sage scintiller comme deux étoiles par une nuit de gel ; il prit son courage à deux ailes et il pencha la tête sur le côté et dit :

— Ô Roi, longue vie à toi ! C'est bien mon épouse, et tu sais comment sont les épouses.

Suleiman-bin-Daoud sourit dans sa barbe et dit :

— Oui, je sais, petit frère.

— Il faut les tenir d'une manière ou d'une autre. J'ai dit ça pour la calmer.

Et Suleiman-bin-Daoud dit :

— Puisse cela la calmer. Retourne auprès de ton épouse, petit frère, et laisse-moi écouter ce que tu lui dis.

Le Papillon repartit en voletant vers son épouse qui était dans tous ses états, derrière une feuille, et elle dit :

— Il t'a entendu ! Suleiman-bin-Daoud t'a entendu !

— S'il m'a entendu ! dit le Papillon. Bien sûr qu'il m'a entendu ! Je voulais qu'il m'entende !

— Et qu'a-t-il dit ? Oh, qu'a-t-il dit ?

— Eh bien, dit le Papillon en s'éventant d'un air avantageux, entre nous, ma chère, bien sûr je ne le blâme pas, car ce Palais a dû lui coûter fort cher et les oranges commencent juste à mûrir, il m'a demandé de ne pas taper du pied, et j'ai promis de ne pas le faire.

— Bonté divine ! dit son épouse qui en resta assise et coite, mais Suleiman-bin-Daoud riait, à en avoir les larmes aux yeux, devant l'impudence de ce mauvais petit Papillon.

Balkis la Toute Belle se leva derrière l'arbre, parmi les lis rouges, et sourit in petto car elle avait tout entendu. Elle pensa : « Si je suis habile, je peux encore sauver mon Seigneur des persécutions de ces Reines querelleuses. » Elle leva le doigt et murmura doucement à l'Épouse du Papillon :

— Viens ici, petite bonne-femme.

L'Épouse du Papillon s'envola, tout effrayée, pour se poser sur la blanche main de Balkis.

Balkis pencha son joli visage et murmura :

— Petite bonne-femme, crois-tu ce que ton mari vient de te dire ?

L'Épouse du Papillon regarda Balkis et vit les yeux de la Reine Toute Belle briller comme des lacs profonds à la clarté des étoiles ; elle prit son courage à deux ailes et dit :

— Ô Reine, sois belle à jamais. Tu sais, toi, comment sont les hommes.

Et la Reine Balkis, la Sage Balkis de Saba, mit la main sur les lèvres pour dissimuler un sourire et dit 

— Je sais, petite sœur.

— Ils se mettent en colère pour un rien, dit la Femme du Papillon en s'éventant très vite, mais nous devons leur complaire. Ils ne pensent pas la moitié de ce qu'ils disent. S'il chante à mon mari de croire que je le crois capable de faire disparaître le Palais de Suleiman-bin-Daoud en tapant du pied, franchement, cela m'est bien égal. Demain il aura tout oublié.

— Tu as bien raison, petite sœur, dit Balkis. Mais la prochaine fois qu'il commencera à se vanter, prends-le au mot. Demande-lui de taper du pied pour voir ce qui se passera. Nous autres, nous savons, n'est-ce pas, comment sont les hommes. Il aura très honte.

L'Épouse du Papillon rejoignit son mari en voletant et au bout de cinq minutes ils se querellaient de plus belle.

— Rappelle-toi ! dit le Papillon. Rappelle-toi ce que je peux faire si je tape du pied.

— Je n'en crois pas un mot, dit l'Épouse du Papillon. Je voudrais bien te voir à l'œuvre. Supposons que tu tapes du pied maintenant ?

— J'ai promis à Suleiman-bin-Daoud de ne pas le faire, dit le Papillon, et je ne veux pas renier ma parole.

— Ça ne changerait rien si tu le faisais, dit son épouse. Tu ne courberais pas un brin d'herbe en tapant du pied. Je te défie de le faire, dit-elle. Tape ! Tape ! Tape !

Suleiman-bin-Daoud, assis sous le camphrier, entendit chaque mot et il rit comme jamais encore il n'avait ri de sa vie. Il en oublia complètement ses Reines, il en oublia l'Animal qui avait surgi de la mer, il en oublia l'épate. Il riait de joie voilà tout, et Balkis, de l'autre côté de l'arbre, sourit car son seul et véritable amour était heureux.

Bientôt, le Papillon, tout échauffé et essoufflé, revint en tournoyant à l'ombre du camphrier et dit à Suleiman :

— Elle veut que je tape du pied ! Elle veut voir ce qui se passera, ô Suleiman-bin-Daoud ! Tu sais que je ne peux pas le faire et désormais, elle ne voudra plus jamais croire un mot de ce que je dis. Elle va se moquer de moi jusqu'à la fin de mes jours !

— Non, petit frère, dit Suleiman-bin-Daoud. Elle ne se moquera plus jamais de toi.

Et il tourna l'anneau à son doigt, rien que pour le petit Papillon, non pour faire de l'épate, et voilà-t-il pas que quatre gigantesques Djinns sortent de terre !

— Esclaves, dit Suleiman-bin-Daoud. Quand ce monsieur qui est sur mon doigt (c'est là que s'était posé l'impudent Papillon) tapera du pied gauche avant de devant, vous ferez disparaître mon Palais et ces jardins dans un coup de tonnerre. Lorsqu'il tapera une seconde fois, vous les remettrez soigneusement en place. Maintenant, petit frère, dit-il, retourne auprès de ton épouse et tape du pied tout ton soûl.

Le Papillon s'envola vers sa femme qui criait :

— Je te défie de le faire ! Je te défie de le faire ! Tape ! Tape maintenant !

Balkis vit les quatre énormes Djinns se baisser vers les quatre coins du jardin, avec le Palais au milieu, et elle applaudit doucement et dit :

— Enfin Suleiman-bin-Daoud va faire pour un Papillon ce qu'il aurait dû faire depuis longtemps pour lui-même, et les Reines querelleuses vont avoir peur !


Alors le Papillon tapa du pied. Les Djinns soulevèrent le Palais et les jardins à mille lieues dans les airs : il se produisit un effroyable coup de tonnerre et tout devint noir comme de l'encre. L'Épouse du Papillon voletait dans l'obscurité en criant :

— Oh ! Je serai gentille ! Je regrette tant d'avoir parlé ! Ramène les jardins, mon petit mari chéri, et je ne te contredirai plus !

Le Papillon était presque aussi apeuré que sa femme et Suleiman-bin-Daoud riait si fort qu'il lui fallut plusieurs minutes pour retrouver son souffle et murmurer au Papillon :

— Tape encore du pied, petit frère. Rends-moi mon Palais, très grand magicien.

— Oui, rends-lui son Palais, dit l'Épouse du Papillon en continuant à voler dans tous les sens dans le noir comme une mite. Rends-lui son Palais et finissons-en avec cette horrible magie.

— Très bien, ma chère, dit le Papillon, de l'air aussi brave qu'il put. Tu vois à quoi ont mené tes chamailleries. Bien sûr, pour moi cela importe peu, je suis habitué à ce genre de choses, mais par bonté pour toi et pour Suleiman-bin-Daoud, j'accepte de tout remettre en place.

Il tapa donc du pied une nouvelle fois et à l'instant les Djinns reposèrent le Palais et les jardins sans le moindre heurt. Le soleil brilla sur les feuilles d'oranger vert foncé, les fontaines jouèrent parmi les lis roses d'Egypte, les oiseaux se remirent à chanter et l'Epouse du Papillon s'allongea sur le flanc à l'ombre du camphrier, frémissant des ailes et haletant :

— Oh ! Je serai gentille ! Je serai gentille !

Suleiman-bin-Daoud pouvait à peine parler tant il riait. Il se renversa, épuisé et hoquetant, et il menaça du doigt le Papillon et dit :

— Ô grand magicien, à quoi bon me rendre mon Palais si en même temps tu me fais mourir de rire ?

Alors se produisit un bruit terrible car les neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Reines au grand complet sortirent du Palais en criant, hurlant, et appelant leurs bébés. Elles dévalèrent le grand escalier de marbre sous la fontaine, cent de front, et Balkis la Très Sage s'avança vers elles majestueuse et dit :

— Quel ennui est le vôtre, ô Reines ?

Elles s'arrêtèrent sur l'escalier de marbre, cent de front, et crièrent :

— Notre ennui, quel est-il ? Nous vivions en paix dans notre Palais d'Or, comme à l'accoutumée, quand le Palais, soudain, a disparu et nous nous sommes retrouvées assises dans d'épaisses et très denses ténèbres ; puis il a tonné tandis que des Djinns et des Afrites se mouvaient dans les ténèbres ! Voilà notre ennui, ô Reine Première, et nous sommes très extrêmement ennuyées au niveau de cet ennui car ç'a été un ennui très ennuyeux ne ressemblant à aucun ennui que nous ayons connu.

Alors Balkis, la Reine Toute Belle, la Très Mieux-Aimée de Suleiman-bin-Daoud, qui fut Reine de Saba, de Sabie et des Fleuves de l'Or du Sud, du Désert de Zinn aux Tours du Zimbabwe, Balkis, presque aussi sage que le Très Sage Suleiman-bin-Daoud lui-même, dit :

— Ce n'est rien, ô Reines ! Un Papillon s'est plaint de son épouse qui ne cessait de se quereller avec lui et il a plu à notre Seigneur Suleiman-bin-Daoud de donner à cette dame une leçon de suavité vocale et d'humilité, car ce sont là des vertus parmi les épouses de papillons.

Alors une Reine d'Egypte, la fille d'un Pharaon, s'avança et dit :

— Notre Palais ne peut pas être déraciné comme un poireau à cause d'un misérable insecte. Non ! Suleiman-bin-Daoud doit être mort et ce que nous avons entendu et vu, c'était la terre qui tonnait et s'obscurcissait en apprenant la nouvelle.

Alors Balkis fit signe à cette Reine téméraire sans la regarder et lui dit, ainsi qu'aux autres :

— Venez voir.

Elles descendirent l'escalier de marbre, cent de front, et sous son camphrier, tout épuisé encore d'avoir tant ri, elles virent le Très Sage Roi Suleiman-bin-Daoud se balancer d'avant en arrière, un Papillon sur chaque main, et elles l'entendirent qui disait :

— Ô Épouse de mon frère dans les airs, souviens-toi après ceci de plaire à ton mari en toutes choses, et de ne point le provoquer de peur qu'il ne tape de nouveau du pied, car il s'est dit coutumier de cette Magie et, suréminemment, c'est un grand magicien, il peut à lui seul dérober le Palais même de Suleiman-bin-Daoud. Allez en paix, petites gens !

Et il les embrassa sur les ailes et ils s'envolèrent.

Alors, toutes les Reines, excepté Balkis, la Toute Belle et Rayonnante Balkis, qui se tenait à l'écart en souriant, s'aplatirent le visage contre terre et dirent :

— Si de telles choses se produisent lorsqu'un Papillon est mécontent de son épouse, que nous arrivera-t-il à nous qui agaçons notre Roi avec nos éclats de voix et nos querelles permanentes depuis tant de jours ?

Alors, elles abaissèrent leur voile sur leur visage et elles posèrent les mains sur leur bouche, et elles regagnèrent le Palais sur la pointe des pieds, sages comme des images.

Antoine Hector Edmond Joinville

Alors, Balkis, la Toute Belle et Excellente Balkis, s'avança parmi les lis rouges jusqu'à l'ombre du camphrier, posa la main sur l'épaule de Suleiman-bin-Daoud et dit :

— Ô mon Seigneur et Trésor de mon Âme, réjouissez-vous car nous avons donné aux Reines d'Égypte, de Mésopotamie, d'Abyssinie, de Perse, d'Inde et de Chine une grande et mémorable leçon.

Et Suleiman-bin-Daoud qui regardait encore les Papillons jouer dans la lumière du soleil dit :

— Ô ma Dame et Joyau de ma Félicité, quand cela a-t-il eu lieu ? Car je ne fais que m'amuser avec un Papillon depuis que je suis dans le jardin.

Et il raconta à Balkis ce qu'il avait fait.

Balkis, la Tendre et Toute Ravissante Balkis, dit :

— Ô mon Seigneur et Régent de mon Existence, j'étais cachée derrière le camphrier et j'ai tout vu. C'est moi qui ai dit à l'Epouse du Papillon de demander au Papillon de taper du pied en espérant que par amusement mon Seigneur accomplirait quelque grande Magie et que voyant cela les Reines auraient peur.

Et elle lui répéta ce qu'avaient dit, vu et pensé les Reines.

Alors Suleiman-bin-Daoud se leva de son siège sous le camphrier, il s'étira et se réjouit et dit :

— Ô ma Dame et Liqueur de mes Jours, sachez que si j'avais fait une Magie contre mes Reines, par orgueil ou colère de même que j'avais organisé ce banquet pour tous les animaux, j'aurais certainement eu honte. Mais grâce à votre sagesse, j'ai fait la Magie par amusement à cause d'un petit Papillon, et voilà, elle m'a aussi délivré des tracasseries de mes tracassières épouses. Dites-moi donc, ô ma Dame et Cœur de mon Cœur, d'où vient tant d'habileté ?

Et Balkis la Reine, belle et grande, plongea ses yeux dans les yeux de Suleiman-bin-Daoud et pencha un peu la tête sur le côté, comme le Papillon, et dit :

— C'est premièrement, ô mon Seigneur, que je vous aime et deuxièmement, ô mon Seigneur, que je sais comment sont les femmes.

Alors ils remontèrent ensemble vers le palais et vécurent heureux pendant très longtemps.

N'était-ce pas habile de la part de Balkis ?

Il n'y eut jamais
Du bout du vaste monde jusqu'ici
Reine semblable à Balkis.

Mais...
Mais Balkis parlait à un papillon
Comme on ferait à un ami.

Il n'y eut jamais
Depuis que s'est mise à tourner la terre
Roi semblable à Salomon.

Mais...
Salomon parlait à un papillon
Comme ferait homme à son frère.

L'une était Reine de Saba
L'autre était Maître de l'Asie
Tous les deux parlaient à des papillons
Quand ils se promenaient là-bas
Loin de leur patrie.

Edward John Pointer a bien entendu représenté la rencontre entre la reine de Sabba et le roi Salomon
mais ce tableau n'est pas à vendre !


épilogue 

Quand on pense qu'au début de l'effet papillon actuel, il a suffi à quelques Chinois désoeuvrés de bouffer un pangolin sauvage.... à moins que ce soit quelques chauve-souris ? De contaminer sa famille et les amis de son village invités au festin. Puis les bons expatriés Français venus bosser en Chine tout en conservant leur résidence Parisienne et leur Sécurité sociale française, normal qu'ils soient rapatriés d'urgence par un avion fretté pour eux. Pas de bol qu'un Agent volant d'Air France ait été contaminé avant de rejoindre ses quartiers à Paris ...pendant que d'autres Evangélistes contaminaient un autre foyer d'infection...et aient ainsi été à l'origine de milliers de malades ... puis de morts...

c'est avec cet effet papillon que tout aurait commencé !

et vous ne croiriez pas à l'histoire du papillon qui tapait du pied ?

https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/coronavirus-war-against-corona-la-chanson-pleine-espoir-d-un-caennais-6785594

il y a un triptyque à ces scènes orientales :

il manque les scènes de harem

regardées de près, elles sont pour moi ... très anxiogènes

je vous montre Tanoux et ses favorites ...

 demain !

avant qu'arrive ce drôle de 1er avril 2020 !

la pandémie arrive par l'Est, et concerne d'abord les zones urbaines
mais elle arrive


dimanche 29 mars 2020

Sotheby's vend quatre Gerome...(1)

Encore une vente orientaliste ! Sotheby's n'arrête pas ! 

il y a (mon) Gerome Jean-Léon... mais pas que ...!




Voici le lot 108, estimation 700.000 à 1.000.000 GPB... ce n'est pas donné à tout un chacun !

Sotheby's, avec son universelle érudition, nous commente le chef d'oeuvre :

"Contre le terrain impitoyable et rude du désert égyptien, une corvée de  recrues mains menottées avec des planches trouées, cadenassées et sous garde, sont conduites à travers une tempête de sable à leur sort incertain. Escortés par des gardes d'Arnaut, les prisonniers sont peut-être conduits en tant que conscrits forcés à rejoindre l'armée Khalif ou à travailler aux fouilles du canal de Suez.

"Peint en 1857 et exposé au Salon de cette année-là , Egyptian Recruits Crossing the Desert a été exécuté à la hauteur des pouvoirs de Gérôme, après son premier voyage en Égypte en 1856 avec le sculpteur et photographe Frédéric Auguste Bartholdi. Au cours de ce voyage, les deux hommes ont été témoins de l'enrôlement forcé d'une corvée par les Arnauts à Assiout.

"Même dans la chaleur incessante du désert, Gérôme peint avec une objectivité qui évoque la compassion et l'admiration pour les conscrits, qui se défient alors qu'ils ne luttent avec rien d'autre qu'un paysage désertique plat et blanc pour soulager leur sort. Le contraste entre la précision des personnages au premier plan et les prisonniers au loin presque entièrement recouverts par la tempête de poussière, témoigne de la grande maîtrise de l'artiste à la fois en vision et en médium.

"Gérôme a habilement joué sur sa réputation d'exactitude à travers l'attention précise portée aux détails qu'il porte à la robe des personnages au premier plan. La première rangée comprend des fellaheen, des coptes et un nubien vêtu de chemises bleues, de mach'lahs bruns  ou de burnous blancs. Théophile Gautier a été frappé par le réalisme austère de ces personnages lorsqu'il a vu l'œuvre pour la première fois dans l'atelier de Gérôme et écrit à l'époque: -«L'artiste voyageur a réalisé de nombreuses études de portraits au crayon de différents types caractéristiques; il y a des fellahs , des coptes, des arabes, des nègres de sang mélangé de Sanandaj et de Kordofan - si exactement observés qu'ils pourraient être utilisés dans les traités anthropologiques de M. Serres ». 

Ca commence fort, hein ?

un autre Gerôme : Arnaut du Caire, bien moins cher, quelque chose comme 250.000 GPB

explication, il est tout petit : 25 x 20 cm ! ! 




Là encore, c'est la notice qui éclaire tout, la voici : "Les Arnauts, ou Bashi-Bazouks, étaient des irréguliers de l'armée ottomane et originaires d'Albanie et des Balkans. La pression exercée sur le système féodal ottoman causée par la vaste étendue de l'Empire exigeait un recours accru à ces soldats irréguliers, qui étaient armés et maintenus par le gouvernement. Ces soldats n'ont reçu ni salaire ni uniforme ni insigne distinctif. Parce qu'ils n'étaient pas formellement formés, ils ne pouvaient pas servir dans les grandes opérations militaires; cependant, ils étaient utiles pour d'autres tâches, telles que les missions de reconnaissance et d'avant-poste. Les Arnauts ont été déployés à travers l'Empire, y compris au Caire, où Gérôme les aurait rencontrés portant leurs kilts plissés blancs distinctifs.

"Les Arnauts intéressent particulièrement Gérôme et peuplent son œuvre peu de temps après son premier voyage en Égypte en 1856 et au-delà. Ils pouvaient représenter des figures de l'autorité ottomane, comme dans Égyptiens recrues traversant le désert ( Salon de 1857 , lot 108), dans lequel des Arnauts conduisent des conscrits forcés dans leur marche; ou représenter la piété musulmane, comme dans Prière dans la maison d'un chef Arnaut (Collection Najd, exposée au Salon  de 1857). Dans une veine différente, Gérôme les a parfois peints relaxants, jouant aux échecs ou dansant et joyeux. Ici, un Arnaut se tient en alerte avec deux whippets, regardant le spectateur dans les yeux comme pour dire: "Qui y va" ?

Jamais deux sans trois, il y a bien un troisième : 



le chameau !

même estimation alors qu'il mesure 62 x 50cm !

je vous le conseille !

"Situé dans une cour calme, ce tableau mêle l'expérience de Gérôme des rues de Cairene avec sa maîtrise de la représentation des animaux et de leurs anatomies. Alors que des scènes telles que Oasis (vers 1857, Museum of Fine Arts, Boston), qui dépeignent des voyageurs au repos, sont conformes aux tropes orientalistes, le présent travail est unique dans l'exploration de l'interaction intime entre un chameau et son veau. (oui on dit veau pour le bébé chameau, et non pas petit-chameau ou encore chamelon)

"Assis sur ses hanches fumant son chibouk, le chamelier de gauche est en équilibre entre détente et préparation au mouvement. Sa tunique bleue rappelle celle portée par un autre homme dans The Helping Hand  (voir lot 124). Les couleurs intenses du jardin au-delà conduisent l'œil à travers la scène et contrastent avec la lumière diffuse de la cour".

un quatrième Gerôme !

tout petit prix : 50.000 GPB

petit format : 41 x 30 cm



"Cette image puissante mais intime d'un aveugle âgé guidé par une jeune fille révèle l'intérêt de Gérôme pour tous les niveaux de la société cairène, des mercenaires aux mendiants. La jeune fille semble concentrée sur sa double tâche, celle d'équilibrer les oranges dans sa main droite et de guider l'homme, peut-être son grand-père, à chaque étape du chemin. Malgré la condition physique de l'homme, Gérôme imprègne la scène d'un sentiment émouvant de sérénité et de tendresse".

Ouais...! Je doute ! j'ai comme le sentiment que la jeune fille est piégée par ce vieillard qui lui serre la tête d'une main ferme, qu'elle est contrainte de le guider, et peut-être de le nourrir de la vente de ses trois oranges ... mais préférons que cela reste du bénévolat ??


bon, c'est terminé pour les quatre Gérome, mais il reste de belles toiles :

en voilà une dernière (pour la route)

je me laisse guider par les prix ! ! 

1.500.000 à 2.500.000 GPB, nous n'en sommes plus à 1 million près ! ! 

et comme je vous l'ai déjà expliqué, le prix est fonction du mètre carré

105 x 135 cm = 1,41 m2

Der Maler ist Gustav Bauernfeind  (1848-1904)

oui, c'est un Allemand



le même qui a peint cette scène



-«Les saisons à Jaffa sont un changement continuel de décor. Certes, c'est à peu près la même chose à la maison, mais ce qui le rend d'autant plus intéressant dans ces parties, c'est le décor antique ... et les costumes des gens. Vous pouvez donc voir que vous devez vivre longtemps dans un pays comme celui-ci avant de vous familiariser même superficiellement avec tout ce qu'il a à offrir". Bauernfeind dans une lettre à sa mère datée de décembre 1885.

Peinte au retour de Bauernfeind à Munich après son troisième et dernier séjour en Palestine (1888-1888), cette peinture monumentale marque le point culminant des réflexions et des ambitions de l'artiste sur ses toiles de Jaffa. Ici, un groupe de derviches et de soufis mène une procession religieuse, peut-être de pèlerins entreprenant le Hajj annuel à La Mecque. Bauernfeind aurait été assez familier avec le site de cet événement annuel important compte tenu de ses fréquentes visites à Damas, le principal hub et point de rassemblement pour la route du Hajj syrien vers le sud en Arabie. Avec des drapeaux flottant, y compris le sceau Salomon (1), la foule avance dans une rue étroite de Jaffa le jour du marché tandis que des badauds, des marchands de légumes, ainsi qu'un chameau et un âne, laissent la place. Au loin à droite, la mer Méditerranée brille dans la lumière du soir.

Bauernfeind a élu domicile à Jaffa pendant une grande partie de 1884-1887, d'abord dans la colonie allemande de la ville à l'hôtel appartenant à Ernst Hardegg, fils du fondateur de la Temple Society, puis dans une maison louée en ville. Armé de son carnet de croquis et du Detektiv-appareil photo - une caméra espion miniature qui se cachait dans son gilet avec l'objectif lorgnant à travers une boutonnière - on pouvait le voir explorer la ville et enregistrer ses impressions. Il les transformait ensuite en peintures finies, soit à Jaffa même, soit dans son atelier pendant des intervalles en Allemagne. Ces œuvres étaient destinées à son marchand Arthur Sulley à Londres ou à des mécènes privés. Bauernfeind a souvent interrompu ses tournées en raison de problèmes financiers, de conditions de vie et de travail difficiles et de fréquents épisodes de maladie, ce qui signifie que ses œuvres à grande échelle sur la Palestine, comme l'exemple actuel, sont peu nombreuses. Néanmoins, Bauernfeind est resté déterminé. Dans une lettre de 1885 à sa mère et à sa sœur, il écrivait : «La vie ici est au mieux une chaîne sans fin de privations".

En tant qu'architecte de formation, Bauernfeind a été particulièrement ravi et intéressé par les rues, les bâtiments, les mosquées et les autres structures de la ville qu'il a visités en Palestine. Avec leurs histoires riches et complexes, ces structures offraient une myriade de couches de styles architecturaux et de monuments. Jaffa, parmi les ports de commerce les plus anciens du Levant, avait une fascination particulière, et le point de vue actuel dans Procession in Jaffa est en quelque sorte un tour de force à cet égard. Cette œuvre représente les accrétions architecturales de sept cents ans de peuplement, des portes et fortifications chrétiennes du XIIe siècle aux ajouts mamelouks et ottomans. Ici, des maisons ottomanes typiques avec mashrabiya en surplomb des fenêtres jouxtent des arcs et des fortifications construites par les croisés. Au loin sur la droite, surplombant le port, se trouve le minaret de la mosquée al-Bahr, ou la mosquée de la mer, la plus ancienne mosquée de Jaffa. Aucun détail n'échappe à l'œil de Bauernfeind, jusqu'à l'empreinte de la main Hamsa ou Khamsa sur le mur de la maison à gauche, un signe de protection qui représente également des bénédictions, du pouvoir et de la force. 


je cesse pour aujourd'hui

Sotheby's n'en a pas fini

moi non plus il faut que je vous raconte

(1) l'histoire du papillon qui tape du pied !

demain !