jeudi 1 novembre 2018

Psyché à Pompéi


Vous savez qu'au début de l'année, de nouvelles fouilles ont été lancées à Pompéi : devant le succès touristique, et l'effondrement de certaines maisons risquant de détourner les visiteurs, il a été décidé de lancer l'exploration de ce qui s'appelle la Régio V, qui comporte de nombreuses maisons encore ensevelies.



Pire, des maisons connues n'étaient pas entièrement débarrassées des gravats qui couvraient les sols, comme la villa de Jupiter, casa di Giove, ne pas confondre avec le temple du même nom. 



"La grande nouvelle du jour, est la découverte d'un graffiti écrit avec un morceau de charbon, donnant la date exacte de l'éruption du Vésuve. Je vous cite l'article, qui explique une inscription difficile à déchiffrer : "cette nouvelle inscription de deux lignes taguées au charbon a cependant une particularité : elle indique la date du “XVI K NOV”, soit “le 16e jour avant les calendes de novembre”. Elle aurait donc été tracée le 17 octobre de l'année 79. Conservé par la lave, ce graffiti est forcément antérieur à l’éruption, et de par sa nature, tracé au charbon de bois, un matériau qui s’efface facilement, il n’aurait pas pu être inscrit en 78, une année avant la disparition de Pompéi, sans s’effacer".

"C'est un pilier de la Rome antique qui vacille, une de ces dates ayant forgé des générations d'historiens qui est reléguée au rang de fake news. L'éruption du Vésuve qui a détruit Pompéi n'aurait pas eu lieu le 24 août de l'an 79 après Jésus-Christ, comme l'affirment tous les livres d'histoire, mais le 24 octobre de la même année. Le jour de mon anniversaire ! Si la découverte est confirmée, elle relègue Pline le Jeune, qui avait fixé la date de l'éruption au 24 août 79 dans sa lettre à Tacite 30 ans après avoir personnellement assisté à la catastrophe, au rang de chroniqueur imprécis".


Mais ce n'est pas mon sujet : 

 je découvre autre chose bien plus intéressant (pour moi) à cette occasion :


J'en reviens à la casa di Giove. La maison de Jupiter tire son nom de la fresque du lararium placée dans le jardin, dans laquelle la divinité est représentée. Le lararium a déjà été trouvé lors des fouilles du XIXe siècle, au cours desquelles la maison n'avait été que partiellement explorée. Il s'agit d'un petit autel domestique dédié aux Lares, les ancêtres. Je rappelle que dès sa naissance, chaque homme est assisté par un Génie. Ce génie s'appelle Genius. Genius est souvent représenté par un serpent. Il existe même une représentation de Genius sur un laraire : le laraire de la Maison des Vettii à Pompéi. Le génie est en en quelque sorte une force qui accompagne l'homme romain au cours de sa vie.

Au moment de l'éruption de 79 après JC, la maison était en cours de rénovation. Les fouilles en cours ont permis d'identifier plusieurs tunnels, pratiqués dans le passé avant les fouilles officielles, afin de récupérer des objets précieux, qui ont malheureusement compromis la structure de la maison à plusieurs endroits. Néanmoins, les sols en mosaïque, les fresques et, dans certaines chambres, le riche mobilier en fictile et en métal ont été préservés. 

vous reconnaitrez ci-dessous la mosaïque de Psyché dont on voit la tête 2è image en partant de la gauche

Les travaux d’excavation effectués aujourd’hui ont permis de retrouver la structure d’une maison avec un atrium central, entouré de pièces décorées, entrée par l'allée des balcons et au fond un espace à colonnades ouvertes sur lequel donnent trois autres chambres. Les peintures de l'atrium et les salles environnantes ont dévoilé un riche décor du premier style (IIe siècle av. J.-C.) avec des panneaux de stuc imitant des dalles de marbre (crustae) peintes de couleurs vives (rouge, noir, jaune, vert) et cadres avec moulures dentelées. 


mosaïque de Victoire

Je cite la description d'un rapport italien : "Les sols de la domus sont en majorité un simple ciment à base d'argile (dit "signino" ou cocciopesto"), parfois avec des tesselles de marbre blanc disposées à intervalles réguliers ou avec des flocons de marbre disposés de manière irrégulière. Cependant, dans deux salles, la partie centrale de l'étage est ornée d'exceptionnels panneaux de mosaïque rectangulaires d'une grande qualité artistique et de représentations extraordinaires, jusqu'à présent dépourvues de comparaisons précises et qui, à première vue, semblent renvoyer à des mythes mal représentés. probablement d'un caractère astrologique". (je suppose qu'il est fait allusion à ce qui va suivre)..."Des traces d’incendie, enfin, ont été retrouvées dans l’environnement du domus bordant la maison du Mariage d’Argent, déjà largement étudié par le passé. Le feu avait noirci le mur de fresques comportant des éléments d’ameublement, probablement un lit, comme il semblerait démontré par les fragments de bois et de matériaux carbonisés. Une découverte extraordinaire compte tenu de la rareté des objets trouvés à Pompéi".

Voici que le Figaro de cette semaine rajoute une information : la découverte d'une mosaïque étonnante : sans doute ce dont  il est question ci-dessus : elle laisse Massimo Ossana perplexe ! (c'est le Directeur du site)


Mon problème, contrairement à ce que vous croyiez, est de ne pas être abonné du Figaro. Je ne puis que l'acheter (la consultation sur internet est payante) et photographier ce qui donne la photo de droite aux couleurs déformées.

La perplexité de Massimo vient de ce que comme souvent, la mosaïque représente plusieurs scènes difficiles à relier : en bas, un cobra dont j'ai obtenu (par protection) l'agrandissement :


Le serpent n'est pas chez les Romains le symbole de la femme-tentatrice que je vous ai déjà présenté. Loin d'être maudit par nos lointains ancêtres, le serpent leur parait au contraire digne de vénération. Chez les Egyptiens, le naja dressé, Uraeus, portant un disque solaire sur la tête, était l'emblème du pharaon. Les Grecs élevaient des serpents pour leur pouvoir curatif supposé dans les temples d'Asclépios : à Epidaure, où l'on venait chercher la guérison, des serpents non venimeux se promenaient en toute liberté. Attribut d'Esculape, le dieu de la médecine chez les Romains, le serpent, en changeant de peau, semble renaître. Les représentations dans la Régio V de Pompéi sont multiples, comme ci-dessous, mais il ne s'agit pas de cobras : celui en bas de la mosaïque représente-t-il autre chose ? Relisant les Métamorphoses, je réalise que les soeurs jalouses ont prétendu que l'amant nocturne de Psyché (Cupidon, qui refusait d'être vu) était un monstre affreux : un serpent, peut-être est-ce lui qui est représenté ?


on a de belles surprises les gravats enlevés : deux serpents Agatodemoni : de bons serpents sur ce joli lararium
Au-dessus, un hybride au corps de scorpion-torse de femme ailée, ailes de papillons : un OGM de Psyché. Pourquoi le scorpion ? Eros, autrement dit Cupidon, qui vole au-dessus de Psyché-scorpion, est l'amour vrai. Mais l'amour-vrai implique la souffrance : il y a en l'amour quelque chose de douloureux, puisque le moment de l'extase, cet instant de fusion psychique, ne peut durer éternellement. La souffrance, c'est le scorpion, qui peut se piquer lui-même pour en mourir. Inhabituelle cette représentation habituellement réservée aux Centaures ? Par contre, il est très clair que Eros enflamme littéralement Psyché, de manière à ce qu'elle brûle (littéralement) d'amour....on imagine ... pour un mec ? (1)

Quand on cherche des photos, on trouve mais là, non. Attention aux images, si le photographe a tronqué le modèle. C'est le cas ! Voici puisque je passe du bas vers le haut le haut ce que j'ai trouvé :

Psyché, du moins son torse féminin, ailes de papillon, autour du cou, la ceinture du poignard avec lequel ses soeurs lui ont commandé de tuer le monstre-serpent qui s'unissait à elle chaque nuit
mais il manque le bas !

Il a ôté la partie inférieure du corps : dommage : les ailes de papillon sont d'un saturnide. Psyché se fait brûler les cheveux par Eros positionné au-dessus et maniant un brandon enflammé, lui-même couronné par on ne sait quelle Victoire (à moins que ce soit Aphrodite)  d'une couronne de laurier : la scène n'ayant trouvé aucune explication dans les journaux et blogs italiens que j'ai consultés, représenterait un charme d'amour : nombreux ceux qui ont été retrouvés, permettant de jeter un sort à l'être convoitée, afin qu'elle "brûle d'amour incontrôlé pour vous", et se jette ainsi sur le jeteur de sorts, corps et âme, sans la moindre retenue.

Vous ne me croyez pas ? En voici un sort, assez gratiné :

je vous donne mes sources ci-dessous (1)


la mosaïque complète : voir ci-dessous une tentative d'explication ! (1)

J'ai retrouvé dans une autre villa pompéienne une représentation du culto di Giove, avec une scène semblable : tout se tient, si l'on songe que c'est Jupiter lui-même qui a rendu Psyché immortelle, en bénissant son union avec Eros !
Nos ancêtres romains n'ont pas fini de nous épater !

Quant à Pompéi, il faut absolument aller voir les nouvelles trouvailles !

la maison totalement dégagée montre en plus un paon

la source de la mosaïque complète




PS (1) : notes pour Massimo Ossana : Cher Direttore Generale Massimo Ossana, voyant votre perplexité, je me permets de vous soumettre ces hypothèses :

-La représentation de Psyché, le bas scorpion, le haut femme-papillon, m'a conduit à cette réflexion de l'astrologie d'aujourd'hui : "Quoi d’étonnant à ce qu’au Scorpion (l’animal enfoui), gouverné par Pluton, le maître du monde souterrain, correspondent « les parties cachées » du corps : le sexe et l’anus, qui sont moins des données anatomiques que des valeurs symboliques : le sexe représente la puissance génératrice, la pulsion de vie (Eros), la fécondation. Le Scorpion est gouverné par des valeurs de vie : il tend à la création et a besoin de puissance. L’anus représente la décomposition, l’élimination. Le Scorpion est régi par des valeurs de mort (Thanatos) : il tend à la destruction et il est agressif".

-ensuite, le thème d'Eros brûlant Psyché de sa torche enflammée me conduit à la thèse soutenue par Gaelle Ficheux, Université de Rennes le 14 septembre 2007 : "L'être et le désir dans la magie amoureuse antique" ( https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00189672v1/document,)  un document fort nourri de 645 pages. J'en retiendrai la dédicace suivante, figurant en tête de sa thèse :

Voilà, il s'agit d'une mosaïque d'amour : je vous cite un autre sortilège de la thèse de Gaelle, là encore, nos ancêtres cherchaient des potions magiques, pour envoûter leurs conquêtes !


On sait par ailleurs qu'à Pompéi, les établissements pratiquant les amours tarifées abondaient, et cette peinture typique vous confirmera l'obsession de certains pratiquants, exhibant leur attribut, et jetant simultanément des sorts à l'objet de leur convoitise amoureuse :




à gauche une balance : sur le plateau gauche un sac d'écus...devinez à droite l'attribut que pèse le Monsieur ?


je jette ce billet sur la toile comme une bouteille à la mer :

comment contacter la Docteure Gaelle Ficheux ?
Docteur Sophie Hay ?
Direttore generale Massimo Ossana ?

si je prends le premier avion pour Pompéi...

...acceptez-vous de m'ouvrir les portes pour photographier :

la mosaïque d'amour ?


PS 2 : j'étais sur la bonne voie la dernière fois :