exposition d'origine à Marseille |
C'est toute la question avec les antiquités : il faut absolument conserver leur patine. Mais s'il existe des manques, des éraflures et autres brisures, on peut les réparer, mais uniquement si l'on peut donner l'impression que rien ne s'est passé ; les réparations doivent conserver le côté "vieillesse" qui déplait tellement chez la race humaine, et qui plait tellement dans les objets raffinés du passé exposés à Versailles, et au musée de la Marine of course.
Ma maquette vient de chez un antiquaire, qui l'a lui-même acquise parce qu'elle avait la patine d'une sculpture ancienne, d'une peinture de marine : la "force de l'âge", expression qui dit bien ce qu'elle veut dire. Nous sommes retrouvés d'accord sur le fait que le constructeur de l'époque était excellent dans le montage, les couleurs, et que l'oeuvre du temps avait donné une impression (comme l'impressionnisme) de force et d'âge à un monument qui mesure quand-même un mètre quarante de long, et en impose par ses dimensions et ses quinze à vingt kilogs, si d'aventure je le mettais à l'eau mais ce n'est pas prévu.
On peut aprécier les Antiquités et ne pas aimer des détails : un chaumard était parti, décollé, et laissait la trace de son absence : il fallait bien le trouver d'abord, et le remettre ensuite, avec deux minuscules vis à l'échelle ! Derrière un remorqueur, des barres transversales empêchent le câble de remorque de se coincer, elles sont tenues par des montants verticaux : jamais un chantier n'aurait ainsi posé la barre transversale sur ses montants sans renforts triangulaires dessous : la patine est restée la même, mais le montage est désormais fidèle.
avant |
après, 8 pièces en laiton de renfort |
L'incongruité était double : d'une part des accessoires décisifs comme le projecteur avant était en plastique, de mauvaise qualité tellement qu'il était cassé. Je vous ai montré comment je l'ai remplacé par un vrai, en vrai laiton, bronzé comme on le fait avec les fusils. Pareil pour le compas, maintenant conforme, avec l'éclat du laiton qui plait tellement dans les ventes de Marine quand un Breton veut s'en acheter un pour mettre dans son salon, au moins il sait en permanence où se trouve le Nord.
le projecteur s'allume, et dessous, j'ai posé un pare-brise relevable pour les canicules |
le feu rouge babord remis à l'endroit, en face à tribord le vert aussi |
Pareil pour les portes : un mignon petit anneau permettait de les ouvrir, certes. Mais quand on entre dans la pièce de commande où règne le Capitaine, on vérifie s'il y est par un hublot, que j'ai bien du rajouter, comme les vraies poignées de portes absentes. Pareil pour le poste de pilotage qui était vide : je comprends que l'on ne voie pas grand chose de dehors, encore faut-il entrevoir qu'il y a bien une grande roue de gouvernail, avec sa transmission par de vraies chaines. Et non pas un mais deux télégraphes pour commander les hommes restés en bas près de l'énorme diesel qui fait avancer le bateau. J'ai dit énorme pour faire bien, mais le moteur Sulzer ne faisait que 600 CV, pas grand chose comparé au Grand Bé son successeur.
pour éviter de me casser la figure en cas de mer formée, je me suis mis deux balustrades pour me tenir en montant sur le toit pour lire le compas |
Le pire étant les canots de sauvetage. La logique des créateurs de France Maquette à l'origine, qui fait l'intérêt du modèle, était que si la coque était en ABS, toute formée, en contrepartie tous les accastillages étaient en laiton moulé, quel pari pour les mouler : le gros crochet pèse une tonne. Toutes les bites d'amarrage. L'hélice, l'étambot et le gouvernail massifs, et le guideau avant. Lui, il lui manquait les freins, reconnaissables à leurs volants absents, qui vont bientôt venir. Quant aux canots, accessoires typiques d'une belle maquette, l'idée avait été d'en faire un moule à partir d'une forme originale, et d'en tirer des exemplaires en aluminium fondu, une technique faisant penser aux bronzes Grecs, mais avec un matériau moderne.
L'astuce des modélistes désirant allier minimum d'effort et rapidité de construction, consiste à bâcher le canot, de manière à ce que l'on ne voie que la bâche. Celle-ci était en cuir, avait 50 ans, et le cuir qui n'avait jamais été nourri se décomposait tout seul. L'antiquaire marseillais voulait absolument que je le conserve, car il donnait à lui seul son âge à la maquette, le poids des ans créant des rides, pire que des rides, des crevasses. Alors je m'interroge sur la façon d'aborder le sujet en face : créer de vieux canots de sauvetage, vieux mais fidèles, au pire s'ils sont ratés, remettre un bout de l'ancienne bâche sur un cuir neuf pour la faire apparaitre comme témoin ?
l'état avant, de toute manière, on ne pouvait laisser l'alu nu |
https://babone5go2.blogspot.com/2015/03/modeles-darsenal-montrejeau.html
J'interroge Jacques M. expert mondialement reconnu pour fabriquer des modèle d'arsenal avec un détail inouï. Il faut 15 ans pour un modèle, je vous ai montré une réalisation grâce au lien qui précède. Maintenant il a décidé vu son âge de réduire le temps de fabrication à un an, et il construit au 1/8è des voitures à chevaux, les roues à elles seules sont une merveille de miniature. Justement, il part exposer à Evian, il a du louer un fourgon pour avoir la place d'entrer son vaisseau amiral ! Il me dit que sans plan, je ne puis rien faire, et qu'il ne peut m'aider. Ensuite, qui sait si en 1957 les canots n'étaient pas en tôle ? Bref, il ne peut rien faire pour moi, son sujet maintenant est l'hippomobile.
https://www.youtube.com/watch?v=2QmtSs7CQnU
Je m'adresse alors à un modéliste qui fait de la pub sur le Bon Coin, avec le raisonnement qu'un spécialiste sera plus fort que moi. Il me répond qu'il lui faudrait un plan, et que de toute façon il est complètement pris pendant les deux ans à venir, car on lui a commandé une maquette du France. Je lui rétorque vexé qu'il y a des canots à faire aussi, qu'il va donc devoir en construire...et chacun reprend son chemin. Quand on ne trouve pas un truc, vous savez que l'ultime solution pour quelqu'un qui le veut vraiment est de se le faire lui-même ! Après tout, je suis aidé puisque la coque existe, pas besoin de la créer, suffit de lui ajouter ce qui lui manque ! Je rajoute la forme des renforts de coque anti-roulis. Comme j'ai dans le salon la maquette du canot du Titanic, je réfléchis que je dispose d'un modèle, je rajoute donc les sièges longitudinaux permettant de faire asseoir les naufragés. Et je crée les planches au sol, pas plus difficile que les parquets de mes fourgons Citroën ! Il suffit d'ajouter des gaffes, les câbles en vrai acier pour les accrocher à leurs grues, une cloche, une ancre avec une vraie manille à l'échelle, mes canots font vrai, un peu de poussière dessus va vite les vieillir.
J'ai une vraie chance dans toute cette aventure, c'est l'appui de Edel-Modellbau. J'attends ma troisième commande d'un accastillage magnifique, détaillé, en vrai laiton moulé, conforme à la réalisation d'origine. J'attends encore les "Oberlicht n°783", qui sont les hublots protégés par des barres verticales, comment font-ils pour que cela soit aussi détaillé ?
je n'ai pu en avoir que 2, alors qu'il m'en faut en tout 16 |
on voit les traces de l'électro-tectomie visant à récupérer les fils électriques cachés, qui sera recouverte par le crochet |
ces lampes sont extraordinaires de vérité. Il suffit de les passer au tour pour les assembler pile car il faut incorporer les ampoules, si on a... des ampoules ! |
j'ai créé un sous-plafond dans le poste de pilotage pour gérer à part l'éclairage extérieur et intérieur |
La cerise sur le gâteau, c'est l'électrification générale. Une maquette même patinée, et statique, doit allumer ses feux la nuit, pour voir, et surtout être visible. J'ai fait un vrai travail de chirurgien, en ouvrant un trou rond en bas du château arrière, caché par l'énorme crochet. J'ai ainsi pu, grâce à un crochet fabriqué avec du tube, faire traverser toute la coque par les fils afin de récupérer les feux avant. Depuis que les Chinois ne livrent plus Cap Maquettes à Nantes avec leurs ampoules 2mm sous 6v, j'ai du me rabattre sur des 3mm que j'avais en stock. J'ai toujours des stocks, prévoyant que la France puisse s'arrêter d'un coup sans prévenir, pareil pour l'alimentation...les médicaments, le pétrole...conséquences des flux tendus. J'ai décidé de les brancher en 4,5v, ce qui baisse l'intensité. Comme un vieux bateau dont la batterie baisse de voltage.
Comme un bateau âgé, et qui reste patiné.
Voilà, cela va faire deux mois pleins pour aboutir au compromis,
détails et patine
du coup je me suis remis à l'Allemand
et je vis (fictivement) à Saint-Malo, dans le port
et je sens l'iode de la mer !
le Grand Bé a pris la place du Côte d'Emeraude construit en 1977, même longueur 27m mais 1830CV à 1000tours/mn, et 2 hélices |
heureusement qu'il reste les photos, le remontage fait oublier ce qui a été un grand déballage ! |
il est midi, l'heure du facteur, il me sourit sous la pluie, la 3ème commande est arrivée dedans 2 merveilles au milieu d'autres merveilles les 2 volants des freins sont brunis et posés |