samedi 19 octobre 2024

Molinos de Guadalquivir, les mêmes qu'à Hama en Syrie

Mon métier à l'origine était de chercher et transporter l'eau, j'ai eu la chance de l'exercer vraiment dans le Tarn et Garonne dans les années 70, fameuses années où l'on consommait la moitié de l'énergie actuelle, était-on deux fois moins heureux ? J'ai donc été toujours fasciné par l'eau, avec ses multiples usages, dont les moulins. Moulins qui donnent de l'énergie, mais moulins qui peuvent aussi servir à transporter l'eau, plus précisément à la faire monter, comme ultérieurement fera une pompe. Le must en la matière, après la vis d'Archimède, étant la noria. La noria est cette grande roue célèbre à Hama en Syrie, à laquelle sont attachés des seaux se suivant côte-côte. Arrivés en haut de leur parcours circulaire, ils se vident par côté dans un canal plus haut, et ainsi peuvent alimenter un champ en altitude s'il s'agit d'irriguer le champ, voire une villa romaine s'il s'agit de lui permettre de faire fonctionner, avec la pression nécessaire, une douche.

https://babone5go2.blogspot.com/2014/08/montmaurin-1.html

cela fait pile dix ans ! (tempus fugit)

Je me souviendrai toujours de cette visite de Montmaurin avec mon frère Historien-Docteur-émérite-Maitre de conf' et j'en passe, lui montrant la douche en question, et nous interrogeant sur le présumé château d'eau romain lui permettant de fonctionner en pression. Comme nous sommes peu éduqués, lui Docteur en Histoire et moi Ingénieur Général ... du Génie et des Eaux..., nous doutons et prenons conseil auprès de visiteurs Toulousains parlant fort, surtout qu'ils sont entourés de femmes en talons découvrant manifestement la campagne. Les guide un Archéologue de la meilleure réputation parlant fort. Je lui demande ce qu'il en pense, et sûr de lui (un Toulousain sait toujours tout sur tout et n'a jamais de doutes) il me répond : -"ILS ont forcément bâti une noria" ! Voilà pourquoi je suis toujours excité quand je vois une noria, car cela m'aide à imaginer celle (présumée) de Montmaurin ! 


Vous êtes nombreux à vous être rendus à Hama, pour admirer les gosses qui se jettent dans l'eau sale, à partir des célèbres roues en bois, qui tournent sans fin, destinées à l'origine à faire monter l'eau du bas en haut, afin d'irriguer les légumes qu'ils n'ont plus besoin de produire depuis qu'ils peuvent les importer de n'importe où, cultivés hors sol sous serre. 

Ces roues sont très spectaculaires, car elles peuvent être doubles ; triples ; en série ; perpendiculaires, donnant autant de plongeoirs possibles aux gamins, et autant de photos à publier sur Google par les touristes fatigués des tapis et des repas du coin. 







"le danseur", se fait remonter par la roue, et plonge en bas, remontant et plongeant indéfiniment

On le sait, le terme « noria » définit l’ensemble de la structure : l’aqueduc et la roue. Les maçonneries sont construites pour durer et traverser les siècles. Elles sont composées d’une digue, d’un canal d’amenée, d’une tour, d’un triangle et d’un aqueduc. La roue est la partie la plus éphémère.

Les roues de l’Oronte avaient une structure tout à fait spécifique, à la fois complexe dans sa composition et simple dans sa mise en œuvre. Intégralement en bois, leur assemblage reposait sur un judicieux système d’emboîtements et de cales qui, gonflé d’eau, se renforçait au fur et à mesure de la rotation de la roue. Ainsi, immergée dans l’eau et mue par la force du courant, la roue se mettait en marche, ses godets chargeaient l’eau puis la reversaient dans l’aqueduc dont le canal se répartissait ensuite à travers les jardins. Le moyeu de la roue en était la pièce principale et la plus lourde. Il reposait sur des coussinets de bois placés sur la fenêtre de la tour d’un côté et sur le triangle de l’autre côté. Le moyeu était enserré dans un ensemble de madriers sur lesquels on fixait les bras principaux et les bras secondaires. Un premier cercle intérieur venait solidariser les bras entre eux. Puis, sur le cercle extérieur étaient fixés les planches radiales, les pales de propulsion et les godets. Pour restaurer une roue, il suffisait de fermer les vannes et de l’immobiliser. On pouvait ainsi changer n’importe quelle pièce de la roue, des pales au moyeu.

le moyeu de Cordoba

Les norias syriennes de Hama, si fragiles, aujourd’hui disparues pour ainsi dire, étaient à ce titre uniques au monde. Les grandes roues du fleuve Oronte s’élevaient pour certaines jusqu’à 21 m de diamètre, et pouvaient distribuer, pour les plus grandes d’entre elles,

50 litres d’eau par seconde, soit environ 200 m3 par heure, et irriguer jusqu’à 75 ha de jardins.



La vallée de l’Oronte, écrin de verdure des norias

Les norias étaient un patrimoine précieux de notre mémoire commune, de l’eau et de son partage, elles avaient pour écrin la fertile vallée de l’Oronte, étroit couloir verdoyant au cœur de la steppe aride. C’est du fleuve que la vallée féconde tient son nom, l’Oronte, al-’Asi, le dissident. Dissidence parce qu’il chemine du sud au nord, à rebours des grands autres fleuves de la région, le Tigre et l’Euphrate. L’Oronte, fleuve dissident donc, mais particulièrement serein, dont le régime régulier, les crues très rares, le débit toujours abondant, le lit fermement tracé et les berges abruptes endiguant tout débordement excessif, lui ont toujours conféré un statut à part de fleuve miraculeux dans une région dure, aride et hostile. L’Oronte est en effet un fleuve aux multiples visages et au parcours riche et varié. Il puise à toutes les résurgences et accueille toutes les précipitations pour s’assurer cette force tranquille. Long de 571 km, il traverse trois pays, le Liban, la Syrie et la Turquie, avant de se jeter dans la Méditerranée.



Le long de l’Oronte, de tout temps, on pouvait admirer ces perles d’un long collier de verdure, les jardins. Leur présence offrait à l’homme les céréales et les légumes dont il avait besoin pour vivre. Jardins utiles et féconds avant tout, ils se composaient de vergers où étaient cultivés noyers, néfliers, abricotiers, grenadiers, amandiers, figuiers et vignes. Le long des rigoles d’irrigation s’élevaient les longs peupliers noirs qui servaient, entre autres, à confectionner les bras des norias. C’est entre les arbres que l’on trouvait les parcelles de pois, de fèves, de maïs, celles des légumes de base, tomates, courgettes, aubergines, laitues, piments, cornes grecques, corète potagère, ocra, navets, choux, haricots, mais aussi pourpier, menthe, persil, ail, oignons, cumin… Bien souvent, rosiers et jasmins ornaient et embellissaient encore ces abondants jardins. Les célèbres jardins de la Ghouta de Damas, que le Barada a fait jaillir, n’ont d’ailleurs jamais eu d’autres rivaux que ceux de l’Oronte.

Et de ce fait, la vallée de l’Oronte a toujours été un espace au profil particulier, un lieu privilégié de rencontre et d’échange entre ces deux cultures si différentes qu’incarnent les mondes nomade et sédentaire. Point de jonction essentiel, les Bédouins venaient y échanger leur lait et leur viande avec les céréales, fruits et légumes des agriculteurs sédentaires, et les outils et ustensiles de l’artisan citadin.

C’est lorsque l’on parcourait les marchés de Hama que l’on mesurait l’importance de cet espace de rencontre entre deux cultures contraires dans leur première approche, mais cependant si complémentaires.

Les norias étaient la symbiose de ces deux conceptions de vie, de ces deux regards qui diffèrent tant, de ces deux mouvements si radicalement contraires. Elles incarnaient l’alliance de l’ici et de l’ailleurs, de l’éphémère et de la durée, du mouvement et de la demeure. Elles permettaient que se lient et se complètent ceux qui devaient rester étrangers l’un à l’autre. Leur conception même révélait l’union de ces deux mouvements : une partie, l’aqueduc, bâtie en dur, pérenne, ancrée dans la terre, supportant l’autre partie, toute de bois et dont la durée de vie est, par définition, plus éphémère.

Entre Rastan et Sayzar, tout au long de cette échappée champêtre d’une centaine de kilomètres, il ne restait, avant 2011, que quelques norias naufragées. Le barrage de Rastan, achevé en 1961, a permis un développement agricole exceptionnel de la région. Il a aussi sonné le glas des norias en modifiant considérablement le régime de l’Oronte, dont le débit n’était plus suffisant une grande partie de l’année pour faire fonctionner les norias. Mais la fin des norias était déjà annoncée, en quelque sorte, bien avant la construction du barrage. L’arrivée massive des motopompes, l’urbanisation accélérée et amplifiée de Hama, la croissance démographique augmentant les besoins et orientant logiquement vers une agriculture plus industrielle, tous ces facteurs ont contribué à la rapide agonie des norias. La guerre qui fait rage depuis 2011 a, semble-t-il, définitivement scellé le sort des belles roues.

Le plus étonnant pour moi en tous cas, c'est que dans leur conquête du Sud de l'Espagne notre voisine, les conquérants ont emmené leur Culture, leur architecture, leur science de l'eau, leurs jardins... et leurs norias ! 

il suffit de se rendre à Cordoue pour en voir une !



ici nous sommes au centre de Cordoue, sur le Guadalquivir, et sont indiqués nons pas un, mais cinq moulins proches les uns des autres


et el Molino de la Albolafia est le seul a avoir toujours sa roue


Il se trouve sur la rive droite du Guadalquivir, près du pont romain. Ses origines remontent à l'époque romaine. Il avait pour fonction de produire de la farine. Sa roue verticale caractéristique est parfois représentée parmi les symboles de la ville de Cordoue.

Selon l'érudit espagnol Felix Hernández Giménez, le nom Albolafia , dont le sens arabe est équivalent à « bonne chance » ou « bonne santé », vient d'un architecte appelé Abu l-Afiya qui a rénové et amélioré la noria au XIIe siècle. Le mot noria , quant à lui, est dérivé de l'arabe nā'ūra (ناعورة), qui vient du verbe arabe signifiant « gémir » ou « grogner », en référence au son qu'elle faisait en tournant.

Certains auteurs citent les origines de l'Albolafia dès le IXe siècle, à l'époque d' Abd ar-Rahman II, qui fut responsable de l'amélioration des jardins de l'Alcázar (palais royal) et de l'amélioration de l'approvisionnement en eau de la ville. En particulier, l'écrivain du XVIe siècle Ambrosio de Morales a affirmé que la roue hydraulique existait au début du IXe siècle, mais on ne sait pas exactement quelles preuves il avait pour étayer cette date. Des sources du Xe siècle mentionnent l'existence de moulins à eau le long de cette partie du fleuve Guadalquivir. L' historien marocain Ibn Idhari, écrivant en 1306, a également affirmé qu'une grande noria a été construite ici au Xe siècle (probablement à l'époque d' Abd ar-Rahman III ). 

Les érudits modernes ont divergé sur les origines les plus probables de la structure. Leopoldo Torres Balbás, un érudit espagnol du XXe siècle, a soutenu les affirmations antérieures de Lévi-Provençal selon lesquelles la noria a été construite en 1136-1137 par Tashufin, le gouverneur almoravide de Cordoue sous le règne d' Ali ibn Yusuf . Cette origine almoravide du XIIe siècle est considérée comme l'une des hypothèses les plus plausibles et les plus fréquemment répétées. Manuel Ocaña Jiménez, un autre érudit du XXe siècle, pensait que le souverain du IXe siècle Abd ar-Rahman II était très probablement responsable de sa construction. Plus récemment, les archéologues Alberto León Muñoz et Alberto Javier Montejo Córdoba sont d'accord avec cela, affirmant que les photographies du XIXe siècle de la structure (avant les modifications ultérieures) montrent des éléments architecturaux caractéristiques du IXe siècle et indiquant une construction sous le règne d'Abd ar-Rahman II ou de son successeur, Muhammad I. Felix Hernández Giménez, qui a restauré la structure au XXe siècle, a affirmé que de grandes parties de la structure pourraient être datées de l'époque d' Alphonse XI au XIVe siècle, avec des restaurations supplémentaires au XVe siècle. De plus, Ricardo Córdoba de la Llave soutient que les sources musulmanes historiques ne mentionnent pas explicitement la noria d'Albolafia en particulier et que les preuves de la maçonnerie du bâtiment et des structures médiévales voisines suggèrent que la structure actuelle a été construite au XIVe siècle, même si elle aurait pu être une reconstruction sur une noria islamique antérieure.

Je m'amuse à vous donner ces détails historiques, pour montrer que nos amis espagnols du Sud, ont été grave colonisés, au point eux aussi d'avoir bénéficié de la Culture, de l'Art, et des moulins apportés d'Orient.


Au total, les moulins du Guadalquivir sont onze sur le cours du fleuve Guadalquivir dans ou tout près de la ville de Cordoue, dans la communauté autonome d'Andalousie, en Espagne. La junte d'Andalousie les a déclarés Patrimoine historique andalou le 30 juin 2009. Les plus anciens de ces moulins remontent à la période romaine, mais la plupart sont médiévaux, datant d'entre le XIIIe siècle et le XVe siècle. Ils présentent différents stades de détérioration. Certains ont été restaurés et réemployés à des fins culturelles et touristiques. Leurs noms sont : Albolafia donc, Alegría, Carbonell, Casillas, Enmedio, Lope García, Martos, Pápalo, San Antonio, San Lorenzo et San Rafael.

Avant de vous rendre en Syrie, particulièrement à Hama, je vous engage donc, amis et amies voyageurs (et voyageuses) avides de dépenser du kérosène en rentabilisant (légitimement) les transports aériens low-coast, à regarder autour de vous si d'abord il n'y aurait pas encore un vieux moulin à visiter, voire à retaper. Si non, une ballade à Cordoue s'impose.

https://generationvoyage.fr/visiter-cordoue-faire-voir/

il y a 15 choses incontournables à faire :

d'abord un bon bain du Calife et un autre arabe,

puis saluer la noria,

enfin déguster la gastronomie locale


je préfère le jamon iberico, mais faute de... le serrano est pas mal

évidemment, c'est moins exotique que la spécialité de Hama, le alawé al-joubné, entouré de fromage pâte de riz sucrée ou non.


comment ça se dit en latin ?


un peu de guitare ?