Suspendons !
Je me doutais bien que l’affaire
Sivens est grave : nous sommes dans la France "d’en bas", on y construit un
barrage agricole, on défriche la forêt : pas grave : on est entre « provinciaux » ;
tout est légal, c’est le Président du conseil Général qui défend le projet, son
projet, il le fait dans l’intérêt général de son département, forcément ! Il n’est pas le seul élu de sa majorité
gouvernementale à croire en sa bonne foi. Le Ministre de l’Intérieur insiste
tout à l’heure sur Europe 1 : ce n’est pas l’Etat qui défend son projet :
c’est le projet du Tarn après tout, on fait confiance au Tarn pour avoir … du
bon sens !
Dany devient le seul personnage à élever le débat aujourd’hui :
« il faut suspendre ». Il
faut suspendre le projet. Après tout, le maïs 2014 est en train de sécher (1), j’imagine
que dans le Tarn, on prépare le futur maïs des années 2016 ou 2017 ou après
encore ? On a bien trois mois pour réfléchir ? Le Ministre de l’Intérieur
reprend le slogan : « j’ai
suspendu l’emploi des grenades offensives » ! Quand on y songe
bien : utiliser des grenades offensives pour défendre l’irrigation de 40
exploitations de maïs traditionnel, c’est un peu …ridicule ! On a suspendu
puis supprimé l’écotaxe pour moins que
cela ! Suspendons !
Suspendons les projets mal ficelés !
L’écrivaine
Hélène Duffau écrit à Thierry Carcenac dans Mediapart. Elle a des propos très
durs, mais elle écrit très bien :
« Un projet de barrage d’irrigation tente de s’implanter en force.
Il concerne la zone humide du Testet, un lieu précieux pour l’écologie, pour la
préservation des espèces, tant animales que végétales, et leur reproduction. Un
lieu précieux pour qui aime à randonner dans un territoire verdoyant,
auparavant réputé pour sa sérénité.
Depuis des mois, des citoyens disent les erreurs manifestes réalisées
lors de l’étude de terrain et de faisabilité. Ils suivent les moyens légaux et
juridiques pour se faire entendre et aviser les instances publiques, dont le
conseil général, de solutions en phase avec l’Agenda 21, la nécessaire
transition énergétique — qui tarde désespérément à se mettre en place dans
notre pays, tout occupé à préserver un modèle devenu caduc.
Depuis quelques jours, mon fils a rejoint la zone à défendre ou ZAD. Il
aura 19 ans dans quelques jours. Avec d’autres jeunes et d’autres plus avancés
dans la vie, il se mobilise pour ses convictions. Il s’engage sur le terrain
pour protéger une nature qui n’a que les humains pour veiller sur elle ou, au
contraire, la dévaster. Il se lie à d’autres résistants parce que le sentiment
d’injustice associé à ce projet de barrage le laisse par trop intranquille,
insatisfait, et qu’il se sent suffisamment juste pour être entendu dans ses
revendications.
Monsieur le Président, si mon fils s’invite dans cette action, c’est
parce que vous demeurez sourd aux appels citoyens pacifistes. Parce que vous
faites le choix archaïque d’un passage en force en lieu et place de la discussion,
de l’échange constructif et de la concertation — une solution par laquelle la
démocratie locale se trouverait pourtant grandie. Si mon fils s’engage,
monsieur le Président, c’est également pour dénoncer des manipulations de
dossiers qui vont dans le sens contraire de la transmission d’une information
claire et précise, sur un sujet très coûteux qui engagera vos concitoyens pour
le restant de leurs jours imposables.
Si ce jeune milite aujourd’hui, c’est parce qu’une décision inique
frappe son territoire et qu’il forme le vœu de vivre dans un pays où la liberté
d’opinion n’a d’égale que celle de se battre pour ses convictions. Car c’est
ainsi, monsieur le Président, à travers l’histoire de notre pays, que la
société française a pu évoluer : grâce au combat de citoyens qui ont dénoncé
l’injustice et se sont battus pour faire triompher le droit. Nous ne vivons pas
dans le territoire de Jaurès pour rien !
Monsieur le Président, cette jeunesse à laquelle vous tentez de donner
la leçon en faisant sonner la garde, les Zadistes tous réunis, ces humains-là
savent que l’avenir passe par l’écologie, par le respect de la nature et
l’abandon d’un modèle agricole qui nous tue à petit feu, de par son utilisation
massive d’intrants polluants, et sa soif incommensurable d’eau.
Cette jeunesse qui milite sait aussi, monsieur le Président, que
l’avenir est à la paix, celle des consciences d’abord — et je pense à la leur,
luttant pour pouvoir se regarder dans le miroir sans sourciller. Elle sait que
l’avenir est à la transition énergétique, et à la réinvention d’une démocratie
trop souvent fatiguée par l’affairisme et les intérêts non républicains qui se
jouent en sourdine, dans le pays, lors de bien des projets d’aménagement du
territoire.
Sachez, monsieur le Président, que je soutiens pleinement mon fils et
les résistants de Sivens. Je partage leur combat et crains pour eux chaque
jour, chaque nuit, chaque matin quand le jour se lève et que les affrontements
reprennent. Au lieu de redoubler d’efforts pour les évincer brutalement et au
plus vite, nous devons toutes et tous être fières d’eux qui tiennent bon,
malgré toute l’ingratitude de leurs conditions de vie, là-bas.
Monsieur le Président, quand, dans une démocratie, les forces de
l’ordre interviennent en lieu et place du dialogue, quels mots nous reste-t-il
pour qualifier un tel régime, l’époque et ses manières ? Pour ma part, je n’en
possède plus aucun en lien avec le respect dû par un élu à ses concitoyens.
Dans la démocratie, la souveraineté appartient au peuple. Et c’est ce
peuple, monsieur le Président, qui vous envoie un message fort pour vous dire
les erreurs et leur danger pour un territoire fragile, au Testet. Nous pouvons
toutes et tous être fières de ces sonneurs d’alerte qui viennent nous dessiller
et nous dire la réalité de la Terre.
Puissiez-vous, monsieur le Président, enfin les reconnaître comme tels et
entendre leur propos.
Je crois bien que
Madame Duffau a été entendue : le projet est bien « suspendu »
Peut-on initier, entre-temps un projet alternatif pour les petits maïsiculteurs
du secteur ?
... me semblerait la seule question à
mettre sur la table. Suffit-il de les grever de futures charges fixes pour
faire leur bonheur ? Peut-être, par exemple si on leur propose une
filière, valorisant le maïs produit, pour en faire du foie bio, ou
toute autre valorisation qui leur éviterait d’être le jouet des prix mondiaux ?
Ce n’est pas une panacée de produire seulement des céréales de base. Notre
vieux Pays doit développer des produits à forte valeur ajoutée !
Réfléchissons, étudions,
optimisons,
la pluie va arriver,
en trois mois on pourrait vérifier qu’on ne peut s’y prendre autrement, et des
arguments cartésiens permettraient d’élever
le niveau du débat.
Au pays de Descartes…et Jaurès…
mieux vaudrait en sortir par le haut !
(1)PS : Dans le Tarn et Garonne, on voit comment les
barrages collinaires individuels ont permis le développement optimisé du maïs,
avec séchage à la propriété, et valeur ajoutée à l'aval.