chaque fois que nous allons à Tarbes, je salue la Vierge de la rue du Bac qui envoie les rayons de ses deux mains, face à Bordes de Rivière |
Dans les billets qui précèdent, la Vierge dicte autrefois, c'est souvent avant la Révolution, des messages théologiques à de très jeunes enfants, qui parfois les communiquent au Pape, Pie XII notamment, lui permettant de conclure des dogmes de premier plan : Mater Dolorosa ; l'Assomption ; l'Immaculée Conception. Notre paysage, nos églises, restent les témoins de ces croyances passées, avec des statues toujours présentes dans nos campagnes. Il arrive que de nouveaux élus s'inquiètent de leur délabrement, et les fassent repeindre, après tout, ce sont des témoins vivants des croyances passées !
Dans de nombreux cas courants, il ne s'agit pas de dogmes compliqués : la Vierge apparait, demande (fermement) que soit construite une chapelle, auprès d'une source qu'elle provoque si elle n'existait pas auparavant. Et qui boit l'eau de la source va être guéri, croyance qui attire encore des milliers de pélerins à Lourdes. Ces pélerins, il va falloir les transporter ; les loger, les faire manger, et in fine les soigner. Et les lieux hors Lourdes restent très nombreux : je viens d'évoquer Garaison, guérison. Il y en a d'autres, je me borne toujours aux Pyrénées Centrales, en voici deux :
a |
En mai 1682, la Vierge Marie apparaît à une fillette de 12 ans sur un coteau boisé du lieu-dit Lareu, à trois kilomètres d’Aurignac, (oui l'Aurignac des Aurignaciens) pour demander que l’on prie beaucoup et que l’on construise à cet endroit une chapelle. Après maintes péripéties, la chapelle Notre-Dame-de-Saint-Bernard accueille aujourd’hui pèlerins et fidèles qui viennent toujours en reconnaissance des grâces reçues.
Comme le souligne l’abbé André Algans dans l’avant-propos de la remarquable brochure documentée qu’il a consacrée en 1958 à ces événements, le récit de Notre-Dame-de-Saint-Bernard est documenté.
D’une part, il a pour base
l’ouvrage de Dom Le Nain : La vie de l’abbé de Rancé, publié en 1709, abbé dont
François-René de Chateaubriand a également réécrit la vie dans un livre où il
reprend en quelques lignes l’apparition de « la Sainte Vierge à une chevrière
âgée de douze ans » (Vie de Rancé, 1844, p. 84). L’abbé Armand Jean Le
Bouthillier de Rancé (1626-1700) a fondé et dirigé l’abbaye cistercienne de
stricte observance de La Trappe (Orne), d’où est issu Pierre Cathiény, le
constructeur de la chapelle (cf. suite du récit). Il a de surcroît souvent
rendu visite à l’évêque du Comminges, ce qui explique son lien à cette histoire.
Le patronage de saint Bernard de Clairvaux, grand promoteur de l’ordre
cistercien et chantre de la Vierge Marie, attaché à cette chapelle, s’explique
par cette relation.
vous voyez, ce n'est pas d'aujourd'hui, c'est même loin dans le passé !
D’autre part, le récit proprement dit est reconstitué à partir des rapports faits, en 1688, à Monseigneur de Guron, l’évêque du Comminges sur ces événements.
La première apparition de la
Vierge Marie. Nous sommes en mai 1682, sous le règne du Roi Soleil, sur le
territoire de la paroisse d’Alan, au nord-est de Saint-Gaudens, en Comminges, où se trouve une résidence de l’évêque. Un groupe d’enfants,
filles et garçons, s’est écarté du village pour jouer tout en gardant un
troupeau sur un coteau boisé au lieu-dit Lareu. Parmi eux, il y a une jeune
fille d’une douzaine d’années, Madeleine Serre. Le moment de rentrer arrive et
chacun part de son côté pour regrouper les bêtes et descendre la pente qui mène
à un ruisseau situé sur le chemin du retour. Madeleine, dans cette action, ne
voit pas un trou dissimulé par des broussailles et y chute criant dans sa
surprise : « Ah, Jésus ! » À peine retrouve-t-elle ses esprits, qu’elle
aperçoit la surplombant une Belle Dame entourée d’un halo qui la regarde avec
bienveillance et engage avec elle une conversation dont l’essentiel est
rapporté par l’abbé A. Algans :
- « Relève toi
ma fille, tu n’as aucun mal. Est-ce que tu pries le Bon Dieu ?
- Oui, Madame.
- As-tu ton
chapelet ?
- J’en avais un
que j’ai égaré.
- Il faudra t’en
faire offrir un afin que tu puisses prier. »
Puis, après un moment de silence,
plongeant ses yeux pleins de tendresse dans ceux de la jeune enfant, elle lui
dit :
- « Je suis la Vierge Marie. Je suis venue ici pour te dire de prier, de bien prier et pour que tu dises aux autres aussi de prier beaucoup, beaucoup. Tu iras trouver les prêtres de la paroisse. Tu leur diras de me bâtir ici une chapelle. Quelqu’un viendra de loin pour la construire. Tu diras aussi aux prêtres d’arranger cette source pour qu’on puisse y boire et s’y laver. Les malades qui useront de cette eau seront guéris ou du moins soulagés. C’est pour qu’on prie davantage que je demande tout cela. »
je tente d'être lucide, et de m'orienter sur place ! |
Tous les enfants bouleversés. Ces phrases prononcées, la forme corporelle se fond avec douceur progressivement dans le halo et bientôt ne reste plus qu’une lumière perceptible par Madeleine, puis par ses camarades qui, saisis par son attitude extatique, s’étaient rapprochés d’elle, sans rien voir de cette apparition et donc sans rien comprendre à ce qui se passait. La présence de cette lueur, disparue à peine entrevue, et le retour de Madeleine parmi eux, c’est-à-dire le lien retrouvé avec elle qui redevenait ce qu’elle était jusque-là, les troubla. Ils reprirent la conduite du troupeau et se dirigèrent vers leur village. Restées en arrière, Madeleine Serre et son amie Jeanne Teulé suivaient, sans doute partageant leurs émotions après ce moment si fort et mystérieux. Brusquement, la lumière réapparut et reprit forme. La Belle Dame bienveillante était là devant elles. Jeanne donc la voit aussi. Madeleine tombe à genoux, se relève et repart pressée par Jeanne. Une troisième et dernière fois, la Vierge Marie leur apparaît. Puis Madeleine rentre chez elle avec en mémoire cette rencontre d’exception qui la bouleverse, mais aussi avec la pensée de la mission qui lui a été confiée : prévenir les prêtres d’Alan.
Une publicité nouvelle des événements... Madeleine, avec courage, raconte ce qui vient de lui arriver et les demandes faites au clergé, par une Belle Dame qui s’est désignée comme étant la Vierge Marie, d’édifier un lieu de culte et de prières dans le bois dit de Lareu. Elle est aidée dans sa mission par ses camarades qui, de leur côté, corroborent son récit, l’extase de Madeleine, et la lueur qui se déplaçait dont ils ont été les témoins. Jeanne Teulé aussi rapporte que la Belle Dame lui est apparue. Tout le village en parle, confronte les récits et croit finalement à la sincérité des enfants, qui n’auraient aucune raison d’inventer une telle histoire qui les dépasse. Les villages alentour ont eux aussi très vite connaissance des événements. Bientôt, la nouvelle se répand dans toute la province du Comminges et beaucoup de personnes se rendent sur les lieux désormais marqués par une grande croix dressée par les habitants qui aménagent la source. Des miracles commencent à se produire après que, conformément aux paroles de la Vierge Marie, certains aient bu l’eau. Les pèlerins qui passent par là pour se rendre à Saint-Bertrand de Comminges ; puis Garaison à 32 Km font le détour (1). Parmi eux, un certain Pierre Cathiény d’origine suisse et novice à l’abbaye de la Trappe fondée et dirigée par l’Abbé de Rancé.
L'enthousiasme initial est cependant atteint par l’attitude de l’évêque, Monseigneur Louis de Guron, qui, alors que le chanoine qu’il avait diligenté
pour lui faire un rapport sur cette affaire lui conseille de reconnaître la
réalité de cette apparition de la Vierge Marie, ne le fait point, notamment
pour ne pas concurrencer le sanctuaire voisin de quelques kilomètres de
Notre-Dame de Lorette, sur la même paroisse d’Alan. Il estime aussi qu’il faut
attendre pour voir si la ferveur populaire se maintient. En réalité, une telle
décision va, telle une prophétie auto-réalisatrice, contribuer à décourager les
bonnes volontés et peu à peu, malgré les guérisons, le bois de Lareu sombre
dans l’oubli.
Voilà que le lieu va renaitre ! L’affaire aurait pu être effacée de la mémoire collective sans Pierre Cathiény. Quelques années après son retour à La Trappe, il lui apparaît comme une impérieuse nécessité de respecter la demande formulée par Marie et transmise par Madeleine Serre. Avec l’accord de son abbé, il revient à Alan pour construire la chapelle près de la source et du trou, toujours présent, où est apparue la Vierge Marie. Mais, là encore, l’Église locale fait dans un premier temps tout pour le dissuader de son projet. Au lieu de repartir, il s’installe et développe l’espace d’une année une vie de prière et de recueillement qui impressionne la population, paysans, noblesse locale ainsi que des hommes d’Église. Saisi par la rumeur publique, l’évêque décide de rencontrer Pierre Cathiény d’autant que tous sont frappés par la réalisation des paroles de la Vierge Marie : « Quelqu’un viendra de loin pour construire la chapelle. »
Convaincu par son audition, l’évêque se rend solennellement à Lareu et autorise la construction de la chapelle. Celle-ci est vite édifiée tant la population toute entière, à la manière des constructeurs des cathédrales, participe, chacun selon ses possibilités, à cette œuvre. Le 15 août 1689, Monseigneur de Guron procède à la dédicace et y célèbre la première messe. Il donne à la chapelle le nom de Notre-Dame-de-Saint-Bernard car celui-ci avait une grande dévotion pour la Vierge Marie. Dès lors, pendant un siècle, c’est – pour reprendre une formule de l’abbé Algans – « Lourdes avant la date ». Les pèlerins affluent en grand nombre, au détriment d’ailleurs de Notre-Dame de Lorette et de Garaison, comme l’avait redouté l’évêque. Les messes mariales rassemblent deux fois l’an des foules considérables. Des guérisons se produisent. Madeleine Serre, comme le fera plus tard Bernadette, se retire dans un couvent à Fabas, à quelques kilomètres plus au nord, où elle meurt le 25 décembre 1739.
Mais la Révolution va survenir ! Un siècle exactement après sa construction, la Révolution va, dans sa lutte contre l’Église perçue comme contre-révolutionnaire et tenante de l’ordre ancien, gravement remettre en cause l’existence de ce lieu de culte. Les prêtres réfractaires, refusant de prêter serment à la Nation, sont chassés de leurs églises au profit de prêtres jureurs. Nombreux sont ceux alors qui choisissent l’exil. L’heure n’est plus aux pèlerinages et aux grands rassemblements publics. Notre-Dame-de-Saint-Bernard, qui n’est pas une église paroissiale, est frappée directement par ces mesures. Aucun prêtre n’y célèbre plus la messe bien que la population locale reste attachée au lieu. Les mesures antireligieuses de la Convention entraînent d’abord la vente du mobilier, dont les objets cultuels, puis de la chapelle elle-même comme bien national. Elle est désossée, et il n’en reste plus rien, sinon quelques ruines de l’édifice que la foi de Pierre Cathiény avait fait surgir au flanc de ce modeste coteau.
La foi n’a pas pour autant disparu, surtout dans les campagnes, (je m'aperçois que cette constatation est encore vraie de nos jours) ! Aussi a-t-il suffi de la conjonction de la volonté au début du XX° siècle d’une famille très chrétienne du pays devenue propriétaire des ruines (la famille Dorléac-Bayle) et de celle du curé d’Alan (l’abbé Amédée Guiard, qui aime se recueillir en ce lieu cher à Notre-Dame) pour que des travaux soient entrepris afin de remettre en l’état la source et d’édifier une statue de la Vierge Marie bénissant l’endroit. En 1912, la construction est inaugurée. Cette première initiative contribue à raviver la mémoire chrétienne du lieu et à faire revenir les pèlerins. De nouvelles guérisons sont attestées. La guerre ne tarit pas la ferveur car beaucoup viennent prier Notre-Dame pour qu’elle protège les soldats ; des plaques commémoratives autour de la statue et de la fontaine en témoignent.
La guerre de 1914 finie, l’année 1922 est providentielle pour le relèvement de la chapelle. D’une part,
Guillaume Bayle, propriétaire du terrain et des ruines mais aussi maire de la
commune voisine de Montoulieu, avec le concours du curé de cette paroisse Jean
Denos, décident de reconstruire la chapelle. D’autre part, en juillet de la
même année, la Providence donne un nouveau signe. Une pietà en pierre, qui
ornait autrefois les lieux et avait été volée, est renvoyée depuis Paris dans
un colis par la poste sans mention de l’expéditeur. Elle est réinstallée
solennellement le 30 juillet. Le 8 septembre, lors de la fête de la Nativité,
une grande cérémonie est organisée et l’on assiste à la guérison d’une dame qui
retrouve la vue et l’usage de la parole. Dans ce contexte favorable, les
travaux de construction sont lancés mais s’arrêtèrent en 1927 suite à un
différend entre les curés de Montoulieu et d’Alan. Seul un bâtiment est alors
sorti de terre. Mais après la Seconde Guerre mondiale, le Cardinal Jules
Saliège, archevêque de Toulouse, souhaite que la construction reprenne et que
la chapelle soit entièrement achevée. Là encore, la population locale relève le
défi. Des kermesses sont organisées, de généreux donateurs se manifestent et au
printemps 1957 la chapelle, de la taille d’une église avec clocher, telle qu’on
peut la voir aujourd’hui, est construite. Elle est bénie lors de la messe du 15
août 1957 par Monseigneur Gabriel-Marie Garrone, nouvel archevêque de Toulouse,
qui a par ailleurs transféré le
territoire sur laquelle elle est bâtie de la paroisse d’Alan à celle de
Montoulieu.
Depuis cette
date, Notre-Dame-de-Saint-Bernard est un lieu de paix, de recueillement et de
prières. Sans atteindre le volume des grands rassemblements du XVIIIe siècle,
deux grandes messes restent importantes : celle du 15 août et celle du dimanche
le plus proche du 8 septembre. Grâce à la présence, là encore providentielle, à
partir de 1997 dans un abri d’un prêtre ermite, le Père Pierre Alric, relayé,
après son départ en retraite à 90 ans en 2011, par le Père Patrice Mabilat, des
messes sont assurées chaque samedi dans la chapelle. Un accompagnement
spirituel est aussi proposé aux visiteurs qui, en ordre dispersé, passent pour
chercher Dieu par l’intermédiaire de Notre-Dame. Des guérisons se produisent et
des prières sont exaucées, si l’on en croit les nombreux ex-voto de
reconnaissance qui entourent la statue de la Vierge Marie. Une association
(l’Association des Amis de Notre-Dame-de-Saint-Bernard) s’est constituée pour
entretenir et faire connaître ce lieu protégé : le matériel accompagne le
spirituel. Nombreux sont ceux qui, à leur façon et selon leurs moyens, œuvrent
ainsi pour que le message transmis par la Vierge Marie à Madeleine Serre en mai
1682 soit continuellement honoré.
attention ! l'eau miraculeuse n'est pas potable : "principe de précaution" ! |
Lourdes, l'enfant Jésus n'a pas tellement changé depuis cinq jours qu'il est né ! |