Déconfinement moins 7 : les priorités gouvernementales sont très intéressantes à identifier : ce matin le primat des Gaules, évêque de Lyon, râle que les grandes surfaces ré-ouvrent, distribuent les masques dont les pharmaciens et dentistes manquent encore, mais que les églises de France soient toujours interdites de rassemblements : priorité à la consommation, pas à la foi ! Pourtant, il n'est pas difficile de respecter les fameuses "distanciations sanitaires" dans une église peu fréquentée ! Pas grave, il va tenter de discuter avec le Ministre des Cultes incessamment sous peu, c'est à dire lundi 4 mai, aujourd'hui !
la crise planétaire conduit pourtant à une réflexion profonde sur notre civilisation !
Pierre Rabhi, confiné en
Ardèche, est l'un des pionniers de l’agro-écologie en France. Auteur de
nombreux ouvrages sur le lien de l'homme à la Terre, le célèbre écologiste fait
aujourd'hui le point sur cette crise sanitaire. Voici ses propos, recueillis par Emilie
Rosso, pour FR3 Auvergne-Rhône Alpes.
Publié le 01/05/2020 à 11:30 Mis à jour le 01/05/2020 à
14:21 : Pierre Rabhi ne mâche pas ses mots :
-Avec l'avènement du progrès, des
sciences et nouvelles technologies, l'homme avait l'impression de pouvoir
contrôler son destin, d'être tout-puissant par rapport à la Nature, cette crise
sanitaire n'est-elle pas, avant tout, une leçon d'humilité ?
-Absolument, c'est un moment très
initiatique, parce que ce virus affecte l'humanité dans sa globalité, il touche
la planète tout entière. Et cela devrait nous donner la juste mesure de notre
puissance. Car on trouve des solutions, oui, on se bat contre cette maladie,
mais imaginez qu'il y ait un jour un virus plus mortel, il pourrait provoquer
une hécatombe mondiale.
C'est un peu l'ambivalence de la
science finalement, elle nous aide à lutter contre cette maladie, mais
c'est son développement qui nous a conduit à croire que rien ne pouvait plus
nous arriver.
Le danger, c'est la science sans
conscience. La science, c'est les connaissances et les aptitudes humaines, mais
il faut autre chose pour déterminer la science, sinon cela donne la bombe
atomique. En même temps, la science peut nous libérer, stopper des pandémies,
elle peut faire le Bien ou le Mal, selon la conscience qui se sert d'elle.
-Quelle leçon alors peut-on tirer de cette crise ?
-Moi je dirai que c'est une leçon
magistrale, c'est à dire qu'elle n'est pas partielle, elle est véritablement
globale. Nous avons à faire à un phénomène qui remet en cause toutes nos
pratiques, notre façon de percevoir la vie, nos agissements... Donc à partir de
là, on ne peut pas imaginer qu'on va régler son compte à ce virus et puis qu'on
passe à autre chose. Ce serait vraiment dommage. Ce qu'il faudrait, c'est voir
par quelles conséquences et par quelles mécanismes ce virus a pu advenir et
devenir aussi virulent, et comprendre comment on a pu le laisser prendre cette
ampleur.
-Que dit cette crise sanitaire de notre rapport à la Terre,
de notre rapport à la Nature ?
-D'aucuns disent que des virus
aussi virulents se multiplient partout parce que nous avons porté atteinte à la
diversité de la vie, à la biodiversité en particulier, et que les régulateurs
ont été supprimés. Par conséquent, cela a laissé la porte ouverte à des virus
dont on reconnaît aujourd'hui qu'ils sont très négatifs pour notre condition.
-L'homme est donc en quelque sorte responsable de ce qui
arrive?
-C'est difficile de l'évaluer,
mais je ne peux pas imaginer que nous ne soyons pas responsables. La modernité
avec le progrès qu'elle a pu apporter, elle s'est en quelque sorte enorgueillie
de tout dominer et nous sommes en train de nous rendre compte que nous ne
pouvons pas tout dominer puisque nous sommes nous-mêmes des êtres biologiques
et nous sommes régis par la loi de la vie, telle qu'elle s'est organisée sur
cette planète. Nous avons cru que nous pouvions nous abstraire de cette logique
là pour jouer les grands magiciens, mais non.
avec la même combinaison utilisée pour asperger la vigne de pesticides, on peut se protéger du covid 19 : magnifique, non ? |
-Cette pandémie était-elle, selon vous, prévisible ?
-Absolument, c'était prévisible.
Evidemment, je ne pouvais pas le prévoir dans cette envergure -là, je ne l'imaginais
pas. Mais que la transgression, le dérèglement et la dégradation volontaire de
la vie n'ait aucune conséquence, ce n'était pas pensable. Moi, je ne suis pas
scientifique, je suis bien sûr un agro-écologiste, je connais un certain nombre
de règles en agronomie qui évitent d'empoisonner la Terre, de la fertiliser
autrement, on peut dire que c'est une certaine science. Et je sais par exemple
qu'en déséquilibrant le mode de production de notre propre nourriture, et je
suis radical là-dessus, il ne faut pas s'étonner qu'il y ait des conséquences
sur notre propre physiologie. C'est pareil pour la planète. Un enfant de cinq
ans peut comprendre que ça.
-Cette crise est un terrible
catalyseur des inégalités sociales, et elle les rend d'autant plus insupportables
pour ceux qui en font les frais. Là aussi, ne doit-on pas, à l'avenir,
travailler à gommer ces différences et revoir notamment la répartition des
richesses ?
-Oui bien sûr, mais d'abord il
faut définir ce qu'est une richesse. La finance a permis la prédation. Celui
qui a de l'argent, a le pouvoir sur la matière, sur tout, mais en fait il
n'a pas grand-chose. Normalement, la vraie finance devrait représenter les
vraies richesses, tangibles, les richesses naturelles, comme l'a fait l'or
pendant des siècles. C'est-à-dire qu'il devrait y avoir une parité entre la
richesse matérielle et le chiffre de finances que vous possédez. Mais
aujourd'hui, la finance crée la finance, et du coup, nous ne sommes plus du
tout dans la logique d'équilibre où la finance doit représenter les vraies
richesses. Ça fait beaucoup de superflu
et il faut changer cela.
-Vous avez publié, il y a peu de
temps, un livre, "J'aimerais me tromper", dans lequel vous faites le
constat d'une société vaniteuse, où le vivre ensemble n'existe plus. Et
pourtant, dans cette crise, l'homme a montré qu'il était capable d'une superbe
solidarité, notamment grâce aux réseaux sociaux, c'est quelque chose qu'il
faudra garder à l'esprit ?
-Je ne vois pas comment on pourra
survivre sans entraide et sans solidarité. Mais il faut faire attention. Nous
sommes aussi piégés par un tas de contraintes. Exemple concret, je prends le
train Paris-Montélimar, je monte, personne ne se parle parce que tout le monde
est équipé d'un outil de communication. Alors que je me rappelle des voyages où
je me suis même fait des amis dans le train. On commence par échanger des
banalités, et puis des liens se créent, des liens vrais. Ce qui est dangereux,
c'est que les machines censées nous aider à améliorer la communication sont
celles qui la détruisent. Nous sommes dans un leurre. Communiquer c'est un
corps, c'est un être, c'est quelque chose de tangible. On a créé des outils
pour augmenter notre capacité à communiquer, mais on ne fait que communiquer.
On a confondu communication et relation. La relation, on se voit, on se touche,
on se parle de cœur à cœur, et ça c'est en train d'être neutralisé par les
outils qui sont censés en augmenter l'intensité, c'est terrible.
franchement, quand on pense que l'on va manger ces salades en croyant être vegan ! |
-Peut-on également imaginer que ce
confinement soit l'occasion, pour nombre d'entre nous, de revoir son rapport au
temps ? De ne plus simplement le considérer comme du temps-argent ?
-Tout à fait, le temps, c'est une
question fondamentale. Le temps, pendant des millénaires, était relié à
l'espace. J'ai mes jambes, je peux faire tant de kilomètre. Je suis riche, j'ai
un cheval, je peux en faire plus, voilà. Et puis quand est arrivé le
cheval-vapeur, c'est là que le temps s'est modifié, le cheval-vapeur nous
permet d'aller plus vite que le cheval animal, donc ça modifie notre notion de
l'espace. C'est là qu'il y a eu la grande rupture entre tout ce qui a prévalu
depuis l'origine de l'humanité et aujourd'hui. On ne se rend même plus compte
que nous ne sommes pas dans le temps "naturel". Heureusement la Nature,
elle, garde cette temporalité. Mais on est sortis de ce temps cosmique et
naturel, et on a créé un temps relié à l'argent et au déplacement dans
l'espace. Et nous sommes prisonniers de ça, complètement prisonniers d'un temps
qu'il ne faut jamais perdre, qu'on veut toujours gagner... Moi je trouve cela
complètement déraisonnable et pas intelligent d'infliger à son corps de telles
tortures.
-Depuis des années, Pierre Rabhi,
vous appelez de vos vœux "l'éveil des consciences". Avez-vous
l'espoir que cette crise puisse aider les gens à élever leur conscience ?
-Oui, je crois vraiment, mais cela
dépend de la posture de chacun. Là, on reçoit une sacrée claque, ça nous rabat
notre caquet, ça gronde notre prétention à être puissant, il n'y a même pas
besoin de bombe atomique, ce virus peut nous régler notre compte. Et je le
redis, rien ne nous garantit qu'un virus dix fois plus mortel que celui-là ne
puisse advenir, qu'une hécatombe virale se produise. Je ne dis pas ça pour
faire peur, je suis là pour dire « ouvrons les yeux », nous ne sommes pas si
puissants que ça. C'est un temps initiatique formidable, et au lieu de
trembler, d'avoir peur d'attraper ce virus, on devrait pouvoir élever notre
conscience, c'est à dire tendre à une lucidité agrandie. Et à partir de là, je
suis persuadé que, si nous arrivons à clarifier notre réalité vivante, elle
nous aidera à progresser et nous inspirera ce qu'il faut faire pour que la vie
soit enfin quelque chose d'autre, autre chose que des luttes, des guerres, de
la tristesse... J'espère qu'on le prendra dans ce sens-là.
-Que voulez-vous dire par un
"temps initiatique"? Est-ce l'idée que, chacun se retrouvant face à
lui-même, puisse se rendre compte de la valeur qu'a la vie ?
-Disons que la plus grande
défaillance de nos systèmes c'est que nous recherchons le bonheur et que nous
avons du mal à le trouver. Les valeurs fondamentales, celles qui nous tiennent
au cœur et à l'âme, cette satisfaction extraordinaire que l'on éprouve à vivre,
on ne l'a pas. Et souvent je cite cette anecdote du pêcheur : il est assis là
sur la plage, il a fini son travail, il fait sécher ses filets, et il est
tranquille. Arrive un monsieur très sérieux qui regarde le pêcheur et sa
barque, et lui dit, "monsieur cette barque est à vous ?".
"Oui", répond le pêcheur. "Mais elle est un peu petite, vous ne
trouvez pas ? Vous pourriez en avoir une
plus grande". Le pêcheur : "et après". L'homme : "et après
vous pourriez pêcher plus de poissons". "Et après ?". "Et
après, vous allez pêcher tellement de poissons, que vous allez acheter un
bateau plus grand, et après, vous allez embaucher des gens, et pêcher encore
plus de poisson et après vous vous reposerez". "Eh bien c'est ce que
je suis en train de faire" dit le pêcheur.
un ou deux vulcain pas plus butinent ces dernières fleurs de pommier : pourquoi sont-ils si peu nombreux ? |
-Pierre Rabhi, vous restez
toujours optimiste, et vous pensez qu'après cette crise, on ne pourra pas faire
comme si rien ne s'était passé. Mais comment faire pour être sûrs de ne pas
recommencer comme avant ?
-Il y a d'abord un facteur
tangible, c'est que, quoi que nous fassions, il faudra bien un jour que nous
revenions à la Terre si nous voulons continuer à manger, donc à vivre. La Terre
est primordiale, c'est la matrice même de la vie, il faudra donc y revenir.
-Et puis il y a quelqu'un à qui je
suis très attaché, qui malheureusement n'a pas toujours été bien compris et qui
s'appelle Jésus de Nazareth. Et qu'a dit ce Jésus Christ ? Et bien il a dit il
n'y a que l'amour qui ait la puissance de changer le monde. Il a même ajouté,
"aimez même vos ennemis." Je ne parle pas de nos petites amours, mais
de l'amour au sens large, l'amour des arbres, des oiseaux, l'amour de tout, de
tout ce qui nous est donné. Quand je vois que l'on est en train d'exterminer
les baleines, les éléphants, ça me fait quelque chose... Je suis affecté par le
fait que nous n'avons pas su aimer tout ça, nous nous sommes installés comme des
prédateurs avec comme seul but nos propres intérêts, le goût du gain, du
lucre... L'amour c'est la seule solution, en voyez-vous une autre ?
"Remettre l'économie en
marche", "sauver le PIB", c'est la priorité du gouvernement,
c'est d'ailleurs le sens de ce qu'a annoncé le Premier Ministre cette semaine,
comment faire pour faire comprendre à ceux qui nous dirigent qu'il faut
désormais changer de paradigme ?
Mais ceux qui nous dirigent ont
été intronisés par voie de suffrage universel, par des millions de gens qui les
ont élus, il ne faut jamais l'oublier. Je crois par exemple que ce monsieur à
la tête des Etats-Unis n'est pas quelqu'un d'éveillé, c'est quelqu'un de tout à
faire primaire dans ses réflexions, je ne juge pas l'âme, mais la personne dans
son fonctionnement social. Mais ce n'est pas un dictateur, il a été intronisé
par le vote, c'est à dire que cette personne représente les millions d'âmes non
évoluées qui lui ont donné le pouvoir. Chacun de nous est invité à désigner la
personne à laquelle il souhaite remettre son pouvoir et donc en quelque sorte
son destin. Chacun est responsable. Même si, pour vous faire une confidence, il
y a longtemps que je vote contre quelqu'un plutôt que pour quelqu'un...
-Dans votre dernier livre, que je
viens d'évoquer, vous faites le constat d'une société en échec, vous dites, en
quelque sorte, qu'il est déjà trop tard. Cette dérive de nos sociétés
est-t-elle réversible ou irréversible ?
-Il est souvent trop tard, mais il
est aussi souvent encore temps. Nous sommes condamnés à cela. Si je me dis « il
est trop tard », et bien je reste couché. Mais si je me dis, "certes il y
a beaucoup de dégâts, mais il y a toujours un peu d'espoir", alors je
m'inscris dans ce qui va aider à solutionner les choses. C'est la raison pour laquelle
j'ai proposé la légende du colibri. J'ai une vie à vivre, elle a ses limites,
mais j'ai une présence sur cette planète, qu'est-ce que je fais de ce capital ?
-Vous êtes effectivement à
l'origine de ce concept de la "part du colibri", qu'est-ce que cela
voudra dire faire sa part dans le monde d'après le coronavirus ?
-Ça ne change pas. Un jour, dit la
légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés,
atterrés, observent impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’active,
allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après
un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit :
"Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu
vas éteindre le feu ! ". Et le colibri lui répond : "Je le sais, mais
je fais ma part."
Ce qu'il y a d'intéressant dans
cette légende amérindienne, c'est que cela nous ramène à dire d'accord, il y a
quand même des énergies positives, je ne peux pas rester couché, je dois faire
ma part. Même si cela paraît dérisoire, il ne faut pas baisser les bras. Il
faut garder son énergie et donc sa cohérence.
-Vous n'êtes ni partisan, ni
militant, vous vous refusez à participer à des manifestations, à la
désobéissance civile. Est-ce que "faire sa part" sera suffisant ? Ne
faut-il pas se révolter ?
-Je suis pour une révolte, mais
pas pour une révolte poings levés et violente. Il faut une révolte d'amour, pas
de haine. Il faut être indigné pour l'amour. Je suis pour que les gens se
réveillent, et je trouve que les gens n'agissent pas assez, ne se révoltent pas
assez, justement. Mais c'est une révolte personnelle et intérieure, qui passe
par répondre à cette question : le capital vie que j'ai, que vais-je en faire ?
Soit je n'en fais rien. Soit je fais n'importe quoi, et ma vie se déroule avec
insignifiance. Soit je fais quelque chose qui a du sens, et qui est une
expression de révolte, mais sereine et sans violence. Donc à partir de là,
chacun, vous, moi, n'importe qui, dit d'accord, il y a un monde sur lequel je
peux agir, sur lequel je suis souverain, et ce monde, c'est d'abord le mien.
Après, on peut agir sur les autres. Quand on regarde les phénomènes de
dictature, dont celui qui a marqué notre histoire contemporaine, l'hitlérisme,
on voit qu'Hitler a mobilisé, avec sa seule doctrine, des millions d'âmes
prêtes à rentrer en violence, c'est terrifiant. Si on le faisait dans l'autre
sens, ce serait extraordinaire, seulement, cela nécessite que l'on touche à des
domaines très personnels. Le changement social se fera par le changement
individuel. Parce que je peux aller manifester contre ceci ou cela, rentrer
chez moi et pourrir la vie de ceux qui m'entourent, et je ne m'en rends pas
compte... Il faut donc savoir qui je suis, il y a tout un travail à faire, un chemin
de la connaissance de soi, sans aucune référence à une doctrine ou à une
idéologie..
des dizaines de chenilles repérées sur les orties, ne sont sortis que quelques imago adultes : pourquoi si peu ? |
les églises restent fermées, les rassemblements restent interdits
ah oui, il existe une vieille expression : "liberté de conscience"
j'ai bien peur que l'histoire du colibri ne soit qu'une douce illusion !
PS : autrefois avec Pierre Rabhi :
http://babone5go2.blogspot.com/2013/10/avec-pierre-rabhi.html
http://babone5go2.blogspot.com/2014/11/le-monde-t-il-un-sens.html