la dernière fenêtre, en face |
Seuls les touristes avertis savent, depuis la place du Capitole, identifier la fenêtre de la chambre Saint-Exupéry. Rendez-vous au 3ᵉ étage du Grand Balcon. Munie de sa carte, Ia Gobejishvili, cheffe de réception au sein de l’hôtel, nous ouvre la porte qui donne sur un petit couloir. « Antoine de Saint-Exupéry, écrivain et pilote de l’Aéropostale, occupa cette chambre en 1926 », peut-on lire en rentrant.
Lorsque le directeur d’exploitation de la Compagnie Latécoère, Didier Daurat, voit débarquer, en 1926, Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944), il est sceptique. Le jeune homme n’a que peu d’expérience dans les airs. Mais qu’importe ! La société, qui vient d’ouvrir une ligne postale entre Toulouse et Dakar, a besoin de pilotes. Car transporter le courrier entre ces deux villes est un pari risqué. Entre Agadir et Dakar, il faut franchir un désert de plus de 2 000 kilomètres de dunes, sans autres instruments de bord qu’une boussole. "Il y avait de nombreux ennemis : la brume épaisse et visqueuse qui montait des vagues surchauffées, les cyclones à quoi rien ne résistait, le vent de sable dont on ne parlait qu’avec effroi", rapporte Joseph Kessel, en 1938, dans sa biographie sur Jean Mermoz (1901-1936), un autre as de la compagnie.
Au milieu de ces étendues de sable, la moindre avarie pouvait être fatale. Difficiles à repérer, menacés par la soif, les pilotes devenaient aussi la cible des tribus maures qui, lorsqu’elles ne les abattaient pas, les prenaient en otage contre rançon. Saint-Exupéry ne tarde pas à se confronter à ces difficultés. Dès son premier vol, alors qu’il rejoint son affectation à Dakar, son Breguet 14 s’écrase dans les dunes.
Heureusement, par précaution, les avions volent par deux sur ce tronçon. Avant d’être exfiltré, il devra rester seul pendant plusieurs heures en territoire rebelle, armé d’un revolver et de cinq chargeurs. Son premier contact avec le désert est rude.
« En 2008, nous avions fait une rénovation », souligne Ia Gobejishvili. Dans les années 20, pas de toilette ou de salle de bains séparés. Pour répondre aux besoins modernes, des pièces supplémentaires ont été ajoutées.
C’est au fond de ce petit couloir, à la porte n°32, que l’on pénètre dans l’espace chambre, là où l’aviateur en devenir se reposait.
Au craquement du parquet, on fait un bon dans le passé. Le
lit en fer forgé de 140 de large trône au milieu de la pièce, séparé d’un lavabo et d’un bidet
par un paravent. Un bureau en bois supporte une lampe d’époque et offre une vue
imprenable sur la place du Capitole.
Sur la cheminée, la maquette d’un avion est scellée. Des
symboles manifestes du Saint-Exupéry à la fois grand écrivain et pilote.
« Ici, il y a trois choses qui sont véritablement d’époque : le sol, la cheminée et la petite partie toilette », détaille la cheffe de réception. Les autres objets ont été chinés pour recréer l’atmosphère des années 30-40, avec l’aide d’un antiquaire et de clichés de l’époque.
Les clients peuvent facilement s’imaginer l’aviateur en
herbe se préparer tôt le matin avant de prendre le tramway qui, à l’époque,
traversait la place du Capitole.
« Il s’arrêtait ensuite place de l’Ormeau, en suivant ce qui est aujourd’hui l’avenue Saint-Exupéry. Il rejoignait ensuite le champ d’aviation à pied », raconte Fabrice Cruz, chef d’escale à L’Envol des Pionniers, le musée implanté sur le site même de la compagnie Latécoère.
En tout, Saint-Exupéry n’aura passé que cinq mois à Montaudran, d’abord les mains dans le cambouis auprès des mécanos, avant d’accomplir ses missions dans les airs.
Avant de devenir l'hôtel de luxe que l'on connaît
aujourd'hui, Le Grand Balcon était une ancienne pension de famille tenue par
les sœurs Marquès. Selon la légende, c'est après une malheureuse aventure
qu'elle est devenue une seconde maison pour tous les jeunes pilotes des Lignes
Latécoère.
L'épouse de Didier Daurat, directeur de l’exploitation des
Lignes Latécoère puis de l’Aéropostale, aurait fait un malaise devant l’hôtel.
Les sœurs Marquès seraient vite accourues pour lui venir en aide. Afin de les
remercier, Daurat aurait décidé de faire de la pension le pied-à-terre de ses
pilotes et mécaniciens.
Aujourd'hui encore, Le Grand Balcon reste une adresse connue des professionnels de l'aéronautique, "notamment d'Airbus", prend en exemple Ia Gobejishvili, cheffe de réception au Grand Balcon.
Le soir, il avait l’habitude de se détendre au Père Léon,
véritable institution toulousaine, mais aussi dans les locaux mêmes du Grand
Balcon. Saint-Exupéry se lançait dans de langoureux tangos lorsque la salle à
manger (le lounge actuel) et l’entresol (premier étage actuel) étaient
transformés en dancing.