Eric a retrouvé Gabin dans sa philosophie du savoir |
"Hans Lukas Hoffmann dit Luc
Hoffmann, né le 23 janvier 1923 à Bâle (Suisse) et mort le 21 juillet 2016 à
Arles (Bouches-du-Rhône)1, est un ornithologue, défenseur de l’environnement et
philanthrope suisse2,3. Il a également été, entre 1953 et 1996, membre du
conseil d'administration de la société pharmaceutique F. Hoffmann-La Roche
créée par sa famille. Il utilise sa fortune pour doter la Fondation MAVA qui
finance des projets de préservation de la nature dans le monde entier.
la Tour du Valat se trouve dans le bassin de Fumemorte, qui n'a pas été équipé hydrauliquement afin de rester sauvage |
Cofondateur du Fonds mondial pour
la nature (WWF), il aide également à élaborer la Convention de Ramsar pour la
protection des zones humides. Il crée le centre de recherche de la Tour du
Valat en Camargue. Il est l’auteur de plus de 60 livres, consacrés pour la
plupart à l’ornithologie.
la Tour du Valat jouxte le mas de Peint de Jacques Bon que je fréquentais régulièrement |
au mas de Peint, c'est Lucille, manadière qui dirige désormais le domaine |
Luc Hoffmann est le petit-fils de
Fritz Hoffmann-La Roche, fondateur de la société Hoffmann-La Roche en 1896. Il
est le deuxième fils de l’industriel Emanuel "Manno" Hoffmann
(1896-1932) et de la sculptrice Maja née Stehlin (1896-1989) et le frère de Vera
Oeri-Hoffmann. Sa famille est l’actionnaire majoritaire de la société
pharmaceutique F. Hoffmann-La Roche, dont il est membre du conseil d'administration
entre 1953 et 1996.
En 1953, à Vienne, Luc Hoffmann
épouse Daria Razoumovski (1925-2002), deuxième fille du comte Andrei
Razoumovski et de la princesse Katharina Nikolaievna de Sayn-Wittgenstein, qui
ont fui la Russie en 1918 après la révolution d’Octobre.
Voilà l’explication
du prénom des quatre enfants : Vera,
Maja, André et Daschenka ou Daria.
En 1948, Luc Hoffmann achète une propriété en Camargue (France) et en 1954, il y implante la station de recherche biologique de la Tour du Valat. C’est au travail de défense de l’environnement effectué à la Tour du Valat qu’on attribue le fait que les grands flamants roses (Phoenicopterus roseus) sont toujours présents en France. Hoffmann soutient également l’élevage du cheval de Przewalski (Equus ferus przewalskii) non loin de là, et contribue à le réintroduire en 2004 en Mongolie d’où il était originaire. La Tour du Valat est une station qui a formé des générations d’écologistes, parmi lesquels il faut notamment citer John Krebs. Plus de 60 doctorats ont été décernés pour des recherches menées à la Tour du Valat par des étudiants inscrits dans des universités de France, d’Allemagne, de Suisse, d’Italie, du Canada et du Royaume-Uni.
En 2008, Luc Hoffmann relance
l’ambition de Yolande Clergue de créer une fondation Van Gogh en instaurant à
Arles un cadre permanent appelé Fondation Vincent Van Gogh Arles, pour les
activités destinées à préserver la mémoire de Vincent Van Gogh et à encourager
l’art contemporain.
Voilà l’origine de la passion d’André
et Maja : écologie ; art ; Camargue ; Arles où est née et a
vécu Maja.
Passion et fortune cumulés, voilà après Luma Zurich,
Luma Arles :
... demain !
"Qui Valat" ?
La Tour du Valat a un statut un
peu particulier parmi les gestionnaires de l’environnement camarguais. Elle est
issue d’une initiative privée, celle de Luc Hoffmann, héritier des laboratoires
pharmaceutiques Hoffmann-La Roche. Dès les années 1950, il décide de s’investir
pour la Camargue en créant une fondation. Aujourd’hui, l’œuvre se poursuit avec
son fils André.
En France, la protection de
l’environnement, c’est plutôt une affaire publique. Mais la Tour du Valat fait
exception avec un « modèle très anglo-saxon », confirme son directeur Jean
Jalbert à la tête de 2.921 hectares en plein cœur du Parc naturel régional de
Camargue. « Mieux comprendre les zones humides pour mieux les gérer », disait
Luc Hoffmann son fondateur. Arrivé en Camargue en 1954, il crée la structure dans
la foulée. Aujourd’hui, 65 équivalents temps plein, principalement des
chercheurs qui y travaillent pour un budget annuel de 5,5 millions d’euros.
Pionnière dans la mise en valeur
du rôle clé des zones humides dans la préservation de la biodiversité, elle
joue un rôle international avec la convention Ramsar dès 1971 et abrite
aujourd’hui le siège de Wetland international (zones humides internationales).
Au niveau local, les études de la Tour du Valat alimentent la réflexion pour
les orientations des politiques publiques. Par exemple, pour gérer l’ouverture
des vannes entre la mer et les étangs camarguais, elle a modélisé toutes les
réactions en fonction de la pluie, du vent, de l’irrigation des rizières. Même
les pêcheurs les plus revêches du fond des Saintes-Maries-de-la-Mer
reconnaissent la pertinence des études réalisées et l’autorité scientifique de
l’institut. Alors imaginez à l’international !
Bref, la connaissance scientifique de la Camargue doit une fière chandelle à la Tour du Valat. Pour certains, c’est même elle qui est à l’origine de la gestion environnementale de la Camargue. Par son dynamisme, la Tour a précédé l’action des pouvoirs publics. Création du Parc naturel régional en 1970, classement du Vaccarès en réserve Nationale en 1975…
La Camargue peut dormir
tranquille avec cette institution qui, c’est appréciable, a été d’une
transparence remarquable avec l’Arlésienne. Après notre rencontre, André
Hoffmann a pu néanmoins avoir quelques sueurs nocturnes. Car si son importance
est incontestable, la Fondation de la Tour du Valat n’est pas sans son lot de
paradoxes gênants…
Entretien réalisé par Eric Besatti et Paul Ferrier
« Nous, on veut faire partie de la solution, pas du problème
»
L’Arlésienne : Vous êtes le
président de la Tour du Valat et vous êtes aussi à la tête du pacte
d’actionnaires familial du laboratoire pharmaceutique Hoffmann La Roche. On
peut dire que vous faites partie des hommes les plus riches du monde.
André Hoffmann : (Il hoche la tête) On peut le dire.
Comme votre père avant vous, vous avez été vice-président du
WWF International, plus grosse ONG environnementaliste mondiale.
Votre père Luc Hoffmann,
fondateur de la Tour du Valat et du WWF, est une des légendes de l’écologie.
Ça, on peut vraiment le dire.
Votre père arrive à la Tour du
Valat dans les années 1950, alors que ce n’était qu’une cabane de chasse. C’est
devenu un laboratoire mondialement reconnu sur les zones humides. Quel regard
avez-vous sur ce qui est accompli ici pour la Camargue ?
Mon père était ornithologue. Il
est venu ici par amour pour les oiseaux. En particulier pour les oiseaux
migrateurs. Il est venu étudier les goélands et il a trouvé cela suffisamment
passionnant pour s’y installer. A un âge très jeune. Il avait 25 ou 27 ans.
C’est vrai qu’il mettait des oiseaux dans sa baignoire quand
il était petit ?
Oui, quand il était sur le Rhin à
Bâle. Mais, là, c’était des mouettes. C’est une anecdote que sa mère racontait
souvent et qu’évidemment, je n’ai jamais pu vérifier (rire).
Prendre la suite de la Tour du Valat, pour vous, c’était
naturel ?
Je suis né ici, je suis né dans le marais. Donc, oui, cela
me paraissait assez naturel.
Dans l’esprit collectif, quand on dit Tour du Valat, on
pense tout de suite aux flamants roses et à leur protection.
On pense souvent aussi aux
moustiques (rire). Mais absolument, c’est une espèce emblématique. Les zones
humides ne sont pas très respectées, pas très connues, pas très aimées. Si on
veut changer les attitudes, il faut des histoires à raconter. Et le flamant
rose, c’est une belle histoire.
Est-il vrai que la Tour du Valat
a réussi à supprimer le passage des avions de chasse de la base d’Istres
au-dessus de la Camargue pour ne pas gêner les oiseaux ?
Il y a une période extrêmement
cruciale de la nidification du flamant rose qui dure environ six semaines,
pendant laquelle le dérangement doit être minimisé. Les avions à réaction qui
venaient passer le mur du son au-dessus de la Camargue, c’était effectivement
un dérangement. Et oui, à l’époque, on a eu des conversations assez poussées
qui sont remontées jusqu’à Paris. On a mis en place un système pour qu’ils ne
passent pas là pendant six semaines.
Pour dire cela à une base militaire, il faut un sacré
pouvoir d’influence.
Oui mais attention, l’armée,
c’est nous qui la finançons. Nous tous. Donc c’est assez normal qu’ils écoutent
ce qu’on dit, non ? Vous n’allez pas me dire que c’est secret défense de passer
au-dessus des flamants. S’il y a eu influence, c’est sur le fait que nous
puissions démontrer que ces six semaines étaient cruciales. Et donc, il y a une
négociation qui peut se mettre en place entre la force publique et la science.
La Tour du Valat a un budget de
5,5 millions d’euros. 50 % sont abondés par la fondation Mava, créée par votre
père grâce aux dividendes de la firme Hoffmann-La Roche. Et 14 % par la
fondation Pro Valat.
La différence entre ces
fondations, c’est que la fondation Mava a un cycle annuel de financement et la
Pro Valat c’est un fonds fiduciaire. Donc, un fonds dédié : de l’argent qui est
en banque dont le revenu sert à faire travailler la Tour du Valat. Et j’imagine
que c’est un petit peu une tentation d’immortalité, se dire qu’il y aura
toujours suffisamment d’argent sur ce compte pour payer les 50 % du budget.
Qu’on comprenne bien, à la
fondation Pro Valat, il y a de l’argent sur un compte et on le fait fructifier
en bourse.
La bourse, c’est une partie des activités, il y en a
beaucoup d’autres.
C’est de la spéculation ?
Pour moi spéculer, c’est générer
de la valeur qui n’est pas garantie. Là, ce n’est pas le but. Ce qu’on essaye
de mettre en place, c’est exactement l’inverse. C’est une stratégie
d’investissement qui est aussi stable que possible. Ce qui nous intéresse,
c’est vraiment le long terme. On ne va pas faire des coups de bourse.
Comment se matérialisent ces investissements, y a-t-il une
éthique ?
Il y a un règlement qui a été
approuvé par le conseil d’administration. On a pris l’avis de plusieurs
spécialistes de l’économie verte, notre trésorier est lui-même un gestionnaire
de fonds spécialisé dans l’investissement vert avec pas mal de succès.
Donc vous n’investissez pas dans
des entreprises qui polluent ? Exemple tout bête : pas d’investissements chez
Monsanto pour financer Pro Valat ?
Monsanto c’est un petit peu le plus mauvais exemple que vous
pouvez trouver.
Oui mais c’est marquant …
L’important c’est cette durabilité, une entreprise qui …
Attendez, vous ne nous dites pas non ?
Je change de sujet, laissez-moi
changer de sujet (rire). Une entreprise
à court terme, comme Monsanto, c’est une entreprise qui dit : « Nous allons
vous garantir que la récolte de l’an prochain sera bonne. Parce que nos
pesticides empêcheront les mauvaises herbes de venir. » Par contre dans 30, 40
ou 50 ans, peut-être que la terre sera vraiment épuisée à cause de ça. La
logique Monsanto, la logique industrielle, c’est : on y pensera plus tard. Et
la logique verte c’est de dire : « Il vaut mieux y penser maintenant. » Si tu
ne résous pas le problème aujourd’hui, il sera plus grave demain.
Donc, il n’y a pas de Monsanto dans Pro Valat.
(Rire) Euh, non.
Il y a quand même des critiques
contre la finance verte. Notamment sur le principe de la compensation
écologique : pouvoir détruire un endroit si on en conserve un autre.
Ecoutez, en tant que trésorier du
WWF international pendant une vingtaine d’années, je peux vous dire que ce qui
m’a toujours le plus sidéré, ce sont les entreprises qui coupent la forêt pour
faire de l’argent et qui ensuite viennent et nous paient pour qu’on la replante.
C’est aberrant. Ça défie toute logique. L’important ce n’est pas comment vous
dépensez l’argent, c’est comment vous le faites.
Une des théories de la finance verte c’est de donner un prix
à la nature, vous êtes d’accord avec ça ?
Au cours du dernier siècle, une
des raisons de la destruction de la nature, c’est son absence de prix. L’air
frais, l’eau propre, le bois, tout cela a été gratuit. Pour parler en termes
économiques, si ces externalités avaient été incluses dans le processus de
création de valeur, on n’en serait pas là où on en est maintenant.
C’est contesté comme façon de voir les choses.
Je sais bien, mais là, mon opinion est claire. Il faut le
faire.
Quand on donne un prix aux choses, cela veut dire qu’on peut
les acheter ?
Cela veut dire qu’on peut les
protéger aussi. Si vous me dites que tout le monde a le droit à l’eau propre,
je suis d’accord avec vous, mais cela n’a pas marché. La moitié de l’Afrique
souffre de dysenterie parce qu’il n’y a pas d’eau propre. Alors que cela a un
coût de nettoyer l’eau.
Revenons à la Tour du Valat. Il y
a aussi des mécènes, des partenaires privés qui financent les actions du
domaine. Nous en avons compté 21 sur votre site internet. Il y a des
fondations, des groupes bancaires comme la HSBC et la Caisse d’Epargne. Il y a
aussi Vinci Autoroute, Coca-Cola. Et même de l’industrie pétrochimique :
l’Américain LyondellBasell et le Français Total. Coca-Cola, Total, cela ne
représente pas vraiment ce qui se fait de mieux en termes d’écologie. Et
pourtant, vous accolez leur logo sur la Tour du Valat.
Oui (il lève les yeux au ciel).
Une entreprise a une responsabilité environnementale au même niveau qu’un
citoyen, qu’une ONG ou qu’autre chose. Si la fondation Total, qui n’est donc
pas Total groupe, décide de venir faire un projet avec la Tour du Valat, c’est
parce qu’ils croient qu’ils peuvent influencer la situation dans laquelle ils
s’engagent, de manière durable et de manière efficace. Moi, je suis assez fier
du fait que nous puissions être suffisamment objectifs et suffisamment ouverts
pour travailler avec des gens qui veulent contribuer à l’un des buts de notre
institution. Nous essayons de sauver les zones humides méditerranéennes, si la
Fondation Total veut que nous les aidions à faire un projet spécifique et que
cela correspond à notre programme, je ne vois pas pourquoi on ne travaillerait
pas avec eux.
Le paradoxe nous interpelle.
Le fait que Total réfléchisse à
son futur, que Total se pose la question : « Où serons-nous une fois qu’il n’y
aura plus de pétrole à exploiter ? » IIs ont le courage de faire quelque chose
pour l’environnement. C’est un réflexe positif.
En mai 2012, l’émission Cash
Investigation abordait la question du greenwashing. Elise Lucet, la journaliste
de France 2, était venue voir le directeur général du WWF France, Serge Orru à
l’époque. Elle était venue lui demander pourquoi l’ONG avait labellisé le
Crédit Agricole alors que celui-ci investissait dans des forages pétroliers en
Arctique et dans du nucléaire en Inde. D’ailleurs, petite parenthèse, le WWF
dont vous êtes le vice-président, avait tenté par voie de justice d’interdire
la diffusion de ce reportage.
(Il souffle) D’abord, juste pour corriger un truc. J’ai
démissionné au premier janvier du WWF. J’y suis resté pendant 22 ans mais j’ai
démissionné.
Dans cette vidéo Serge Orru,
embêté par la question d’Elise Lucet, finit par dire « Il y a une liste noire
chez nous. Il y a des entreprises avec lesquelles on ne peut pas travailler. Il
y a le pétrole, il y a le nucléaire ». Le WWF dit qu’il ne peut pas travailler
avec le pétrole. Ce n’est pas pareil ici, à la Tour du Valat ?
Non, ce n’est pas pareil ici. Il
y a une grande différence. Nous avons une grande flexibilité. Nous avons une
indépendance qui nous est garantie par le fait que nous avons un budget qui est
financé. Lorsque M. Orru parle à la caméra, il sait que le WWF, globalement,
c’est cinq millions de membres. Cela veut dire que s’il dit quelque chose comme
ça, il le dit pour ses membres. Il n’aura pas le temps, ni l’écoute de ses
membres, pour expliquer pourquoi une entreprise responsable peut-être aidée à
changer ses pratiques.
Total, responsable ?
Total responsable ! Pourquoi est-ce que Total…
Total investit douze milliards
d’euros pour extraire des sables bitumineux au Canada. L’usine a ouvert cette
année. C’est la façon la plus polluante d’extraire du pétrole. Une étude
explique même que si l’extraction des sables bitumineux au Canada se poursuit,
les objectif de l’accord de Paris sur le climat ne pourront pas être atteints…
Et j’y souscris entièrement. Oui, ce n’est pas une bonne idée de la part de Total de faire ça. Est-ce que cela veut dire qu’ils sont pestiférés ?
Vous nous dites qu’ils sont responsables …
Nos partenaires auprès de la
Fondation Total sont des gens qui ont un budget qui est à disposition pour du
travail de conservation en local. Alors, vous pouvez me dire que c’est
peut-être la théorie des trois singes qui n’écoutent pas. (Il se cache les
yeux, la bouche et puis les oreilles avec les mains.)
Ce qu’on vous dit, c’est que c’est paradoxal. On a
l’impression que cela ne colle pas.
La Fondation Total est un partenaire de la Tour du Valat depuis de nombreuses années. C’est notre partenaire privé de plus long terme. Le travail que nous faisons est un travail qui a de la valeur, que nous pouvons démontrer. Nous avons publié des articles grâce à eux sur la conservation des zones humides. Le fait que la direction générale du groupe, après avoir abondé la fondation, décide de faire autre chose… On n’a pas les moyens de contrôler ça.
A cette question, nous pensions que vous alliez nous
répondre par la théorie du WWF : « Si on veut faire avancer les choses, il faut
qu’on soit dans la machine. »
C’est ce que je viens de vous dire.
Mais quand on voit l’urgence dont
tous les scientifiques nous parlent, on a l’impression que le temps de la
réforme commence à être vraiment court. Votre père disait justement « Je suis
un négociateur », pas un révolutionnaire. Et que travailler avec ces
entreprises et leur demander de changer leurs process à la marge, en leur
disant : « Les gars, on met un filtre à particules sur nos cheminées d’usine »,
ça ne colle pas avec le timing qu’il faut avoir avec le réchauffement
climatique.
Moi j’ai la chance, le privilège ou peut-être la malédiction d’être des deux côtés de la barrière. Je suis au conseil d’administration de quelques grandes entreprises internationales et je m’occupe beaucoup d’ONG, je m’occupe beaucoup de conservation. Je fais le grand écart.
D’un côté, je vois très bien le problème de Total. Total a un modèle d’affaires qui va rapidement disparaître parce qu’extraire du pétrole, un jour ou l’autre, cela va s’arrêter dans une planète finie. Mais l’utilisation d’énergie dans la création de valeur, dans le système, est importante. Ils ont donc un travail à faire de ce côté-ci. D’un autre côté, je dois aussi voir l’équilibre du budget de la Tour du Valat qui doit se baser sur des partenaires extérieurs à la Fondation, de manière à vraiment représenter ce que l’humanité veut. Les deux choses ne sont pas incompatibles. Une chose est certaine, c’est que le futur est basé sur la stabilité du système. Et si on a un système instable, il ne survivra pas.
Êtes-vous capable, quand vous
recevez les actionnaires de Total venant faire du tourisme vert ici, de faire
infléchir la politique de l’entreprise pétrolière ?
Je vais vous donner une réponse peut-être un peu arrogante. Il y a une organisation qui regroupe les plus grand chefs d’entreprises de la planète, qui s’appelle le Forum mondial de Davos. Il y a 3 500 membres. Ces 3 500 membres sont consultés une fois par an sur : « Quel est le plus gros risque d’affaires pour vous ? » Il n’y a pas très longtemps, on parlait de système, de géopolitique, de risque financier. Cette année, les trois plus grands risques sont des risques environnementaux. Total a répondu à ce sondage en disant que pour eux, l’important, c’est d’arriver à gérer les conséquences du réchauffement climatique. Dont ils sont une des causes, on est bien d’accord. Cette entreprise a identifié ça comme grand risque et va essayer de se positionner de manière différente dans le futur. Alors est-ce qu’il vont passer de noir carbone à blanc virginal le même jour ? Non ! Mais il y a une réflexion.
Noir et blanc, cela fait très panda.
Nous disons au WWF, une fois qu’on est né panda on reste panda. Mais le panda a aussi des dents. Il ne fait pas que sourire.
Sans doute. On va parler de corne puisque vous nous parlez
de dent. Peut-être avez-vous entendu parler récemment d’une étude sortie par
une association de Fos-sur-Mer, sur les polluants des usines qui viennent
contaminer les aliments locaux via l’air.
Oui oui, j’ai vu ça.
Parmi les aliments contaminés : du taureau AOP Camargue.
Taureau que vous élevez à la Tour du Valat. Et la Tour du Valat est financée
par Total qui a une raffinerie à la Mède et par LyondellBasell qui a deux sites
autour de l’étang de Berre. On s’est dit : « C’est le taureau qui se mord la
queue… »
Bon bah voilà. Vous avez démontré une fois de plus l’irrationalité que nous sommes en train d’essayer de faire. Qu’essayer de développer une vision durable de la gestion des zones humides dans un environnement dominé par les grands acteurs de l’économie, n’est pas une bonne idée. Bon d’accord. Il faut bien qu’on fasse quelque chose non ? On va quand même pas rester assis sur nos mains. On veut changer la planète.
Nous, on veut faire partie de la solution, pas du problème. L’idée de commencer à travailler avec LyondellBasell, avec Total, pour faire des petits incréments d’amélioration, cela me paraît mieux que de juste critiquer. Ce sont des réflexions sur lesquelles on s’est beaucoup engagé. Ici à la Tour du Valat, pas tellement parce que c’est quelque chose de local mais au niveau du WWF on y a évidemment passé beaucoup de temps. Comment est-ce qu’on peut demander à l’industrie de changer ses pratiques ? Comment est-ce qu’on arrive à créer ce monde futur ? Eh bien pas en restant assis, en disant cela n’existe pas. Il faut le faire progresser.
Puisque vous parlez du WWF, on s’est aussi intéressé à son
histoire. Et quand on regarde l’histoire du WWF, de ses fondateurs et des
hommes qui sont autour, ce sont des industriels, des aristocrates …
Et des chasseurs.
Nouveau paradoxe. Le WWF est plein de gens compétents qui
travaillent et qui font des choses bien. Et il y a quand même pas mal
d’affaires dans lesquelles le WWF a été accusé, par exemple, de pratiques
néo-colonialistes. On vous a aussi sorti des photos. Je vais vous montrer le
troisième président du WWF …
Le Prince Philipp avec sa photo avec le tigre. Ça va, je l’ai vu quoi. C’est bon.
Le prince Bernhard des Pays-Bas pareil, le deuxième
président M. Loudon, un des fondateurs du pétrolier Shell.
Oui, mais vous ne pouvez pas contester que le WWF a eu un effet positif sur l’environnement mondial. Est-ce qu’il est interdit de penser au bien commun parce qu’on fait partie d’une élite ?
C’est peut-être une vision faussée par le fait que quand on cherche sur le WWF et autour de ses personnages fondateurs, on tombe très vite sur des sources et des théories conspirationnistes. Et encore pire quand on regarde le Prince Bernhard, le premier président du WWF et qu’on part en direction du Bilderberg. Vous savez ce que c’est que le Bilderberg ?
(Sourire) Oui, je sais ce que c’est.
Un club élitiste, d’Occidentaux libéraux, fondé pendant la
guerre froide et qui, aujourd’hui encore, se réunit chaque année dans le
secret. En tirant ce fil-là, on s’est dit qu’il fallait qu’on vous en parle
pour être rassuré. Que vous nous disiez : « Non, ces gens-là ne sont pas en
train de détruire le monde tout en disant au grand public qu’ils vont le sauver
! »
Bon, je comprends bien les théories conspirationnistes : pourquoi est-ce qu’on est dans le caca ? Parce qu’il y a des gens qui ont voulu nous y mettre.
Sur quoi on peut se mettre d’accord ? Que ça ne va pas assez
vite quand même ?
Franchement, les signes sont plutôt positifs en ce moment. Les gens qui gèrent les plus grandes entreprises de la planète, en tout cas ceux que je connais, commencent à me dire oui, effectivement, il y a un problème, on ne peut pas continuer comme ça. Il faut que ça change et il faut que ce soit nous qui engagions le changement.
Merci beaucoup de nous avoir répondu même si on vous a un
petit peu embêté… Ça ferait une super fiction toutes ces histoires.
Mais là vous retournez dans le conspirationnisme.
Oui, parce que cela fait une super fiction !