jeudi 13 septembre 2018

Lumière sur Tévennec


C'est la lumière d'un phare ! D'un vieux phare breton qui serait hanté, par les âmes des nombreux gardiens disparus ... ! Alors, pour me mettre dans le bain, je suis allé rechercher le roman de Jules Verne Le Phare du bout du monde, paru en 1905.

En 1859-1860, à l'extrême sud de l'Amérique du Sud, afin d'éviter un naufrage aux voiliers qui passent par là, le gouvernement argentin fait construire un phare,  "Le Phare du bout du monde" sur l'île des États, située à l'est de la Terre de Feu, là où le Pacifique et l'Atlantique se rencontrent. Trois gardiens sont chargés de veiller au bon fonctionnement du phare, construit sur une terre inhabitée et inhospitalière...

Au moins, ils ne sont pas seuls, eux !  Deux des gardiens vont être assassinés par les pirates et le troisième, le vieux Vasquez, s'enfuit et recueille un naufragé américain, John Davis. Ensemble, ils vont tenter d'empêcher les pirates de quitter l'île en attendant l'arrivée du navire militaire Santa-Fé.

Le Belem passe devant Tévennec ... par beau temps !
on  devine que par mauvais temps, il fasse humide à l'intérieur !


Jules Verne a-t-il été inspiré par un phare breton ? Un phare situé sur un rocher en pleine mer, isolé de tout, dans lequel on vit dans une humidité à 80% ? Je l’ignore, mais pourquoi pas par Tévennec, quand Marc Pointud publie « lumière sur Trévennec, les portes de l’enfer »


ce schéma déforme les distances assez énormes, puisque même Google map ne donne pas grand chose vu de satellite

Le feu de Tévennec, "petite falaise" en breton, est construit entre 1871 et 1875 sur l’ilot Tévennec, côté nord du raz de Sein, par les ingénieurs Cheguillaume puis Fessard, selon les plans de l’architecte Léonce Reynaud. Le feu fixe à secteurs blanc et rouge est allumé le 15 mars 1875. Jules Verne avait alors 47 ans, et son premier roman : Cinq semaines en ballon, qui inaugure ses «Voyages extraordinaires » parait en 1863.

Surnommé le phare maudit, 23 gardiens se succéderont entre le 15 mars 1875 et le 7 février 1910, date à laquelle il sera automatisé, avec un feu à incandescence par gaz d’huile . Depuis 1994, le feu est équipé d’un générateur solaire photovoltaïque.






Dès sa construction, les ouvriers rapportent des manifestations étranges, des fantômes, des voix... puis la série noire de décès de gardiens.

Les premiers gardiens ne restent pas très longtemps. L'un d'eux restera tout de même quelques années, de 1878 à 1885. En 1898, l’administration décide d’y installer des couples. Certains iront sur le rocher avec leurs enfants et une vache y fera même un séjour d’un an, permettant aux occupants d’avoir du lait frais car les ravitaillements ne se font que tous les 15 jours, si la météo le permet.


Marc Pointud est Président de la Société Nationale pour le Patrimoine des Phares et Balises. J’ignore si notre Stéphane Bern national est informé, mais les phares français représentent un patrimoine historique énorme, comptant des réalisations techniques époustouflantes, pas toujours bien entretenues, surtout quand personne n’habite sur place depuis des années : c’est le cas de Tévennec. Pour attirer l’attention sur ce sujet, Marc vient de passer deux mois sur place, tout seul, du 29 février au 5 mai 2016, (après un hélitreuillage), dans un inconfort total, sans compagne du sexe féminin, et même sans animal de compagnie. Son objectif ? Attirer l'attention sur le patrimoine des phares et balises.




Voici comment Ouest France relate son aventure :


« Cette conférence est la prolongation de mon action, indique Marc Pointud. Aujourd’hui, tout le monde parle des phares, mais ce n’était pas le cas il y a encore dix ans. Pour nous, ils sont un ensemble patrimonial. Le phare de Tévennec est en mer, composé d’une maison de 60m² et 17 m au-dessus de la mer, inhabité depuis 1910, ce qui veut dire que personne ne peut le visiter et qu’il laisse rêveur. Par manque de moyens, personne ne s’occupe des phares en mer, voilà pourquoi, en 2011, nous avons demandé et reçu une autorisation d’occupation temporaire de dix ans pour pouvoir le rénover ».


regardez bien Marc tendant les bras à l'hélico (photo Claude Prigent, merci !)






















Lors de son séjour, Marc Pointud a pu se mesurer à la nature en restant seul sur le plus vieux rocher de France. Après un temps d’adaptation, où il a réalisé des phases de rangements de ses vivres, où il s’est familiarisé avec les lieux, Marc Pointud s’est instauré une routine en prenant des clichés, en mettant l’accent sur la communication le matin. Il envoyait, par exemple, des vidéos de son expérience à la chaîne Tébéo, mais il a aussi commencé à écrire un livre sur le phare. Il a (forcément) signé chez l'éditeur Coopbreizh .


Le livre est sorti, je vous  livre quelques lignes

"Le bruyant silence de Tévennec"

"Tévennec, au milieu de l’océan est le domaine du bruit permanent ou le silence règne. A toute heure du jour et de la nuit la mer fait entendre sa présence. Les jours de grand calme sont rares mais elle est là, elle chuinte au pied des roches. La nuit elle m’appelle. Je serai tenté d’y descendre, de voir ses phosphorescences dans l’obscurité, sa dentelle blanche qui se trémousse comme pour me provoquer. Mais je refuse cette emprise. Céder au chant des sirènes serait se mettre en danger. Si elle hausse le ton, la petite voix devient tonnerre. Elle annonce sa colère montante par de sourds grondements qui vont crescendo jusqu’aux détonations que provoque sa lutte contre l’ennemi qui lui barre la route. Et pourtant le silence règne. Les instruments du vent s’invitent à ce concert. Leur registre est celui des sifflements, des miaulements. Leur souffle profite de chaque obstacle, de tout passage resserré, des fenêtres fuyardes. Ils se développent dans la tour en harmoniques d’un autre monde pour se perdre en réverbérations dans mon esprit. Et pourtant le silence règne dans cet ailleurs où je suis. Au long cours des semaines, la permanence de ces sollicitations sonores ne m’affectent plus. Je les entends mais ne les écoute. C’est une basse continue sans harmonie. Serais-je le solo qui fait défaut ? Non, ma musique est intérieure. Le silence est un abîme personnel rédempteur. Il est l’alpha et l’oméga de la pensée".



le journal de Marc :

8mn26s sur Trévennec :

1mn05s de déferlantes sur les phares de l'ile de Sein
on voit Trévennec, et pas un seul surfeur :