vendredi 20 décembre 2013

André Abbal (troisième partie)


la femme sur le bœuf ?

non : c’est Europe !

Je cherche toujours comment Europe est arrivée à Saint-Gaudens : j’ai décidé que cette « femme (apaisée) sur le taureau (devenu-bœuf) », enfin tranquille lui aussi, était l’Europe de l’après-guerre, renouant avec la paix. Cette Europe siège donc à Saint-Gaudens, devant les montagnes du Cagire à gauche et le pic du Midi plein Ouest, dominant de 40 m la plaine de Rivière au fond duquel coule la Garonne. Plaine de Rivière occupée il y a deux mille ans par la villa romaine de Nymphus. Reliée par la voie (forcément romaine) de Tolosa par Chiragan au nord. Et Dax-aux-eaux-chaudes par Lugdunum convenarum autrement dit Saint-Bertrand de Comminges au sud. Sans oublier l’Ibérie proche naturellement, aujourd’hui l’Aragon, menant vers Saragosse.

Lieu symbolique s’il en est !

Comment cette statue, sculptée à Carbonne, s’est-elle retrouvée à Saint-Gaudens ?

Depuis plusieurs années je me pose la question, jusqu’à ce que l’aide inattendue m’apparaisse sous les caractères dactylographiés de la machine à écrire du Maire de Saint-Gaudens du 4 août 1955 : il prépare l’inauguration de la statue comme je vous l’ai déjà décrit, et pas plus informé que moi, s’adresse à Berthe Abbal née Lécussan veuve d’André Abbal pour obtenir la réponse à la question : « qu’est-ce donc qui relie Abbal à St-Gaudens ? »

il faut lire les quatre dernières lignes

Voici la réponse manuscrite datée du lendemain 5 août 1955. Et comme presque toujours, la réponse passe par les femmes. C’est une longue histoire, soyez patients !  Abbal ne montrait pas d’empressement particulier pour se marier, jusqu’à ce que le « milieu agricole », encore plus influent à l’époque qu’aujourd’hui,  le prenne par la main. En quelque sorte.

Fabien Duchein, de Lafitte-Vigordane, est Directeur de l’Ecole d’agriculture d’Ondes. Je me souviens avoir reçu la Médaille d’Honneur des Anciens de cette école, quand j’était DDAF de la Haute Garonne dans les années 1990. Il est élu le 11 janvier 1920 sénateur de la Haute-Garonne sur la « liste républicaine d’Union démocratique et sociale », dans le sillage de la poussée nationale qui, en 1919, avait désigné la Chambre « bleu-horizon ». Il restera d’ailleurs sénateur jusqu’en 1932. Contraint pour les séances parlementaires de résider à Paris, et conseillé par Germain Leygue professeur à l’Ecole d’Ondes, et beau-frère d’André Abbal, il loge dans le grand appartement de la rue Morère. Appartement de cinq pièces loué par Adrien Abbal en 1909, au même moment où André (Abbal) s’installe à proximité villa Brune. Oui : d’étonnantes histoires de familles !
  


Je fais un retour en 1895. André Abbal a un premier oncle Adrien Abbal, qui l’invite à finir ses études à Paris. Il vit avec la veuve de son frère, Auguste. Ils sont Aveyronnais, durs au travail, âpres au gain, et ont accédé au rang de bourgeois et conquis, comme on dit, une honnête aisance. Auguste s’était marié avec Berthe Guérin, heureuse et étonnante coïncidence là encore, car secrétaire particulière du Président Léon Gambetta. Vous devinez l’importance de ce poste ! Elle admirait tellement le grand patriote qu’elle avait changé son prénom en celui de Léonie, et avait rebaptisé sa fidèle bonne Léontine ! Elle tient le carnet de rendez-vous du Président ! Elle connaît tout le monde, et on lui offre des chocolats pour obtenir une audience. Quel pouvoir ! Veuve donc, elle décide de finir sa vie avec son beau-frère Adrien (qui était resté célibataire), dans le confort luxueux de leur château de Deuil-la-Barre. Ils n’ont pas de fils, et André Abbal fait rapidement figure de fils adoptif qu’ils vont pendant 15 ans mettre à l’abri de tout souci matériel. André peut ainsi étudier à l’Ecole des Beaux Arts de Paris, être l’élève de Falguières durant quatre ans. Rouler avec son oncle en De Dion Bouton, et visiter les hauts lieux de l’architecture, au cours d’un voyage de plusieurs mois en Italie, Florence, Rome, Naples et Pompéi. Il y découvre la même Europe dont je vous ai montré la peinture précédemment. André revient ébloui et surmotivé pour reprendre le ciseau, et créer ses œuvres parisiennes.


Je reviens au Sénateur d’Ondes qui cherchait un logement parisien, et se retrouve rue Morère chez Adrien. La guerre de 14 est finie. André a été mobilisé à 38 ans, et a vécu l’horreur, dessiné des portraits de poilus, des croquis du front, on devine qu’il sera influencé par les chocs qu’il a vécus, en créant ses monuments aux morts comme celui de Moissac ou Toulouse. Démobilisé en 1919, André a retrouvé l’appartement rue Morère où ne vivait plus que Léontine, Adrien étant mort en 1915.

C’est là qu’arrive notre Sénateur. Il se prend d’amitié pour son co-locataire, et décide de marier ce célibataire de 44 ans qui, par prudence, et faute de revenus réguliers, n’avait pas osé fonder un ménage. Il invite à Paris (avec une de ses filles comme chaperon) la jolie Berthe Lécussan de ses amis, vivant à Carbonne. Dix sept ans de différence paraissaient rédhibitoires pour la maman de Berthe, mais cette dernière, découvrant Paris, et André (pas mal du tout), artiste déjà médaillé, en tombe amoureuse.

Et le mariage est célébré à Carbonne le 7 février 1921. Naissent Anne-Marie, qui vit toujours à Carbonne où elle est la figure emblématique du Musée consacré à son père, et Jacques, tué au maquis en 1944,.


Le jeune couple partage sa vie entre Carbonne, et Paris, où Berthe sert d’impresario à André qui pendant ce temps bosse sur ses cailloux. Avec les relations influentes de Léonie, Berthe dispose d’un carnet d’adresses prestigieux, et André est de tous les salons parisiens. A cette époque, la IIIè république fait dans la « statuomanie », et les commanditaires sont nombreux, comme par exemple Jean Ruau ancien Ministre de l’Agriculture, qui a son buste d’Abbal à Aspet. Les Personnalités parisiennes n’hésitent pas à intervenir auprès des municipalités ou des ministères. Cela se pratiquerait encore paraît-il ! Vincent Auriol, très proche des Lécussan, se révèle à son tour pour Abbal un ami et mécène fidèle, veillant avec bonté sur le carnet de commandes de son protégé.





C’est évidemment maintenant qu’il faut consacrer l’attention suffisante à Berthe, certes née à Carbonne, mais qui a passé ses vingt premières années à Saint-Gaudens, où résidait son père Louis Lécussan, professeur de mathématiques au Lycée de 1894 à 1914. Elle reste tellement attachée à Saint-Gaudens que son fils Jacques y fera lui aussi ses études, avant d’aller à Ondes, passage obligé ! J’imagine que c’est elle qui a suggéré à la Direction des Beaux Arts à Paris, qui a acheté la statue en 1945, de faire don d’Etat de « la Montagne » à la ville de Saint-Gaudens : à Carbonne, on est quand même un peu loin des Pyrénées ! A Saint-Gaudens, il y a toute son enfance, les années de Lycée, et le souvenir du grand sculpteur Augustus Saint-Gaudens !




 







C’est là que commence mon enquête : ce qui était à l’époque le Lycée est devenu le Collège Leclerc, et je prends rendez-vous avec le Principal-adjoint : question n°1 : le monument aux morts des Anciens Elèves, et le Poilu offert par Abbal sont-ils bien au bout de la cour de récréation, de l'autre côté du péristyle, donnant vers la Montagne, vers le massif du Cagire ?
Question 2 : existe-t-il des archives sur Louis Lécussan professeur de mathématiques ; et Jacques Abbal, élève ? Certes, il ne s’agit pas des mêmes périodes : années 1900 pour le professeur ; années 36-40 pour Jacques ! Attention ! il semble qu'il y ait eu plus tard un autre professeur dénommé Lécussan, beau-frère d'Abbal ! C'est par son intermédiaire que l'Association des anciens élèves aurait commandé le médaillon du Poilu à Abbal. L'inauguration a eu lieu  le 11 décembre 1932, sous la présidence  de M Hippolyte Roch Aristide Ducos, sous-secrétaire d'Etat à l'Instruction Publique. Hippolyte, qu'il me permette cette familiarité, est né en 1881 à Saint-André, dans le Comminges, et décédé à Toulouse en 1970. Fils de cultivateur, c'est un notable de la Haute-Garonne, il n'y avait que lui pour descendre en train de Paris, et présider l'inauguration.

Je me rends aux Archives départementales, demande l'autorisation de feuilleter la Dépêche du 12 décembre 1932, moment émouvant car la page me saute aux yeux, avec la photo du médaillon :

Tout est là : l'hommage au sculpteur Abbal présent. Le nom de l'architecte et du tailleur de pierre : il a façonné une fort belle pyramide, dans laquelle est incrusté le médaillon de bronze, 40cm x 29cm. Il y a les discours dont la conclusion d'Hippolyte, et comme dans Astérix, la cérémonie s'achève par un banquet, en petit comité, avant que l'illustre parisien doive quitter l'assemblée pour une réunion de toute première importance dans la Capitale.
En attendant une photographie prochaine, voici celle du modèle en terre cuite du Musée de Carbonne :



                              succès, j'espère avoir bientôt un projet pédagogique avec le Collège :

                                                vous vous rendez compte ?

                                          Un second Abbal à Saint-Gaudens  !

Attendez…il y a une suite…

et même des suites… !

Europe par le peintre de Guernica