dimanche 10 avril 2022

Prénom Orityila, la jolie Athénienne qui dit "non" !


Il y a des prénoms vraiment oubliés, et j’ignore si notre précieux Jérôme Fourquet quand il a fait l’analyse des prénoms de nos gosses a retrouvé celui-ci : Orithye ! Pas facile à prononcer, pas facile à écrire, surtout avec la variante Orithyie, pire encore, Orithyila qui cumule y et i accolés ! 

C’est, ou plutôt c’était, dans les temps anciens de la démocratie Grecque,  la fille du roi d'Athènes Erechthée et de la princesse Praxithée; c'est l'une des trois sœurs de Procris. Encore des prénoms disparus ! 

Cipriani le peintre montre Borée, un peu embêté, d'avoir enlevé Orithyla, mais il ne pouvait faire autrement !

A l’époque, le consentement d’aujourd’hui était inexistant : les Dieux donnaient l’exemple, de chasser (de force) les jolies femmes sur terre, quitte à les rendre immortelles...après ! Forcément, les mecs faisaient pareil, en enlevant (de force) les Sabines, bien obligées ensuite de leur faire des enfants ! Voilà que Borée, le vent du nord, s'éprend de notre Orithyie ! Mais son père, le roi Erechthée et le peuple d'Athènes s'opposent à ce mariage pour la simple raison que Térée, l'époux de Procné, venait lui aussi du nord. Voilà bien un ostracisme anti-Nordiques ! Il faut dire (bien que cela rallonge l’histoire initiale) que Térée roi de Thrace avait épousé Procné, fille du roi Pandion, et qu’elle avait demandé à son époux (rendez-vous dangereux) de revoir sa sœur, Philomèle, il se rend donc à Athènes dans ce but. Dès qu'il aperçoit Philomèle, Térée s'enflamme de désir pour elle et lui fait une cour assidue. Pandion, inconscient de la situation, lui confie Philomèle, qui veut revoir Progné ; mais dès leur retour, Térée séquestre Philomèle dans une bergerie ; la viole ; lui coupe la langue pour l'empêcher de révéler son crime, et la fait enfermer. Il invente une histoire pour faire croire à Progné que sa sœur est morte….faux !  le crime est finalement élucidé, et Térée qui donc venait (en plus) du Nord est convaincu d’être un violeur-assassin ! Les Athéniens et on les comprend, avaient donc pris en haine tous les nordiques et refusèrent de donner la jeune fille à Borée…!

...mais ils étaient insensés de croire qu'ils pourraient empêcher ce que le Grand Vent désirait !

C'est ainsi qu'un jour, Borée surgit dans une bourrasque et enlève Orithye, alors qu'elle jouait avec ses sœurs au bord de la rivière Ilisos.

Borée secoue ses ailes, de leurs battements se répand un souffle sur toute la terre et la vaste étendue de la mer frissonne, traînant sur les cimes des montagnes son manteau poussiéreux, il balaie le sol et dans sa passion, caché par un nuage, il enserre dans ses ailes fauves Orithye tremblante de peur.

Ovide Les Métamorphoses VI v.703-707

A l’époque comme je vous le disais, les femmes s’inclinaient, elles ne pouvaient faire autrement : ils eurent des enfants appelés les Boréades : deux fils Zétès et Calaïs, qui accompagnèrent Jason lors de la conquête de la Toison d'or et deux filles Chioné et Cléopâtre.

La Thrace était le lieu de séjour favori de Borée mais il était adoré en divers pays. A Athènes il avait un temple près de l'Ilissos ; il figure sur la "tour des vents". On le représentait généralement comme un vieillard morose, ailé, barbe et cheveux couverts. Vieillard, mais violeur quand-même !

on comprend que cette histoire puisse inspirer des peintres : le plus célèbre est Rubens

voici son tableau réalisé en 1620, et conservé à l'Académie des Beaux-Arts de Vienne.



voyez, c'est la même scène (mais pas le même prix) ! Pour montrer qu'il s'agit d'amour, des amours (des Eros avec de petites ailes comme je vous l'ai montré) entourent l'enleveur et l'enlevée, même si le Vent tient sa proie (un peu enveloppée) d'une main droite ferme, affairé qu'il est à voler vite et bien pour emmener par les airs sa proie dans le lit conjugal (forcé). Quand on regarde attentivement, les putti tiennent des balles de ping-pong et se les envoient dans la figure, il faut bien qu'ils s'occupent et manifestement ils jouent, tout cela n'est qu'un Jeu amoureux après tout !

Une fois encore, Sotheby's me sauve

14 oct 2020 New-York


une huile sur toile, dans un cadre en bois doré sculpté anglais néoclassique contemporain avec des motifs "des quatre vents" dans les coins (ils sont de circonstance !) : 

une grande dimension : 211,5 sur 172,7 cm.


comme toujours avec Sotheby's, la notice est super-documentée :

"Cette grande et dynamique toile de Boreas et Oreithyia - remarquable pour sa palette de couleurs harmonieuses, ses détails exquis et sa technique remarquable - fait partie des plus belles œuvres réalisées par Giovanni Battista Cipriani, un artiste d'origine italienne actif en Angleterre d'environ 1756 jusqu'à sa mort en 1785 Cipriani expose ce chef-d'œuvre en 1776 à la Royal Academy de Londres, et peu de temps après, le tableau entre dans la collection de l'un de ses grands mécènes George Walpole, 3e comte d'Oxford. Cette peinture était accrochée dans le Walpole's Saloon à Houghton Hall aux côtés d'autres œuvres à grande échelle de Cipriani jusqu'au début du XXe siècle.

"L'histoire de Borée et d'Oreithyie vient de la Métamorphose d'Ovide (Chapitre 6 : 692-722). Borée, le dieu grec du vent et frère de Zéphyr, est tombé amoureux d'Oreithyia, la fille d'un roi athénien légendaire, la prenant comme épouse. Ici, les deux protagonistes apparaissent devant un ciel net et rempli de nuages ​​alors que des tissus gonflés colorés encerclent leurs personnages magnifiquement rendus. L'aîné Borée, connu sous le nom de vent du nord féroce, est représenté calme et composé avec une couronne dorée et un physique musclé. Ses ailes emplumées, qui éventent la terre et la mer, s'étendent jusqu'aux bords de la composition. Il regarde vers la belle Oreithyia dans ses bras, avec ses longs cheveux flottants, sa peau de porcelaine. Ses bras tendus et sa jambe droite étendue forment une forte verticale qui aide à ancrer davantage cette composition équilibrée.

le commentaire est bien plus aimable que le mien : plus question d'enlèvement, de viol, le consentement est réciproque, l'amour triomphe, comme les premiers pas du voyage aérien, qui évidemment pour Oritylia constitue un baptême de l'air, précédant si je puis dire le moment de s'envoyer en l'air, j'ai cédé à la tentation... je n'en suis pas fier !

 

Né à Florence en 1727, Cipriani passa sa jeunesse à Florence et à Rome. En 1755, il voyage en Angleterre avec le sculpteur Joseph Wilton et l'architecte Sir William Chambers, avec lesquels il collaborera régulièrement tout au long de sa carrière. Il est resté ici pour le reste de sa vie, épousant Anne Booker en 1759, et il allait devenir l'un des peintres d'histoire néoclassique les plus connus du pays. Dans sa nouvelle maison, Cipriani s'est rapidement imposé dans les cercles artistiques et sociaux anglais, accueillant régulièrement des commandes pour décorer des bâtiments publics et des maisons privées, attirant le patronage de personnalités telles que le roi George III, ainsi que les lords Charlemont, Tylney et Anson. En 1762, Cipriani collabore avec Chambers sur le Gold State Coach pour George III, un véhicule (je dirais : "un carrosse" ?) que chaque monarque britannique a utilisé le jour de son couronnement depuis George IV. Il collaborera plus tard avec Angelica Kauffmann et Nathaniel Dance sur des décors de production à Covent Garden. En 1768, George III le nomme membre fondateur de la Royal Academy, où il donne des cours de figure et expose régulièrement de 1769 à 1779. 

La réputation de Cipriani en tant qu'artiste s'est encore répandue par le biais de gravures d'après ses œuvres réalisées par son ami de toujours Francesco Bartolozzi, venu à Londres en 1764. En plus d'une gravure d'après des études et des dessins que Cipriani a réalisés pour la composition actuelle, Bartolozzi a également produit un dessin à la craie et à l'aquarelle de couleur de la scène qu'il a associé à un dessin qu'il a fait de Zephyr et Flora. 

Parmi les mécènes les plus importants de Cipriani figurait George Walpole, 3e comte d'Oxford . Dans les années qui ont suivi l'acquisition de l'œuvre actuelle par Walpole, il a commandé trois tableaux supplémentaires à Cipriani, susceptibles d'être accrochés à côté de ce tableau dans le Saloon de Houghton Hall : Philoctète sur Lemnos (1781), Castor et Pollux (1783) et Œdipe sur Colone . Ce ​​groupe a été rejoint par une peinture verticale par une autre peinture verticale de Cipriani de Didon pleurant le départ d'Énée (1783).  Dans l'inventaire Houghton de 1792, toutes ces peintures de Cipriani sont répertoriées comme accrochées dans le Saloon. Ils sont restés ici pendant plus d'un siècle jusqu'à ce qu'ils soient entreposés dans les années 1920.

Le sujet a inspiré bien d'autres peintres, voici quelques autres toiles    

Jean-Jacques Lagrenée 1774



Giovanni Francesco Romanelli reprend le thème, avec Eros qui tient le feu (de l'amour)

au musée de Boston, mais il faut aller loin, on retrouve un H en sus

et le top, qui est le vase grec d'origine


au British Museum, même scène en présence d'Athéna

sauf que tout le monde est au sol




PS (1) : la Tour des Vents existe toujours à Athènes :

la voici couverte, en 1835, c'est une ancienne horloge hydraulique


voici Zéphyr, le vent d'Ouest, à droite Lips, le Sud-Ouest

Borée est au Nord



« Quand les enfants d'Eole se déchaînent sur la plaine liquide, Borée, échappé de son antre de Thrace, y établit son empire, épouvante les vagues de ses horribles sifflements, et fait taire tous les vents sur l'onde turbulente ; la mer écume, bouillonne, gronde, tandis que sa tête altière s'élève au-dessus des flots : toutes les Néréides admirent son impétueux élan ». (Némésien, Cynégétiques (273-278) 

Comme l'Aquilon et le Septentrion à Rome, Borée (Boreas) est un vent du nord, représenté sur la Tour des Vents comme un vieillard barbu et sauvage, chaudement protégé par une tunique à manches longues, un manteau et des bottes montantes, tenant une conque dans la main droite, avec laquelle il souffle un vent glacial qui annonce l'hiver. C'est avec cette violence qu'il a enlevé Orithye, comme le raconte Ovide à la fin du livre VI des Métamorphoses. 

Mais Borée peut aussi mettre cette puissance au service des humains : c'est ainsi qu'il a sauvé les Grecs lors des guerres médiques, en détruisant une flotte de Xerxès au large du cap Artemision (Hérodote, VII, 189 et Pausanias, VIII, 27, 14).

la Tour a été reproduite à Sébastopol, en Crimée, en 1849

mais elle est trois fois plus petite

ici au centre Lips, le vent du sud-Ouest. Apeliotes, le vent d'Est est à gauche, et forcément à droite, c'est Boréas

PS (2) : tout se trouve à Versailles ! 





Inventaire de 1707 : « Un grouppe de marbre blanc, représentant Borée, en pied, qui enlève la nymphe Orithie : il a des ailes attachées au dos et une draperie sur l’espaule gauche qui descend sur sa cuisse ; il tient dans ses bras Orithie, ayant les deux mains eslevées et tenant de la droite un morceau de draperie qui volle par-dessus sa teste. Borée a les genoux sur une figure d’homme représentant un vent, ayant la main droite fermée et tenant de la gauche une draperie. Les figures sont d’environ six pieds dix pouces et le tout a, de hauteur, neuf pieds, y compris la plinte. Ce grouppe a été fait par Anselme Flamant en 1684 ».

quand souffle le froid vent du Nord, pensez désormais à Borée

et à la pauvre Orithyila ...

... et puis, votez bien ... 

pour conserver notre liberté...