le képi porte le n°88 devenu 288è |
La fosse terrible de
Saint-Rémy de Calonne
Vous suivez la série télévisée
américaine : Bones ? c’est
une série créée par Hart Hanson d'après les romans de Kathy Reichs
(anthropologue judiciaire et écrivain à succès). Les archives départementales
nous convient à leur conférence mensuelle, et ont invité Bones (en quelque sorte).
Soirée terrible !
Frédéric Adam se présente à nous
comme Normand (de bonne lignée) habitant la Meuse, il nous montre où sur la
carte des combats de Verdun. Quand il fait 4° chez nous, il fait -20° chez lui,
et il préfère creuser au midi naturellement, même si son métier est d’être une
sorte de Bones ! Il a inventé « l’archéologie-récente », en fouillant les fosses où restent ensevelis des milliers de
soldats Français, allemands ou étrangers. On devine que c’est une spécialité
délicate, pour des tas de raisons éthiques et morales bien compréhensibles, et
qu’il opère en toute légalité en application de la loi de 1920 qui stipule que
l’Etat in fine se doit de rendre les
Honneurs militaires aux combattants morts pour la France, en toute transparence
avec les familles.
C’est à lui que l’on doit la fouille
anthropologique de la fosse, découverte par Michel Algrain : au milieu de
21 corps tête-bêche, étaient ensevelis trois officiers, dont le lieutenant
Alain Fournier. La plupart ont été identifiés, effets civils remis aux
familles, corps maintenant ensevelis dans la nécropole de Saint-Rémy la Calonne.
La vie d’Henri-Alban Fournier mérite
d’être racontée en détails tant je retrouve (merci Wikipedia) (à cinquante cinq ans de différence) de points communs :
il naît à La Chapelle-d'Angillon, chef-lieu de canton du département du Cher, à
32 km au nord de Bourges. Son père, Augustin Fournier (1861-1933),
habituellement appelé Auguste, jeune instituteur, vient d'être nommé à Marçais,
où le petit Henri vit ses cinq premières années. Sa mère, Marie-Albanie Barthe
(1864-1928) est également institutrice. L'essentiel de son enfance se passe à
Épineuil-le-Fleuriel, tout au sud du département. Il y sera, sept ans durant,
l'élève de son père et aura pour compagne de jeux et de lectures sa sœur
Isabelle (1889-1971). Dans une lettre à ses parents du 20 mars 1905, évoquant «
la classe où entraient […] tout le soleil doux et tiède de cinq heures, toute
la bonne odeur de la terre bêchée », il ajoute : «Tout cela, voyez-vous, pour
moi c’est le monde entier». Les trois quarts des chapitres de son futur roman
auront pour cadre « Sainte-Agathe » et ses environs qui ressemblent à s’y
méprendre au petit village de son enfance heureuse.
À douze ans, Henri part pour
Paris, où il commence ses études secondaires au lycée Voltaire, récoltant
presque tous les prix. Rêvant d’«être marin pour faire des voyages», il
convainc ses parents, en septembre 1901, d’aller à Brest préparer le concours
d’entrée à l’École navale : l’expérience sera trop rude et il y renonce quinze
mois plus tard. C’est au lycée de Bourges qu’il prépare le baccalauréat ; il
l’obtient, sans mention, en juillet 1903. Comme beaucoup de jeunes provinciaux,
comme Péguy et Giraudoux avant lui, il va poursuivre des études supérieures de
lettres au lycée Lakanal, à Sceaux – « l’internat des champs » –, puis au lycée
Louis-le-Grand de Paris, où il prépare le concours d'entrée à l'École normale
supérieure. C'est au lycée Lakanal qu'il rencontre Jacques Rivière avec lequel
il se lie d'une amitié profonde. Celui-ci étant reparti à Bordeaux en 1905, il
entretient avec lui une correspondance presque quotidienne qui sera publiée en
1928. Jacques Rivière épousera sa jeune sœur, Isabelle, en 1909.
Le 1er juin 1905, jour de
l'Ascension – il a dix-huit ans –, il croise, à la sortie d'une exposition de
peinture au Grand Palais, une grande et belle jeune fille, qui lui dira son nom
dix jours plus tard : Yvonne de Quiévrecourt (1885-1964). Mais cet amour est
impossible : Yvonne épousera, l'année suivante, un médecin de marine, Amédée
Brochet. Bouleversé par cette brève rencontre, Fournier ne cessera, huit années
durant, de penser à la jeune femme et de l’évoquer dans sa correspondance. Il
s'en inspirera pour le personnage d’Yvonne de Galais dans Le Grand Meaulnes.
Après son échec à l'oral de
Normale en juillet 1907, il effectue son service militaire d'octobre 1907 à
septembre 1909, d'abord à Vincennes et dans diverses casernes de Paris, de
Vanves et de Laval, puis comme sous-lieutenant de réserve au 88e Régiment
d'Infanterie à Mirande (Gers). Le voilà lui aussi dans le Gers ! Libéré à
l'automne de 1909, il ne reprend pas ses études, mais est engagé comme
chroniqueur littéraire à Paris-Journal en 1910. Il commence à publier quelques
poèmes, essais, ou contes, qui connaissent quelque succès. Il rencontre alors
plusieurs grands peintres et écrivains de son temps : Maurice Denis, André
Gide, Paul Claudel, André Suarès et Jacques Copeau, et se lie d'une grande
amitié avec Charles Péguy et Marguerite Audoux. Mais surtout il élabore
lentement l'œuvre qui le rendra célèbre : Le
Grand Meaulnes, paru en novembre 1913 chez Émile-Paul. Ce roman manquera de
peu le prix Goncourt, mais sera salué presque unanimement par la critique de
l'époque.
Le 5 mai 1912, présenté par
Charles Péguy, il devient secrétaire de Claude Casimir-Perier, fils de l'ancien
président de la République et l'aide à mettre au point un gros ouvrage : Brest,
port transatlantique qui sera publié en avril 1914 chez Hachette. Il fréquente
dès lors l'épouse de celui-ci, Pauline Benda, célèbre au théâtre sous le nom de
Madame Simone et lui rend de
multiples services. Simone révèlera en 1957 la liaison passionnée, souvent
orageuse, qu'elle a eue, à partir de juin 1913, avec le jeune écrivain, de neuf
ans son cadet, dans son livre "Sous de nouveaux soleils" (Gallimard).
Alain-Fournier est fréquemment reçu dans leur propriété de Trie-la-Ville, où
sont également accueillis Charles Péguy ou Jean Cocteau. C'est sous les arbres
du parc du château de Trie que Fournier écrira, en 1914, plusieurs chapitres de
son second roman qu’il appelle alors «Colombe Blanchet», mais qu'il ne pourra
achever avant la déclaration de guerre. La correspondance des deux amants a été
publiée en 1992, présentée et annotée par Claude Sicard.
Durant cette même année 1913, qui
voit, en juin, le début de sa liaison avec Pauline Benda-Perier - Madame Simone -, Fournier rencontre pour
la seconde fois Yvonne de Quiévrecourt. Les chastes retrouvailles ont lieu au
cours de l’été, sans doute du 1er au 4 août 1913, à Rochefort-sur-Mer, où la
jeune femme, mère de deux enfants, est de passage chez ses parents. Le jeune
homme est bouleversé — des notes sur un petit carnet noir en témoignent — mais
sa vie sentimentale a pris désormais irrévocablement une direction nouvelle. Il
échangera encore quelques lettres avec Yvonne de Quiévrecourt, mais ne la
reverra pas.
Lieutenant de réserve, mobilisé
le 2 août 1914, Alain-Fournier part de Cambo dans le Pays basque, où il était
en vacances avec Simone, pour rejoindre son régiment, le 288e régiment
d'infanterie à Mirande. On sait que les régiments de réserve étaient repérables
par le numéro 2, qui précède le numéro d’origine, le 88è devient le 288è ; comme le 83è devient le 283è etc…Il est affecté à la 23e compagnie. Partis
d'Auch en train jusqu'au camp de Suippes, ses hommes et lui rejoignent le front
après une semaine de marche jusqu'aux environs d'Étain. On comprend dès lors que son corps soit entouré
de soldats gersois, j’en trouve même un qui provient de Masseube, le «balcon
des Pyrénées» ! Avec sa compagnie, il participe ensuite à plusieurs
combats meurtriers autour de Verdun.
le JMO : les 3 officiers. Tous les soldats sont du Gers ! |
Le 22 septembre, un détachement
de deux compagnies, la 22e, commandée par le lieutenant Paul Marien et la 23e,
commandée par le lieutenant Fournier reçoit l'ordre d'effectuer une
reconnaissance offensive sur les Hauts de Meuse, en direction de
Dommartin-la-Montagne, à vingt-cinq kilomètres au sud-est de Verdun. Si l'on
doit en croire les témoignages postérieurs, assez divergents, du sergent
Zacharie Baqué et du soldat Laurent Angla, Fournier et ses hommes parviennent
jusqu'à la Tranchée de Calonne où ils sont rejoints par le capitaine de
Savinien Boubée de Gramont qui prend la direction des opérations et décide
d'attaquer l'ennemi. Ce capitaine est, lui, d'active, nettement plus âgé. Entendant des coups de feu, ils veulent rejoindre la 22e
compagnie de Marien qui s'est trouvée face à un poste de secours allemand et a
ouvert le feu. Après avoir fait quelques prisonniers, ils sont pris à revers
par une compagnie prussienne à la lisière du bois de Saint-Remy et décimés par
la mitraille. Trois officiers (dont Alain-Fournier) et dix-huit de leurs hommes
sont tués ou grièvement blessés, tandis que Marien et le reste du détachement
parviennent à se replier. Sur le Journal de marche et d'opérations du 288e
R.I., (on dit JMO, et tous ces journaux sont consultables sur internet) trois
officiers, un sergent et dix-huit soldats des 22e et 23e compagnies sont portés
« disparus » au « combat de Saint-Remy, du 21 au 30 septembre ».
les Allemands ont occupé les lieux trois ans, et creusé cette fosse de 50cm, recouverte de terre à l'époque |
S'il faut croire certaines
sources, la patrouille dont Alain-Fournier avait reçu l'ordre de « tirer sur
des soldats allemands rencontrés inopinément et qui étaient des brancardiers »,
et avait obéi, ce que les Allemands auraient considéré comme un crime de guerre.
Selon Gerd Krumeich, professeur à l’Université de Düsseldorf, il est exact que
la patrouille d'Alain-Fournier attaqua une ambulance allemande, mais il est
difficile d'établir les faits précis.
Ceci jusqu’à l’intervention de notre Bones-conférencier, Frédéric Adam !
Il analyse ce qu’il appelle « les
fracas », les origines de la mort des 21 corps : tous sont criblés de
balles, encore visibles, venant de tout autour, confirmant qu’ils ont été encerclés
dans une embuscade mortelle. Et non pas fusillés (de face), ni abattus de coups de crosse.
Alain Fournier a plus tard été décoré
de la Croix de guerre avec palme
et nommé chevalier de la Légion d’honneur à titre posthume.
Son nom figure sur les murs du Panthéon, à Paris,
dans la liste des écrivains morts au champ d'honneur pendant la
Première Guerre mondiale.
Ses compagnons, agriculteurs gersois, l’entourent pour toujours !