lundi 16 septembre 2013

Villa Thétys




déesse de la Mer. Dans la mythologie grecque, Téthys (en grec ancien Τηθύς / Têthús) est une déesse marine Elle était la benjamine des Titanides, fille d'Ouranos (le Ciel) et de Gaïa (la Terre), sœur (et épouse, les Grecs n’avaient pas nos tabous) d'Océan, de qui elle eut de nombreux enfants, les dieux fleuves (comme le Nil), et les Nymphes (elles sont des quantités, dans les rivières et les sources). Elle personnifiait la fécondité marine.

Chaque soir, elle recevait le Soleil qui venait se coucher au terme de son voyage céleste.
 
Poséidon sur son char ; dessous : Océan et Thétys
La représentation de Téthys est rare : elle apparait sur les mosaïques (grecques) en compagnie de son époux avec deux petites ailes sur le front, car elle est mère des nuages.

la mosaïque de Poséidon au centre donne l'ambiance du Musée de Zeugma !

En Turquie, la ville de Gaziantep abrite le musée de Zeugma, le plus grand musée du monde consacré aux mosaïques (grecques), ouvert seulement le 9 septembre 2011, qui relègue le musée du Bardo à Tunis au second rang avec ses mosaïques (romaines).  Il faut dire que la ville de Zeugma comptait 80.000 habitants, avec des bâtiments magnifiques. Elle a été malheureusement engloutie sous le barrage de Birecik, et on ne pourra plus admirer celle qui a été qualifiée de Pompéi de l'Orient. On y trouve Thétys avec son époux-frère, coiffée de ses deux ailes. On y trouve aussi des tas de merveilles, comme la Gypsy girl célèbre pour ses yeux (envoutants).


pas difficile de comprendre que Zeugma était un comptoir grec

Evidemment notre Jean de La Fontaine connaît Thétys, et la cite dans Le Rat et l'Huître, neuvième fable du livre VIII  édité pour la première fois en 1678. Je vous cite ce poème en vieux françois :

Un Rat hoſte d’un champ, Rat de peu de cervelle,
Des Lares paternels un jour ſe trouva ſou.
Il laiſſe-là le champ, le grain, & la javelle,

Va courir le païs, abandonne ſon trou.
Si-to qu’il fut hors de la caſe,
Que le monde, dit-il, eſt grand & ſpacieux !
Voilà les Apennins, & voicy le Caucaſe :
La moindre Taupinée étoit mont à ſes yeux.
Au bout de quelques jours le voyageur arrive
En un certain canton où Thetis ſur la rive
Avoit laiſſé mainte Huitre ; & noſtre Rat d’abord
Crût voir en les voyant des vaiſſeaux de haut bord.
Certes, dit-il, mon pere eoit un pauvre ſire :
Il n’oſoit voyager, craintif au dernier point :
Pour moy, j’ay déja veu le maritime empire :

J’ay paſſé les deſerts, mais nous n’y bûmes point.
D’un certain magiſter le Rat tenoit ces choſes,
Et les diſoit à travers champs ;
N’eant pas de ces Rats qui les livres rongeans
Se font ſçavans juſques aux dents.
Parmy tant d’Huitres toutes cloſes,
Une s’eoit ouverte, & bâillant au Soleil,
Par un doux Zephir rejoüie,
Humoit l’air, reſpiroit, eoit épanoüie,
Blanche, graſſe, & d’un gou à la voir nompareil.
D’auſſi loin que le Rat voit cette Huitre qui bâille,
Qu’apperçois-je ? dit-il, c’e quelque victuaille ;

Et ſi je ne me trompe à la couleur du mets,
Je dois faire aujourd’huy bonne chere, ou jamais.
Là-deſſus maire Rat plein de belle eſperance,
Approche de l’écaille, allonge un peu le cou,
Se ſent pris comme aux lacs ; car l’Huitre tout d’un coup
Se referme, & voilà ce que fait l’ignorance.
Cette Fable contient plus d’un enſeignement.
Nous y voyons premierement ;
Que ceux qui n’ont du monde aucune experience
Sont aux moindres objets frappez d’étonnement :

Et puis nous y pouvons apprendre,
Que tel e pris qui croyoit prendre.
 



Contrairement à la déesse grecque, Georges Droin n'était pas le fils du Ciel et de la Terre, bien que banquier, banquier bordelais. Vous avez vu le détour de mon récit : depuis la Turquie en passant par La Fontaine pour me poser (tout doucement) sur un banquier ? Un banquier fan d'architecture ! J'ai franchi un nouveau sommet dans l’art de la digression, et là avouez que j’ai fait fort !

Nous sommes dans ma fameuse année 1927, et notre banquier (bordelais) a en tête de construire une bâtisse…de style basque. Genre villa "Arnaga", d'Edmond Rostand à Cambo, par exemple. Or il a un cousin à Arcachon, Charles Guérin, déjà propriétaire de Kypris, à quelques mètres de là au Moulleau : nous sommes proches de la mer, que là-bas on appelle Océan, sans doute en souvenir du Dieu grec. Le cousin s’est fait faire une villa par Roger-Henri Expert, arcachonnais d'origine. Elle n’est pas du tout basque, mais art-déco.
 

Kypris et sa rotonde

Né le 18 avril 1882 à Arcachon, Roger-Henri Expert - le plus souvent appelé Roger Expert - est l'un des grands architectes de la première moitié du XXème siècle. Ses œuvres sont peu nombreuses, mais originales, alliant classicisme et modernité. Parmi ses réalisations majeures, on citera l'Hôtel de Ville de Reims (1924-1927), la Légation de France à Belgrade (1928-1933), plusieurs édifices et aménagements de l'Exposition Coloniale Internationale de Paris (1931), les Ateliers Extérieurs de l'École Nationale Supérieure des Beaux-Arts à Paris (1931-1933), plusieurs aménagements du Paquebot Normandie (1932-1935), et les Fontaines du Trocadéro à Paris (1936-1937)

Ce qui nous intéresse, c’est qu’Expert réalise cinq Villas Art-déco à Arcachon et au Pyla entre 1924 et 1927 : trois au Pyla : Thétys que je vais vous montrer ; Canope et Lyside, (villas identiques construites pour le même propriétaire, l’entrepreneur Dotto) ; deux autres à Arcachon  : Kypris et Vert Logis.

 Moulleau, la plage


















à droite de la photo, la villa la Hutte n'est pas mal non plus !
















façade les pieds dans l'eau, on devine l'arrière pas mal non plus !

La villa Thétys s'organise autour d'une vaste pièce centrale à rotonde. Un jardin à l'italienne, trois grandes arcades, une fontaine, un salon et sa rotonde. La façade Ouest de la villa donne sur la mer, la façade Est donne sur la rue, l'avenue de la Plage, mais est dissimulée aux regards par un jardin, conçu également par Expert. C'est l'entrepreneur Dotto, (qui habitait donc pas loin), qui réalisa les travaux.
  




On entre directement dans l'imposant salon de 15 mètres de long et 9 de large, gardé lui, par des paons que l'on retrouve aussi sur la terrasse.




A un mètre de la plage du Moulleau et de ses bateaux, cette demeure familiale depuis maintenant 80 ans, construite sur pilotis, toujours peinte d’un blanc immaculé, reste la propriété des descendants Droin.

banquier et

esthète

protégé de Thétys

voyez : ça sert les Grecs !