vendredi 20 septembre 2013

Pyrame et Thisbé,


...les mûres rouges

...l’origine de Roméo et Juliette
 
Ovide livre IV à la BN

C'est Ovide qui, dans ses Métamorphoses, donne le premier la légende de Pyrame et Thisbé : ce sont deux jeunes Babyloniens qui habitent des maisons contiguës et s'aiment malgré l'interdiction de leurs pères. Ils projettent de se retrouver une nuit en dehors de la ville, sous un mûrier blanc (Morus alba, pas de rapport avec les mûres (rubus famille des rosacées). Thisbé arrive la première, mais la vue d'une lionne à la gueule ensanglantée la fait fuir. Comme son voile lui échappe, il est déchiré par la lionne qui le souille de sang. Lorsqu'il arrive, Pyrame découvre le voile et les empreintes du fauve : croyant que Thisbé a été dévorée, il se suicide. Celle-ci, revenant près du mûrier, découvre le corps sans vie de son amant et préfère se donner la mort pour le rejoindre dans l’au-delà.

Drame de l’amour

« Ô vous, parents trop malheureux ! Vous, mon père, et vous qui fûtes le sien, écoutez ma dernière prière ! Ne refusez pas un même tombeau à ceux qu'un même amour, un même trépas a voulu réunir ! Et toi, arbre fatal, qui de ton ombre couvres le corps de Pyrame, et vas bientôt couvrir le mien, conserve l'empreinte de notre sang ! Porte désormais des fruits symboles de douleur et de larmes, sanglant témoignage du double sacrifice de deux amants ! »

— Ovide, (trad. G. T. Villenave).

C'est de là que viendrait la couleur rouge des mûres d'après Ovide. De fait, dans la tradition latine, le terme de Pyramea arbor (« arbre de Pyrame ») était parfois utilisé pour désigner le mûrier. Attention, cette fois-ci, je parle du murier noir (Morus nigra). Certaines sources indiquent que le mûrier blanc produit des fruits blancs et le mûrier noir des fruits noirs, c'est faux. Le mûrier noir porte toujours des fruits violets foncés ou noirs. Par contre, selon les variétés, le mûrier blanc porte des fruits blancs, jaunes, rosés, violets ou noirs. Disons que la légende évoque un murier-blanc-qui-portait-des-fruits-rouges. (Il faut tout vérifier) !
  
Edwin Longsden
Plusieurs récits de l'Antiquité tardive (Nonnos ou le roman chrétien des Recognitiones) rapportent une version sensiblement différente de celle d'Ovide. Ils situent la scène en Cilicie, région historique d'Anatolie méridionale et ancienne province romaine située aujourd'hui en Turquie.

Elle correspond approximativement aujourd'hui à la province turque d'Adana, une région comprise entre les monts Taurus, les monts Amanos et la Méditerranée. (Il faut tout vérifier !) Bref ! Ils montrent Thisbé se suicidant la première lorsqu'elle se découvre enceinte (par peur de ses parents), suivie par Pyrame. Ils n’ont donc pas fait que se parler de part et d’autre d’un mur fissuré ! l’IVG n’existe pas à l’époque, ce qui est source de grandes souffrances. Les deux amants sont ensuite métamorphosés, Pyrame en fleuve et Thisbé en source. De fait, un fleuve nommé Pyrame coule en Cilicie, cette attestation toponymique semblant montrer que cette version de la légende remonte à une tradition plus ancienne et mieux établie que celle donnée par Ovide.

La légende de Pyrame et Thisbé a inspiré de nombreuses œuvres. La plus célèbre est sans doute Roméo et Juliette de William Shakespeare (1595), qui en reprend librement l'intrigue. Shakespeare a également utilisé ce thème dans Le Songe d'une nuit d'été.
 


« Romeo
If I profane with my unworthiest hand
This holy shrine, the gentle sin is this:
My lips, two blushing pilgrims, ready stand
To smooth that rough touch with a tender kiss.
Juliet
Good pilgrim, you do wrong your hand too much,
Which mannerly devotion shows in this;
For saints have hands that pilgrims' hands do touch,
And palm to palm is holy palmers' kiss. »
— Acte I, scène 5, v. 92-99.

Au XVIIe siècle, plusieurs tragédies françaises ont été composées sur le thème des amants malheureux : ainsi Jean Puget de La Serre, Pradon, et surtout Théophile de Viau avec Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé (1621), très appréciée en son temps.

 En 1897, Edmond Rostand fait dire à son Cyrano de Bergerac dans la fameuse tirade du nez (acte I, scène 4) : « Enfin parodiant Pyrame en un sanglot : « Le voilà donc ce nez qui des traits de son maître a détruit l'harmonie ! Il en rougit, le traître ! ». En référence à l'extrait de la tirade de Thisbé lors de la mort de son amant dans la pièce de Théophile de Viau : « Ah voici le poignard qui du sang de son maître / S'est souillé lâchement. Il en rougit, le traître ! »

Cette légende inspire également des opéras, et bien entendu des tableaux, je préfère celui de J.L Waterhouse, où Thisbé écoute Pyrame (invisible) qui lui parle à travers la faille du mur. Mais Pierre-Claude Gautherot (au musée de Melun) n’est pas mal non plus : Pyrame, abusé par la découverte du voile (jaune) ensanglanté de Thisbé, vient de se donner la mort (la blessure au-dessus du cœur). Thisbe (qui vient de prendre le pouls de Pyrame comme le ferait tout bon légiste) se suicide à son tour (à la japonaise, en recherchant le cœur sous le sein gauche) sur le cadavre de Pyrame (entièrement nu). Le mûrier est bien au-dessus, et il y a même le futur même tombeau à gauche. La lionne par contre a disparu.
 



Aujourd’hui, les lionnes ne se baladent plus dans les villages, évitant une grande source de malentendus entre les amoureux. On ne se suicide plus de se découvrir enceinte, il existe la pilule du lendemain. Les parents et la Société sont devenus plus compréhensifs, (sauf apparemment dans le moyen Orient, mais attention, ne soyons pas clivants !).

Bref, on n’entend quasiment plus parler de Pyrame et Thisbé

ni des mûriers qui donnent des mûres noires

l’amour a triomphé des préjugés

il était temps que les femmes jouissent des mêmes droits !

John William Waterhouse : Thisbe écoute Pyrame lui déclarer sa flamme
à travers la fente des murs de leurs maisons contigües