jeudi 22 août 2024

Carré SATOR

 

les mêmes lieux à Ostie, mais vides ! 

Aujourd'hui, on n'a plus de conversations avec quiconque : il n'y a plus de toilettes publiques pour se rencontrer, chacun s'isole avec son téléphone portable et surfe tout seul sur internet.

on a donc tous oublié la signification de cette inscription

bien affichée au centre de Rome

regardez bien d'abord horizontalement

puis verticalement

les mots se répètent !

Wiki interrogé répond avec son efficacité habituelle : c'est le carré SATOR :

un palindrome latin !

Je cite : (nous sommes encore en période de vacances, j'ai bien le droit à encore un peu de calme) ! Le carré Sator est un carré magique contenant le palindrome latin SATOR AREPO TENET OPERA ROTAS. Ce carré figure dans plusieurs inscriptions latines, la plus ancienne connue qui a été trouvée à Pompéi ne pouvant être postérieure à l'an 79. Un plus érudit que moi, Olivier Perret en a fait un article dans son blog, évaluant la date à 65 :

https://www.blog-olivier-perret.org/le-carre-sator-rotas-de-pompei/

L'énigme formée par le sens de cette inscription a intrigué de nombreux savants et suscité diverses hypothèses, utilisant des interprétations exégétiques juive ou chrétienne et provoquant le scepticisme sur une signification de l'inscription de la part d'historiens de la Rome antique.

Les 25 lettres de cette phrase de cinq mots, ici inscrites dans un quadrillage, lues de n'importe quel coin à son opposé, forment donc un palindrome. (1) Chacun des cinq mots est répété quatre fois dans ce carré, de gauche à droite, de droite à gauche, de haut en bas et de bas en haut.

S A T O R

A R E P O

T E N E T

O P E R A

R O T A S

ou, présenté en sens inverse, en gardant les mêmes caractéristiques :

R O T A S

O P E R A

T E N E T

A R E P O

S A T O R

La lecture est rendue possible horizontalement et verticalement parce que chacun des termes de la phrase est un acrostiche, un mésostiche ou un téléstiche de l'ensemble des cinq mots.

ce sont ces mots qui m'ont intrigué : des tas de mots oubliés que je réveille ici !

Il faut noter que le changement de l'ordre de lecture n'altère en aucun cas le sens de la phrase du point de vue grammatical latin. En d'autres termes, si la place des mots n'est pas la même, la signification est identique.

Le carré est composé des cinq mots suivants :

Sator : laboureur, planteur, semeur ; ou métaphoriquement créateur, père, auteur (au nominatif : c'est donc le sujet) ;

Arepo : signification inconnue en latin, toutefois ce mot en langue gauloise signifie « charrue » (cas inconnu, peut-être ablatif singulier : complément circonstanciel de moyen) ;

Tenet : [il/elle] tient (du verbe tenere) ; ou il tient en son pouvoir, voire maintient (3e personne du présent) ;

Opera : œuvre, travail, soin (ablatif singulier : complément circonstanciel de manière) ;

Rotas : roues ou rotation, orbite, révolution, cycle (accusatif pluriel : c'est le COD) .

Le mot Arepo est un hapax : il n’apparaît nulle part ailleurs dans la littérature latine. Il est probable qu’il s’agisse d’un nom propre, éventuellement inventé pour faire fonctionner le palindrome. Sa similitude avec arrepo, venant de ad repo, « je rampe vers », est probablement une coïncidence.

Il n'est pas certain que la phrase ait réellement un sens en latin. La traduction la plus probable serait : « Le laboureur Arepo dirige les roues (c’est-à-dire une charrue) avec adresse. » Est également possible : « Le semeur tient avec soin les roues (de sa charrue). » Une autre cependant, plus proche de la mystique du carré magique, surtout si on la rapproche des premiers chrétiens, pourrait être, si l'on tient compte de la similitude entre arepo et arrepo — qui signifie également et entre autres « être terre à terre » (selon dictionnaire Gaffiot) — : « le créateur, par son caractère terre à terre, maintient l’œuvre de rotation ». Diverses interprétations sont possibles si l'on sort du strict contexte « laboureur » et « roue ». Comme c'est un carré magique, il y a autant d'interprétations que de sens de lecture, ce que la langue latine favorise naturellement.

Olivier Perret propose, lui : 

  « C'est l'univers entier_    Qu'avec sa force souveraine_    Maintient_   -J'en témoigne-    Le semeur ».

     signé :  Saturna, la rédactrice du graffiti de Pompéi

Pompéi : la route menant au Vésuve


j'adore le passage piéton de cette rue

Le plus ancien carré connu se trouve donc dans les ruines de Pompéi où il fut enfoui en 79. D'autres ont été trouvés dans des excavations à Corinium (actuelle Cirencester en Angleterre ; le texte est ROTAS OPERA TENET AREPO SATOR), Doura Europos (actuelle Syrie) ou au musée de Conimbriga au Portugal. Le carré existe également à la maison forte de Reignac, à Manchester en Angleterre, sur le mur de la cathédrale de Sienne ou dans une inscription en marbre à l'abbaye de San Pietro ad Oratorium près de Capestrano en Italie, entre autres. Mais il existe également dans les ruines de l'antique Aquincum à Budapest (Hongrie). Dans un cas découvert à l'abbaye de Valvisciolo, également en Italie, les lettres forment cinq anneaux concentriques, chacun divisé en cinq secteurs. Il y a des tas d'exemples en France.

ce qui est amusant, c'est qu'il existe une interprétation chrétienne !

Anagramme formée avec les lettres du Carré Sator, qui correspond aux deux premiers mots en latin de la prière des premiers chrétiens : Pater Noster. L'on peut également lire : Retro Satana (et non Satanas comme il est coutume de croire).

Felix Grosser, en 1926, interpréta le carré comme un signe de reconnaissance utilisé par les premiers chrétiens afin de se reconnaître entre eux sans pour autant se montrer à la vue de tous par crainte de la répression. Grosser faisait la lecture suivante : les lettres de ce carré constituent une anagramme, qui, disposée en croix, donne deux fois : Pater noster, auquel on ajoute deux fois les lettres « A » et « O ». Ces dernières pouvant représenter « l'Alpha et l'Oméga » cité dans l'apocalypse de saint Jean : « Je suis l'Alpha et l'Oméga, le commencement et la fin ». Par ailleurs, TENET forme une image de croix, ce que suggère en plus la forme du T. L'archéologue Amedeo Maiuri en déduisit la présence d'une communauté chrétienne à Pompéi. Cette théorie reposerait sur des anachronismes : les chrétiens du Ier siècle prieraient en grec et les symboles du Tau, de l'alpha et de l'oméga seraient postérieurs à la destruction de Pompéi en 79.

Jérôme Carcopino publie en 1948 un article intitulé Le christianisme secret du carré magique, qui constitue une étude critique du carré et des interprétations connues jusque-là.


L'épigraphiste italienne Margherita Guarducci a indiqué dans ses travaux l'importance en épigraphie paléochrétienne de la lettre T (ou tau) d'une part, et d'autre part des lettres A O et O A (alpha oméga/ oméga alpha). Selon elle, la lettre T, en plus de sa valeur littérale, est souvent utilisée en symbole graphique représentant la croix. En plus, dans le cas du carré Sator, cette lettre T représentant la croix est utilisée quatre fois, aux quatre extrémités d'une croix formée par les mots TENET se croisant. Les 4 croix forment ainsi une grande croix. D'autre part, Marguerite Guarducci a montré qu'à cette époque de coexistence des alphabets latin et grec, les lettres A et O sont souvent utilisées juxtaposées, pour signifier Alpha et Omega, le commencement et la fin, suggérant le seigneur, partageant l'avis de plusieurs de ses confrères. Dans le carré Sator, de part et d'autre de chaque T de la croix, se trouvent tantôt A et O, tantôt O et A ; Marguerite Guarducci formule l'hypothèse que si A O signifie commencement / fin, alors les occurrences O A pourraient signifier fin / commencement, ce qui selon elle symboliserait la résurrection.

L’énigme du roman de Steve Berry intitulé Le dernier secret du Vatican datant de 2019 (en anglais américain The Malta Exchange) tourne autour de ce palindrome, qui revient sans cesse et dont on égrène ici et là quelques explications.



PS (1) : j'ai oublié le principal !

Le palindrome, du grec πάλιν / pálin (« en arrière ») et δρόμος / drómos (« chemin, voie »), aussi appelé palindrome de lettres est une figure de style désignant un mot ou une phrase dont l'ordre des lettres reste le même qu'on les lise de gauche à droite ou de droite à gauche, comme dans la phrase « Ésope reste ici et se repose » ou encore « La mariée ira mal » à un accent près.

Le palindrome est un cas particulier d'anacyclique (lequel est lui-même un cas particulier d'anagramme) comme « suce|écus », pour lequel la signification est la même dans les deux sens de lecture.

 les mots radar, rotor, kayak, été, ici, tôt, rêver, réifier, ressasser, bob… sont des palindromes.

« À révéler mon nom, mon nom relèvera » (Cyrano de Bergerac)

« À l'étape, épate-la ! » (Louise de Vilmorin)

« Élu par cette crapule » (Marcel Duchamp)

« Et la marine va venir à Malte » (Victor Hugo)

« Tu l'as trop écrasé, César, ce Port-Salut » (Victor Hugo)

plus fort, en latin : 

« In girum imus nocte et consumimur igni » ; « Nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes consumés par le feu ». Cette phrase attribuée à Virgile — entièrement In girum imus nocte ecce et consumimur igni —, qui s’applique entre autres aux papillons de nuit, est aussi le titre d’un film de Guy Debord sorti en 1978.

« Sole medere, pede ede, perede melos"

« Soigne-toi par le soleil, mange debout, compose des chants. »


quand j'ai raconté tout ça à Sophie Marceau

à qui les mecs ne parlent que rarement latin

elle a vraiment kiffé