mercredi 29 janvier 2014

La mort d’Emma…


Emma Bovary !

Vous aviez compris que nous séjournions à Rouen. Réflexe immédiat (après les urgences de l’arrivée) visite du Musée des Beaux Arts, tout près à pied. Pour dix Euros (à deux) pas la peine d’attendre le premier dimanche du mois gratuit : en semaine, il y a plus de gardiens que de visiteurs ! Les visiteurs attendent le fameux jour mensuel, d’ailleurs il y a peu de monde à pied dans Rouen : le plus grand nombre circule en périphérie en automobile à la recherche des grandes surfaces ! Les gardiens (surtout féminines) vous scrutent d’un œil farouche, méfiants devant ces rares intrus, sans nul doute à la recherche d’un vol d’une œuvre d’art de petit format (ils ont lu des mésaventures pareilles dans les journaux), notre passage ne passe donc pas inaperçu ! Par extraordinaire, demandant (poliment) à photographier, on me répond positivement (ça alors !) mais surtout pas les impressionnistes, car le reflet du flash constitue pour eux une agression irréversible. D’ailleurs, la lumière naturelle est soigneusement masquée, nous sommes dans la pénombre, et il arrive souvent que l’on ne voie rien du tout, meilleure manière de protéger les œuvres du regard (inquisiteur) du visiteur.
 














Le hasard (est-ce le hasard ?) nous guide vers une salle du premier étage, dans un coin. Je fais les comptes devant vous : 7 février 1857, la deuxième audience devant le Tribunal Correctionnel de Paris du procès intenté à Gustave Flaubert. Nous sommes quasi précisément 156 ans après (je vérifie ma soustraction, c’est bien ça), figurez-vous qu’on y pense toujours !
(enfin nous les rares visiteurs)


Je relis Madame Bovary (sans enthousiasme je le confesse) dans l’édition originale feuilletée il y a soixante ans. Je n’aime guère ces retours dans le passé ! Le procès fait à Flaubert est détaillé en fin du bouquin, presque plus intéressant que le roman lui-même ! Le réquisitoire est dressé par M l’Avocat Impérial Ernest Pinard, qui plaide l’offense non seulement à la morale civile, mais à la morale religieuse ! Les deux mon Colonel ! La morale civile pour adultères répétés, incluant l’émoi caractérisé des sens, circonstance plutôt aggravante assène Monsieur l’Avocat impérial. Et (inconcevable aujourd’hui) contre la morale religieuse. Par exemple, petite (vers 14 ans) Emma prenait un (malin) plaisir à confesser ses fautes de petite fille à l’abbé ! Adulte, elle abusait des sacrements de l’Eglise, par exemple la communion prise dans l’adoration du Christ-Sauveur (quelle exaltation de l’esprit, ça me rappelle l’extase de Sainte-Thérèse, évidemment très suspecte pour une Sainte !). Pire, l’extrême-onction est administrée à Emma sur son lit de mort, et elle en éprouve un soulagement de l’âme, et (pire) de ses souffrances corporelles, soulagement pervers bien suspect pour Monsieur Pinard : Flaubert badinerait-il avec les rites sacrés ? Pire, inciterait-il des jeunes filles, de la campagne qui plus est, à une conduite des plus dépravées ? Il faut interdire ce livre, apologie des vices ! (civils et religieux)



 














Il est vrai que quand on observe aujourd’hui (156 ans après) le comportement de Mesdemoiselles Zaïa et Nabila, force est de constater une dérive des mœurs : il n’existe plus d’offense possible aux mœurs civiles quand l’Empereur répudie son ex à coups de décrets pris en Conseil d’Etat. Quant à la morale religieuse, elle s’est volatilisée, pas encore remplacée par on ne sait quelle morale laïque (qui ne réprouve ni le mensonge d’Etat, ni le meurtre des populations opprimées en Syrie par exemple). De là à dire que c’est la Faute à Flaubert, il y a quand-même une marge !

Maitre Sénard, le défenseur, copain de Flaubert,  répond dans un florilège de démonstrations, cite Lamartine, cite Bossuet lui-même, et fait observer que comme morale, Emma meurt dans d’atroces souffrances. Elle est victime d’une culpabilité bien judéo-chrétienne ; a la conscience absolue de la différence entre le bien et le mal ; et sa chute finale ne risque guère de conduire les jeunes filles à l’imiter. Flaubert est finalement acquitté, ouf pour la littérature !

Je reviens au Musée car il honore un autre artiste : Albert Fourié (1854-1937) l’illustrateur ! Il représente Emma délaçant ses vêtements dans la fureur (luxurieuse) d’un strip-tease destiné à exciter les sens (vous devinez où ils se situent) de Rodolphe (ou bien Léon) ! Rassurez-vous, on ne voit rien du tout, on est bien loin du magazine LUI !
 


La scène finale, c’est la Mort elle-même : nous sommes dans la chambre d’Emma, et Fourié (qui s’y connaît) a ouvert la fenêtre (pour expurger les miasmes). Dans le coin, affalés sur leur chaise, (ils ont veillé toute la nuit), bedonnants, le pharmacien-apothicaire Homais, et le curé Bournisien (pour vous prouver que j’ai relu).  A gauche, debout, appuyé sur le pied du lit, en pleurs, Charles, le mari. Le cocu-(ruiné), qui adorait sa pécheresse de femme. Il n’avait naturellement rien vu, accaparé par sa médecine (en réalité on apprend que moyen à l’école, il n’était pas médecin mais officier de santé (pour vous prouver que j’ai relu).

Derrière le cierge pour tout éclairage (mais quel éclairage) Fourié a représenté Emma, la dépouille d’Emma plutôt, allongée. Le visage recouvert d’un voile est à peine visible. Aux pieds, la fameuse robe de mariée en soie, avec les petits nœuds si bien cousus côte-côte. C’est Charles qui a insisté pour l’habiller ainsi.

Voilà, l’issue fatale d’une dérive des mœurs (de campagne),
dans la petite bourgeoisie, en Normandie, au temps de l’Empereur !

ouf !

On a envie de se changer les idées. La Normandie, on la voit en fleurs, sous le soleil de mai, attablés autour d’une noce, il faut que le cidre coule à flots, ainsi que le beurre, avec beaucoup de crème, et puis un canard (de Rouen), et autres joyeusetés !


Le même Fourié présente au rez-de-chaussée une superbe noce à Yport : c’est gai, l’assemblée me rappelle les repas de famille, et je prends en gros plan mes souvenirs de gosse : de belles carafes en verre, remplies de cidre orangé,

C’est beau, c’est bon

ca pique le palais

il est temps qu’on se fasse une bouffe !





PS : Il y a trop de chefs-d’œuvre ici pour que je ne vous les montre pas :
A la prochaine !