lundi 27 janvier 2014

Fabricant de Jésus Christ



C’était mon grand-père

Il se prénommait Jean, on l’appelait Joseph

Initiales J.N. C’est ainsi qu’il signait. Je m’en souviens, fumant le tabac qu’il cultivait lui-même dans la cave de la maison familiale. Odeur extraordinaire pour le jeune garçon que j’étais, je devais avoir six ans. Cela se passait en pleines Landes, dans la cave séchaient les gémelles de pin odorantes de résine avec lesquelles on boutait le feu dans le poêle, le tout dans une ambiance d’œufs au plat cuits dans la graisse du cochon élevé au fond du jardin, avec les épluchures des légumes du-dit jardin. Le jardin du grand-père. Un cycle du carbone parfait, puisque la fumure se faisait en recyclant le contenu de la fosse…je vous laisse deviner ! Mes souvenirs se passent dans les années 50, rassurez-vous, il y a prescription ! Je lui demandais, -« à quoi penses-tu papé ? » ; Réponse : -« je réfléchis ». C’était un créatif de première, il inventait toutes sortes de trucs, il fabriquait des sièges d’osier. De l’osier qu’il allait chercher au bord des ruisseaux avec son vieux vélo. Des graminées coupantes comme des rasoirs avec lesquelles il tressait des sièges de paille au début verte. Il édifiait dans le jardin des abris pour les pigeons en fausses branches de ciment comme c’était la mode alors des rocailles artificielles. Connu dans le quartier, la maréchaussée tolérait la plantation de quelques pieds de tabac qu’il mettait à sécher avant d’en bourrer sa pipe. Vous comprendrez plus bas pourquoi. Fumée garantie ! Prétexte pour réfléchir. Il souffrait d’une affection dite « surdité mondaine », rarement décrite dans la littérature, suivant laquelle il supportait difficilement la présence d’autrui. Il avait l’art de se défiler au moment des cérémonies familiales, donnant lieu à d’inquiètes recherches quand tout le monde en tenue de Dimanche, on le voyait arriver sur son vélo rempli d’herbes, ayant justement décidé ce jour là de se lancer dans d’indispensables travaux de bricolage.
 


Il y a peu de photos de lui. On le voit en gendarme, en gendarme à cheval s’il vous plait. Fière allure ! Il avait la réputation d’un dresseur de chevaux d’élite, et avait sauvé son Colonel d’une grave chute, en maitrisant sa monture emballée. Le Colonel retourné à la vie civile à Pau était bijoutier, et lui avait offert une médaille d’or, avec une dédicace fameuse dans la famille, de « brave parmi les braves ».

Mobilisé pendant la seconde guerre mondiale, artilleur au 1er régiment, (qui prend part aux opérations de Champagne à Massiges de fin 1917 à juillet 1918. Cité deux fois à l'ordre de l'armée, il a perdu près de 600 hommes), il avait une ferveur particulière pour Sainte-Thérèse dont il portait la médaille sur lui, persuadé qu’elle avait protégé son modeste atelier de la chute des obus allemands.
  





Car son job là-bas était des plus singuliers : « Fabricant de Jésus-Christ ». On le voit sur l’une des rares photographies d’époque, à côté de son tas d’obus, devant son atelier. Sur la tablette du haut, le casque du poilu. A côté, deux scies. Et devant lui, sa production : six crucifix, que la famille conserve jalousement. Ici c’est le modèle dit « à accrocher », avec un bénitier en bas, et toujours une dédicace à son épouse, notre grand-mère Catherine, qui se faisait nommer « Anne », plutôt Anna pour respecter le parler des Landes. C’était une Ducourau, d’où une rare mention au crayon au dos d’un crucifix. Figurez-vous qu’ici, je viens d’en retrouver d’un coup trois exemplaires, je les photographie pour l’Historien qu’est mon frangin.


Au dos d’un d’entre eux, cette mention quasi illisible : « Fait sur le front, forêt de Coucy, 1918 ». Lieu célèbre, à proximité de la fosse conservée de la Grosse Bertha ! Au moins, on a retrouvé où il était !















 





Un autre modèle de crucifix est celui « à poser » : il dispose d’un socle, est plus grand, bois précieux, mêmes dédicaces. Avec ces souvenirs nous conservons pieusement les douilles d’obus de cuivre, travaillés comme on le fait au Maroc, pour les transformer en objets de décoration. Briqués à l’huile de coude, ils brillent comme de l’or. Belle reconversion pour des engins de mort.




J’offre ainsi à la réflexion de tous ceux

intéressés cent ans après par la Grande Guerre

cette méditation de Joseph, mon grand-père paternel

Fabricant de Jésus-Christ

Etonnant non ?
encore un dernier ! il ne figure pas sur la photo du front :
il est de 1917 !










fabricant de cannes aussi !
Oise 1914 au centre,
Vive la France 1918 à droite
à gauche, canne épée avec une baionnette


en 1914, Catherine Ducoureau a 24 ans. Jean N 34 ans