Philippe Dessertine
Je vous ai déjà parlé de la
fascination qu’exerce sur moi le nouveau Leclerc, temple de la consommation
dans notre (petite) capitale du Sud de la Haute-Garonne : la FNAC offre le
même spectacle, mais est au centre de Toulouse, une heure pour s’y rendre. Ici
comme dans la grande Ville, tous les livres y sont, proposés à profusion !
Ce n’est pas comme dans les deux librairies du centre, il parait que l’une d’elles
a déjà baissé le rideau…. Je suis venu
chercher COSMOS de Michel Onfray !
Je le trouve en évidence. Pas loin je suis attiré par Philippe Dessertine, si
souvent présent avec Yves Calvi sur les antennes de C dans l’air. 228 pages !
Alors que Cosmos est un épais bouquin de
563 pages : vais-je pourvoir y arriver ? Le Fantôme de l’Elysée parait plus facile. Je me lance d’un trait
dans la lecture !
J’ai bien fait : c’est une fiction. Elle se passe
une nuit dans le bureau du Président. La nuit du 13 janvier 2014. Valérie dort
assommée par les somnifères à l’Hôpital. Elle n’a pas encore publié son
bouquin. Julie téléphone au Président pour prendre de ses nouvelles. C’est
bien, on partage l’intimité du Président, et de ses fans-femmes. On apprend la
porte secrète inconnue dans son bureau, qui permettait au locataire des lieux
il y a deux cents ans de rejoindre quelques secrètes alcôves. François passe
une nuit blanche à composer son discours, il est en charge de la France, son
rôle est historique. Il est le successeur des Rois qui l’ont précédé. Sa tâche
est immense dans la crise que nous vivons.
Il est Roi lui aussi,
et ne doit pas subir le sort tragique de Louis XVI, auquel étrangement il
ressemble….
La nuit s’annonce longue.
Seul dans son bureau, François
Hollande prépare sa conférence de presse très attendue du lendemain. La rencontre fictive se déroule donc dans
la nuit du 13 à 14 janvier 2014, alors que le président de la République est en
train de rédiger le discours qui annoncera le lancement du Pacte de
responsabilité et le tournant « libéral » de son mandat. On voit poindre
déjà les enjeux de son remaniement du 30 mars, avec la sortie d'Arnaud
Montebourg et l'arrivée au gouvernement d'Emmanuel Macron. En panne
d’inspiration, un bruit le fait sursauter. Quel est l’intrus qui a réussi à
berner la sécurité ?
C’est un vieil homme, qui prétend
être le baron Jacques Necker, banquier suisse et ancien ministre des Finances
de 1777 à 1781 ! On dit « Necre ». L’homme le plus puissant du Royaume après le
roi.
Au fil d’une conversation
surréaliste, François Hollande commence à douter : et si son étrange visiteur
n’était pas fou ? Et s’il disait vrai ?
Plus la nuit avance, plus les
parallèles avec le passé surgissent brutalement : économie dégradée, pression
fiscale trop lourde, dettes incontrôlées, citoyens mécontents…
La Révolution
est-elle pour demain ?
L’Histoire est-elle
condamnée à se répéter ?
Et surtout, le baron
ressuscité peut-il encore sauver la Présidence du naufrage ?
Tout
d'abord, il n'y a pas de baisse des dépenses publiques
Lorsque Philippe Dessertine fait dire
à ses protagonistes (p.126-127) : « (François Hollande) : « J'ai indiqué ma volonté aux
Français qui est celle de réduire… [la dépense publique] Pourquoi ? Pas parce que ce serait un but en
soi. Je suis attaché, plus qu'aucun autre, au maintien du service public, à
notre modèle social. »
et la réplique de Jacques Necker « Il me semblait, Monseigneur, que je
n'entendais pas les choses ainsi. Il me semblait nécessaire d'exprimer pourquoi
vous devez réduire le déficit. ». Oui ! Necker appelle le Président : "Monseigneur", il a été éduqué ainsi !
Le Rapport de la Cour des comptes se
penchant sur les exercices 2014 et 2015 ne dit pas autre chose : Pour 2014, les
sages de la rue Cambon insistent : Pour 2014 « Compte tenu des informations disponibles en
juin, il aurait été souhaitable que le gouvernement révise à la baisse les
prévisions de croissance du PIB, d'inflation et d'élasticité des recettes dès le projet
de loi de finances rectificative déposé à cette date. » Au contraire l'inertie opposée à conduit
à ce que « fin septembre, des mesures supplémentaires de réduction des
crédits [soient] devenues largement inopérantes pour l'exercice en cours ». Car beaucoup trop tardives. Il faut
dire que si les prévisions avaient été révisées à temps à l'été 2014, il aurait
été inévitable d'afficher un déficit public supérieur à celui annoncé et donc
de prendre des mesures susceptibles de renforcer la réduction des crédits
ouverts afin de baisser ce déficit majoré constaté.
Pour 2015 l'appréciation de la Cour
sur les biais de pilotage des finances publiques n'est pas plus tendre.
Les
économies promises ne seront pas au rendez-vous
Philippe Dessertine peint un
président de la République sommé par son interlocuteur helvétique de préciser
sa pensée (p.129) : « Le président poursuit sa rédaction avec une fièvre accrue. [F.H.] « Alors pourquoi faut-il réduire la dépense ?
Parce que c'est le passage obligé pour réduire les déficits. » « Monsieur Necker trouvez-vous
que j'enfonce assez le clou ? »
(…) [J.N] « bouleverser l'État en profondeur suppose une fermeté de caractère
hors de toute norme. Dans un pays comme la France il s'agit ni plus ni moins de
s'attaquer à des siècles de pratiques, à des corps constitués, à des textes
gravés dans le marbre, à des intérêts multiples, éclatés parfois,
contradictoires souvent, mais comprenant toujours que leur seul intérêt est que
rien ne bouge. »
Le Premier président de la Cour des
comptes constate, « Un premier risque pèse sur la réalisation des 21 milliards
d'économies annoncées en avril 2014. Ces économies sont conçues, je le
rappelle, non comme une diminution de la dépense publique mais comme un
effort de ralentissement par rapport à son évolution tendancielle [à la hausse ndlr] (voir p.4) ». Et
fournit dans ses analyses les points de fuite que nous avions nous même
constaté dans notre analyse du budget
2015 : les
conséquences des baisses des dotations des collectivités locales sont d'autant
plus incertaines que « rien ne garantit qu'elles se traduiront par des réductions de même
ampleur des dépenses locales ».
Elles devraient par ailleurs être impactées par la baisse de l'inflation
puisque leur évolution « tendancielle » s'infléchit. C'est
particulièrement vérifié lorsqu'il s'agit de mesures de gel : point de fonction
publique, non revalorisation des retraites de base, sous-indexation des
retraites complémentaires.
En définitive le gouvernement est pris avec
le phénomène de l'inflation trop basse dans un dilemme : Reconnaître des marges d'économies
en valeur, puisque les objectifs budgétés initialement sont surestimés, et
procéder aux annulations de crédits consécutives, mais dans le même temps
constater de moindres économies tendancielles en volume. Puisque la hausse
spontanée anticipée est elle-même moindre que prévu.
Ne pas
se laisser aller à la facilité de la dette
Philippe Dessertine est né à Rouen en octobre aussi, mais en 63 ! |
Encore une fois Didier Migaud dans sa
présentation du rapport annuel de la Cour des comptes ne dit pas autre chose :
« À cet horizon (2017), la dette publique pourrait approcher, voire
dépasser 100% et l'équilibre structurel des comptes publics serait encore repoussé
au-delà de 2019. Attention à ne pas se laisser abuser par le très faible niveau des taux
d'intérêt auxquels l'État se finance actuellement : la dette
supplémentaire que nous continuons d'accumuler va devoir être financée et
refinancée pendant de nombreuses années. Et elle ne le sera vraisemblablement
pas aux taux exceptionnellement bas que nous connaissons aujourd'hui. » Une constatation bien
relayée par le rapport annuel qui relève d'ailleurs que jusqu'à présent « les économies de constatation
sur les charges d'intérêt ont permis ces dernières années de compenser des
dépenses imprévues en cours d'année et facilité le respect des objectifs
d'évolution des dépenses publiques. Le gouvernement s'est donc privé d'une marge de précaution.»
Autrement dit, la charge de la dette devrait être isolée (sortie) de
l'enveloppe zéro volume, qui ne devrait donc comporter que le budget général de
l'État (zéro valeur) et le financement du CAS pension
Conclusion
Se
focaliser sur les rapprochements parfois un peu forcés entre la veille de la
Révolution française et notre situation présente, ne pourrait que faire passer
le lecteur à côté de l'intérêt du livre. L'auteur d'ailleurs n'insiste pas
davantage sur le sujet. Si des ressemblances sont parfois frappantes, elles
sont plutôt confinées à des postures et à l'exégèse d'un tempérament national
de situation. On relèvera toutefois quelques croquis mordants : Turgot le
libéral s'opposant point par point à Calonne le « pré-keynésien », le
personnage de Necker se réservant le beau rôle de la synthèse.
Non,
l'intérêt de l'ouvrage est ailleurs… il est de nous montrer que les
interrogations sur le niveau des prélèvements obligatoires, sur le choix de
l'endettement, la propension court-termiste pour la dépense, sont autant
d'obstacles à une réforme structurelle et en profondeur de la sphère publique.
La libéralisation de la croissance, la lutte contre les corporatismes et le
capitalisme de connivence, les rentes de situations sont également des éléments
puissants du livre, que l'auteur rapproche utilement des guildes, manufactures
et autres fabriques placées opportunément dans la bouche de son ministre des
finances visiteur du soir.
L'ouvrage
se veut avant tout vulgarisateur des grandes thématiques sans véritablement
faire la pédagogie de la réforme. C'est là la limite de l'exercice. Le voile de
la fiction s'arrête devant le refus de proposer des préconisations précises,
dont le pauvre baron, ne peut, bien évidemment dans un siècle où une réalité
institutionnelle et des mécanismes qui ne sont plus les siens, faire qu'à
grands traits les esquisses.
Pour finir laissons le dernier mot au
Premier président de la Cour des comptes Didier Migaud : « Le rééquilibrage durable de nos
finances publiques dépend des choix de politique économique susceptibles de
renforcer le potentiel de croissance de l'économie […] l'ensemble de ces choix
ne s'impose pas au nom d'une contrainte, subie ou importée (…) il s'impose, si
j'ose dire, de l'intérieur si nous voulons préserver notre souveraineté,
c'est-à-dire précisément notre capacité de faire des choix. » Le « Necker » de
Philippe Dessertine ne saurait mieux dire. Encore faut-il que l'ombre portée du
Budget de la France ne soit pas trop déformée : « les politiques de rabot ne peuvent pas tenir
lieu de stratégie de redressement des comptes publics. » tance Didier Migaud ; c'est-à-dire
avant tout en finir une fois pour toutes avec une politique financière faite
d'annonces, d'apparences et d'expédients… bref de communication financière… ce
qu'avait, pour le coup, inauguré Jacques Necker. Certaines constantes ont la
vie dure.
Le
livre de Dessertine ne cesse d’évoquer la fin tragique de Necker : nous
sommes en 1789, et les dérives de la gestion royale précèdent la Révolution…
Quand
un peuple dos au mur se retourne vers les extrêmes comme le montre la situation
actuelle, entre les deux tours des cantonales ; quand la situation financière
des collectivités locales ne laisse augurer qu’une nouvelle hausse des impôts
locaux dès 2015. Si l’embellie due à la
dévaluation de l’Euro et à la baisse du cours du pétrole voyait son terme… si
les taux d’intérêt remontaient…
…la Révolution peut-elle
partir d’un coup …
… quand les impôts
devenus injustes ne seront plus supportables !
Necker très populaire une partie de sa vie, s’est aussi fait de nombreux ennemis : en s’attaquant à la ferme générale, il s’est mis à dos le monde de la finance ; ses assemblées provinciales lui ont aliéné les parlements ; la réduction des dépenses de la Cour, dénoncées avec complaisance dans le Compte-rendu au Roi de janvier 1781, lui a également créé de nombreux et puissants adversaires |