Positivisme religieux : la religion d’Auguste Comte !
Merci les journées du Patrimoine !
France 2 nous propose un reportage amusant : décrypter la devise du Brésil :
ordem e progresso.
C’est à partir des
années 1850 que les intellectuels brésiliens importent la philosophie
positiviste. Avant d’apparaître en 1889
sur leur nouveau drapeau national, cette idée de l’« Ordre et du Progrès » avait d’abord figuré sur une église
érigée en 1881 en l’honneur du positivisme. Sur cette église on lisait la formule complète, dans la langue locale :
« O Amor por principio e a Ordem por base
; o Progresso por fim ».
Et c’est ainsi qu’Auguste Comte inspira le drapeau
brésilien. Et le Temple de l’Humanité… à Paris, on le visite aujourd’hui !
Dans le 3°, au premier étage du n°5, rue Payenne (impossible d'oublier un nom pareil !)
Vous connaissez mon
intérêt pour la Morale ?
le positivisme… a une morale … !
Toute cette histoire commence par
une histoire d’amour, comme d’habitude me direz-vous. Auguste a beau être
rationaliste, il fait comme tous les hommes, il tombe amoureux de Clotilde.
Elle est noble, c’est la sœur aînée des officiers d'artillerie Maximilien Marie
de Ficquelmont, officier de la Légion d'honneur, polytechnicien, célèbre
mathématicien et adepte du positivisme ; et Léonard Marie de Ficquelmont,
chevalier de la Légion d'honneur, polytechnicien et capitaine d'artillerie mort
à la Bataille de Palikao; ils sont les descendants d'une famille de l'ancienne
noblesse lorraine.
Clotilde passe son enfance entre
la résidence de ses parents à l'Hôtel Lamoignon à Paris, le château de sa
tante, la comtesse de la Lance, à Manonville (Lorraine) et la toute proche
Abbaye de Flavigny dont une autre de ses tantes, Alexandrine-Eulalie, est
l'abbesse. Elle y reçoit d'ailleurs sa première instruction avant d'entrer
comme élève à la Maison de la Légion d’honneur. Elle épouse en 1835 un noble
français, Amédée de Vaux. Alors que la famille de Clotilde parvient à lui
obtenir la place de percepteur de Méru, il se révèle un aventurier. Contractant
d’immenses dettes au jeu et condamné à la faillite, Amédée s’enfuit en Belgique
en abandonnant sa femme.
Le Code civil interdisant à
Clotilde de se remarier (le divorce n’ayant pas été prononcé), elle retourne
vivre à Paris, d'abord chez son frère, puis emménage seule rue Payenne
(peut-être au no 7). Son oncle, le comte Charles-Louis de Ficquelmont, premier
ministre de l’Empire d’Autriche, lui verse une pension qui lui permet de se
loger (elle dînait chez son frère). Elle se lance dans une carrière littéraire et écrit
des nouvelles pour les magazines, à l’image de sa propre mère, la comtesse
Henriette Marie de Ficquelmont.
Au mois d’octobre 1844, Clotilde
fait la connaissance d’Auguste Comte au cours d’une visite chez son frère,
Maximilien, dont Comte est le professeur à Polytechnique. La première lettre du
philosophe à Clotilde date du 30 avril 1845 et, dès cette date, Comte tombe passionnément amoureux de la jeune femme. Celle-ci repousse
pourtant ses avances mais accepte qu’ils continuent à correspondre.
Tactique éternelle des femmes qui fait devenir fou (d'amour) le mec amoureux, espérant toujours parvenir à ses fins...!
Tactique éternelle des femmes qui fait devenir fou (d'amour) le mec amoureux, espérant toujours parvenir à ses fins...!
Cette passion s’amplifie jusqu’à
la mort de Clotilde, atteinte de tuberculose, un an plus tard. Comte reconnaît
dans son égérie une supérieure morale, et prend conscience de la dimension
religieuse de la condition humaine. Clotilde de Vaux est en effet une
catholique convaincue et, si Comte voit dans le catholicisme une simple étape
dans l’évolution vers l’Esprit positif (à savoir l’« Esprit métaphysique »), il
se convainc que le culte et les célébrations sont indispensables à
l’épanouissement du positivisme dans la société humaine.
À la mort de Clotilde de Vaux
(1846), Auguste fait ce qu’on nomme aujourd’hui « son travail de deuil ». Porté, comme toujours, à
théoriser les événements qui parsèment son existence, il voit dans les
vicissitudes de sa vie privée des symptômes dont l’interprétation intéresse
toute l’Humanité. Il cherche à réorganiser son système philosophique antérieur,
le positivisme scientifique.
Nous y voilà !
Il développe ainsi une religion naturelle,
afin de définir ce qu’il regarde comme une morale pour la vie en société : l’amour
de l’autre serait vécu d’abord à travers l’union des sexes, expression de
générosité et de désintéressement, susceptible de s’étendre à des groupes humains
plus larges que le couple.
Dans le Système de politique positive (1851-1854), Auguste Comte expose ses idées sur la « religion de l'humanité », qui s'appuie sur trois notions :
-l’altruisme, terme qu'il a créé, qui renvoie au sentiment de
générosité et au dévouement désintéressé pour autrui.
-l’ordre : Comte considérait en effet qu’après la Révolution
française, il était nécessaire de rétablir l'ordre dans la société.
-le progrès : chez Comte, cette notion s’entend (à la suite du comte
de Saint-Simon) comme les conséquences pour la société humaine du développement
de la technique et de l’industrie.
les grands Hommes et femmes de l'Humanité : un Panthéon avant l'heure |
Comte établit aussi une
classification des sentiments, un calendrier liturgique (la Sainte Clotilde
chaque 6 avril et, tous les quatre ans, un jour bissextile, la Journée des
saintes femmes). L’Humanité, objet du culte, est figurée sur les autels avec le
visage de Clotilde de Vaux. Dans le Catéchisme positiviste (1851), Comte
formalise sa religion en définissant sept sacrements :
-la Présentation (nomination et parrainage)
-l’Admission (la fin de l’éducation)
-la Destination (le choix d'une carrière)
-le Mariage,
-la Retraite (à 63 ans !),
-la Séparation, faisant l’office d’une extrême-onction sociale,
-l’Incorporation, trois ans après la mort.
L’Incorporation est l'union avec les morts, censés gouverner
le monde, dans la doctrine d’Auguste Comte, d'où l'expression employée par
Raquel Capurro de culte des morts.
Le « positivisme religieux »
proprement dit a pratiquement disparu aujourd’hui en tant que culte. Il
subsiste néanmoins une chapelle, le Temple de l'Humanité, c'est le seul temple de ce
mouvement encore existant en Europe, il est classé monument historique. Vous aurez le droit d'y entrer aujourd'hui et demain. Après...j'ignore !
Parisiens, mes amis…
Vous avez de la chance :
Po-si-ti-vez !