Une fois de plus, la guerre fait ses ravages en Syrie... quel privilège de vivre en paix, quand on sait les populations civiles un peu partout jetées sur les routes, ou les SDF, les nôtres cette fois-ci, vivre dehors à Paris sous le froid annoncé !
Je re-découvre grâce à Arte le tableau de Rubens « les horreurs de la guerre », qui est accroché dans le salon de Mars de la galerie Palatine (du palais Pitti à Florence). Une belle occasion d’y faire un tour !
Pierre Paul Rubens né le 28 juin
1577 à Siegen et mort le 30 mai 1640 à
Anvers, peint en 1637 cette oeuvre énorme : 206 x 345 cm. Je la trouve très
actuelle, et nous sommes pourtant 380 ans plus tard !
Ce tableau est une allégorie de
la guerre de Trente ans qui a détruit notamment la Flandre. Les trente ans c’est
1618-1648. Une guerre civile européenne presque mondiale, marquée par l’affrontement
entre catholiques et protestants. Terminée par la paix de Westphalie, et la
mise en place du « jus publicum europæum » (le «droit public
européen») : un système nouveau et stable de relations internationales, fondé
sur un équilibre entre des États chacun titulaire de la souveraineté. Les
guerres sont désormais conçues comme des conflits sécularisés d’État souverain
à État souverain.
Sacré progrès....bref !
Rubens connaissait sa
mythologie sur le bout des doigts, et tout procède par allusions :
Tout le monde sait que Vénus est
l’amour. On sait moins qu’elle était la maîtresse de Mars, son époux Vulcain qu’elle
trompe donc effrontément avec le Dieu de la guerre (étant retenu par ses
activités de forgeron dans sa forge alimentée par un volcan).
paradoxalement, ceci est une copie taille moitié de Bianchini, mais elle est plus détaillée que le vrai ci-dessous |
Point de fadaises amoureuses
cette fois-ci, Vénus cherche à retenir Mars en le serrant (amoureusement) de son bras gauche. Mars en armure, lui jette un regard désolé, la bouscule et fonce dans le tas. Son épée dégouline de sang, et (ce que
l’on voit mal à l’écran malheureusement) il foule aux pieds l'esquisse des trois Grâces
pourtant peintes par le dit Rubens. Et piétine des livres, préfigurant les
holocaustes ultérieurs de la seconde guerre mondiale. Mars furieux a perdu le sens commun : il ne raisonne plus, il casse tout.
Astuce : derrière à gauche le temple de Janus
(en italien, Tempio di Giano) est un temple romain de l'Antiquité autrefois
situé à Rome, au pied de l'Argiletum, près du Forum Romain. Il s'agit du plus
ancien temple dédié au dieu Janus qui régnait selon la tradition romaine avec
Saturne sur le Latium.
même observation, c'est pour vous montrer le compas de l'architecte à droite |
Le temple était composé en son
centre d'une statue représentant Janus, le dieu aux deux visages donc «bifrons». Soit il regarde devant et derrière à la fois. Soit il sait l'avenir et le passé. Mieux, il connait la face extérieure des choses et autant la face cachée intérieure ! C'était un sanctuaire important dans la vie religieuse quotidienne à Rome :
d'abord en bois, il fut remplacé sous l'empereur Auguste par du bronze. On
connait également sa description telle qu'elle était émise dans l'Antiquité,
notamment sa forme rectangulaire, grâce au sesterce frappé sous le règne de
Néron qui le représentait sur une des faces.
Les portes du temple de Janus
avaient la particularité d'être fermées en temps de paix, et ouvertes en temps
de guerre, à la différence du reste des autres temples religieux. Cette
procédure avait pour fonction religieuse de libérer les pouvoirs de la divinité
dès le début de la guerre pour porter chance aux combattants romains, et
d'abriter le dieu en temps de paix pour qu'il veille sur Rome et repousse les
étrangers indésirables. Tant que Janus était hors du lieu de culte, on y
organisait des sacrifices et des oracles.
Voilà pourquoi Rubens
a ouvert les portes !
On découvre derrière Mars Alecto,
qui brandissant sa torche, (elle met le feu) le tire en avant pour l’exciter davantage (s’il en
était besoin). On a oublié Alecto. C’est une Erynie, ce qui ne correspond plus
à grand-chose je vous l’accorde. Allez, ce sont des divinités persécutrices
grecques. Vous allez vous souvenir quand je vous dirai que c’est la même chose
que les Furies romaines. Elles sont trois, Tisiphone (oubliée) et Mégère (voilà
d’où vient le mot !). On devrait réhabiliter les Furies : on a l'impression qu'elles sont souvent à l'oeuvre ... en Syrie, et en tellement d'endroits de la planète !
En haut à droite, la peste et la
famine sont personnifiées par des monstres. En bas, la femme au luth brisé
signifie l’impossibilité de toute harmonie. J'imagine que ce n'est pas n'importe quelle femme, mais l'une des Muses. Celle qui joue du luth est Melpomène. Réputée pour la douceur de sa voix. Complètement à droite, en bas, un
architecte est renversé, son compas à la main. C'est grave si l'on a perdu la géométrie ! Mars piétine les livres. Il détruit les monuments édifiés par les hommes, et ne laisse que ruines derrière lui.
Rien ne
va plus !
La femme en deuil, à gauche est
Europe déchirée par la guerre. Encore une astuce ! Son attribut, le globe
transparent surmonté d’une croix, symbole de la chrétienté, est porté par un
enfant derrière elle. Je vous ai dit que c'est la bagarre entre
catholiques et protestants. Là où notre Rubens est génial, est qu’il ne pouvait
pas imaginer le transfert de cet affrontement de nos jours entre toutes les religions et nos "amis islamistes-radicaux" (il est prudent d’affirmer que ce sont nos amis sinon on passe pour
sectaire).
voilà l'enlèvement d'Europe par Rubens, les Cupidon volent en groupe, alors que dans le tableau les horreurs de la guerre, l'arc et les flèches sont au sol, comme l'un des deux angelots. |
Que dire encore, s’agissant par exemple des putti, ces anges rondouillards qui d’habitude mettent de l’huile dans les rouages s’agissant des relations entre les personnages ? Celui du haut, qui vole grâce à ses ailes et est d'habitude Cupidon, veille sur Vénus, (sa mère) s’inquiétant que dans l’agitation, elle prenne un mauvais coup, voyez le bazar si Mars donnait une beigne (bien involontaire) à Vénus ? Les deux d’en bas font la même chose, sauf que l'un d'eux est privé de moyens aériens. Tout nus : ils risquent soit de prendre froid, soit eux aussi de prendre un mauvais coup (colatéral) : la guerre fait toujours des dégâts terribles dans les populations civiles, qui pourtant n’ont rien fait.
Le message de Rubens est que, même l’amour ne peut prévenir la brutalité de la
guerre, et retenir l’Europe de plonger dans le deuil et
détruire sa prospérité.
On a pris l’habitude de considérer Rubens comme un génie.
Quand on décortique son œuvre, on est frappé par son talent de peintre
magistral. Mais le scénario (si je puis dire) est d’une richesse inouïe, et il
faut plusieurs consultations de wikipédia pour en venir à bout !
Pour la route, j'ai glané deux nouvelles "morts de Cléopâtre"
Il eût été surprenant qu'il ait omis de peindre ce moment
j'aurais aimé vous montrer davantage du plafond du salon de Mars
mais vous avez déjà une idée
sauf de passer vos prochaines vacances à Florence
il y a pire !