mercredi 30 janvier 2013

Was up with Pythagoras


Ou : comment ma petite-fille apprend les maths en anglais !

Il faut dire qu’elle a seize ans, déjà excellente en anglais : c’est une citoyenne d’Europe, et elle tient de son père. On la dirait plutôt littéraire. Etant une fille, on pourrait en déduire qu’elle n’aime pas les maths. Qu’elle n’a rien à faire en S…. ?

Or, elle aime…les maths… en anglais !


L’Education Nationale est pleine d’idées reçues…. !  On n’y imagine pas que les ados puissent s’adonner à l’auto-apprentissage : apprendre l’anglais sur internet ; pas plus que les maths, encore moins les maths enseignées en anglais par une anglaise !….car alors cela changerait complètement le rôle du prof : il encadrerait les élèves dans cet auto-apprentissage, au lieu de réclamer toujours plus de collègues dispensant des cours ex cathedra pour le remplacer physiquement en cas de maladie ;  toujours plus de (lourds à transporter) bouquins traditionnels ; toujours plus d’anglais écrit ; toujours plus de papier alors que la Société en est à la dématérialisation des procédures ! Il ferait la promotion d’un prof susceptible d’être de langue différente, un prof’ anglais pour enseigner l’anglais par exemple, vous me direz que c’est inimaginable ? Faux : on en trouve pleins gratuits sur internet (des profs) : on les voit et on les entend tant qu’on veut : plus besoin (à la limite) de se rendre physiquement au Lycée, sauf périodiquement pour se faire remettre à jour : j’entends Bill Gates prononcer à la tribune : «l’enseignement dopé par internet : c’est une révolution » ! (il ne dirait pas ça : il s’exprimerait en anglais) !

A l’heure actuelle, jamais la prof d’Anglais imaginerait enseigner les maths en classe ! J’imagine qu’elle a du être de son temps classée comme littéraire : surtout si elle est, disons, passable en maths, ce qu’on ne lui reproche pas, pourquoi introduirait-elle cette matière dans son enseignement ?

D’autant qu’il existe un prof’ de maths. On pourrait à la rigueur imaginer qu’il enseigne la physique. Mais personne ne penserait à lui suggérer d’enseigner l’anglais en plus. Ce n’est pas sa discipline : la sienne est prestigieuse,  et on ne lui demande rien d’autre. C’est déjà suffisamment difficile comme cela d’expliquer les maths (aux filles) en Français !

J’espère qu’à titre personnel le prof de math se débrouille assez en anglais pour se rendre à Londres, ou bien plus simplement encore sur internet. J’espère aussi que la prof’ d’anglais est quelque chose comme Bac+3, ou 4, même 5, donc a fait assez de maths pour faire ses comptes, discuter des taux d’intérêts à sa Banque, voire lire un plan quand elle achète une maison.

Mais la synthèse, la transversalité, c’est mon ado qui l’a inventée, qui la pratique, et qui en tire le double plaisir personnel d’être quasi bilingue, mais pas seulement pour lire Shakespeare (c’est vrai), mais pour suivre les cours d’une délicieuse Miss qui sait expliquer les maths sur youtube. Je vous mets le lien ci-dessous.


Je ne puis m’empêcher de faire un aparté (selon ma mauvaise habitude). Je pense à Michel Serres en ce moment. Un des rares philosophes contemporains à proposer une vision du monde qui associe les sciences et la culture. Auteur de nombreux essais philosophiques et d’histoire des sciences, dont le dernier, Petite Poucette (éditions le Pommier), qui fait couler beaucoup d’encre… chez ceux qui s’intéressent à l’avenir de notre Société.


Nos ados sont très habiles avec leurs pouces pour écrire des textos : d’où le titre ! Ils vivent tout naturellement avec les nouvelles technologies, mieux, ils vivent dedans. Michel Serres constate déjà une différence de vision entre cette génération et la précédente. Une différence  telle qu’à son avis, cela va changer la face du monde. « Il peut naître une nouvelle démocratie de cette mutation. Les voies du virtuel sont ouvertes. » Il serait temps qu’on en prenne conscience !

Michel Serres poursuit : «  J’enseigne depuis maintenant un demi-siècle et mon expérience d’enseignant m’a montré la victoire des femmes. Elles sont plus travailleuses. Elles ont plus à montrer, prouver, dans une société qui n’est pas pour elles. Du coup, elles travaillent mieux, sont plus appliquées. Voilà pourquoi, j’ai mis « Poucet » au féminin. Je suis féministe, du point de vue de la lutte des sexes. Elles prennent une place extraordinaire ». Ma petite fille s’annonce comme partie active de ce mouvement !

À rebours d’une idée reçue, selon laquelle les jeunes sont illettrés et qu’Internet nous tire vers le bas, Michel Serres explique qu’au contraire, nous n’avons jamais autant vécu avec les mots, l’écrit, les messages publicitaires ou politiques et que le savoir est enfin à la portée de toutes les mains…

Michel Serres reste pour le moment l’un des rares, avec Joël de Rosney, à avoir cette conscience, d’un « homme augmenté », par la « prothèse symbiotique » que constitue son ipad, ou son ordi.

L’homme (la femme), (mon ado),  devient numérique !

Je sais, je sais que j’ai du mal à vous convaincre, à vous faire comprendre. Pour vous donner une idée plus pragmatique de ce qui se passe, il faut rendre visite à : http://www.youtube.com/watch?v=X1E7I7_r3Cw
Publiée le 12 juin 2012, cette video a comme sous-titre : Pythagoras had a problem with beans and irrationality. What really happened? I don't know! The square root of two is irrational, and beans are delicious. Avec sa voix délicieuse, et avec un débit volontairement dissuasif pour les nuls en anglais, voilà que  Vi Hart (I'm a professional mathemusician at Khan Academy http://www.khanacademy.org ) nous raconte l’histoire des chiffres romains. Le problème des décimales ; l’arrivée tardive du zéro ; et l’astuce des architectes antiques qui résolvaient par la géométrie des problèmes compliqués, comme le théorème de Pythagoras (j’adore comment elle prononce Pythagore en anglais !).

Sur une feuille de papier, vous dessinez un triangle rectangle. En partant de chaque côté, vous dessinez un carré. Découpez les deux carrés construits à partir des deux angles droits, et appliquez les sur celui créé à partir de la diagonale, vous allez voir qu’ils s’ajoutent parfaitement : a2+b2=c2 ! Comme quoi on s’exprime plus facilement avec un dessin qu’avec des mots !

Nous appartenons désormais à une nouvelle Société numérique. Il est rare qu’on en parle dans les médias, et qu’ils nous expliquement l’immense chance de renouveau que cela représente.

Dans une stratégie pour demain, il y a là un potentiel formidable !

Nos enfants ; nos petits-enfants, sont en train  d’en ouvrir les voies nouvelles :

Ils n’ont pas peur, eux !


On se reportera aussi aux sites :

J’ai extrait cet avertissement de Michel Serres de la séance du 1er mars 2011 à l’Institut de France : « …..Face à ces mutations, sans doute convient-il d’inventer d’inimaginables nouveautés, hors les cadres désuets qui formatent encore nos conduites et nos projets. Nos institutions luisent d’un éclat qui ressemble, aujourd’hui, à celui des constellations dont l’astrophysique nous apprit jadis qu’elles étaient mortes déjà depuis longtemps.

Pourquoi ces nouveautés ne sont-elles point advenues ? J’en accuse les philosophes, dont je suis, gens qui ont pour métier d’anticiper le savoir et les pratiques à venir, et qui ont, comme moi, ce me semble, failli à leur tâche. Engagés dans la politique au jour le jour, ils ne virent pas venir le contemporain. Si j’avais eu, en effet, à croquer le portrait des adultes, dont je suis, il eût été moins flatteur.

Je voudrais avoir dix-huit ans, l’âge de Petite Poucette et de Petit Poucet, puisque tout est à refaire, non, puisque tout est à faire…. ».