"Au temps d'harmonie" est un
tableau du peintre Paul Signac réalisé en 1895 à Saint-Tropez. On ne peut plus "made in France", salon ouvert en ce moment porte de Versailles dix ans après la déclaration d'Arnaud Montebourg ! Cette
huile sur toile pointilliste, énorme avec ses 312 x 400 cm, représente un bord de mer où de nombreux
personnages se livrent à différentes activités relevant
essentiellement du loisir, parmi lesquelles la cueillette, la pétanque, la
lecture, la danse ou la peinture. Exposée au Salon des indépendants de 1895,
elle l'est désormais dans l'escalier d'honneur de l'hôtel de ville de
Montreuil, en Seine-Saint-Denis. La voici rénovée.
dans l'escalier, à la sortie de la grande salle du Conseil |
Le titre de l'œuvre était
originellement "Au temps d'anarchie". Il a été changé par l'auteur, transformant l'anarchie en harmonie, soucieux de la véritable interprétation de ce qu'est éthymologiquement ... l'anarchie ! Mais la
peinture conserve un sous-titre utopiste à défaut d'être ouvertement anarchiste
: « L'âge d'or n'est pas dans le passé, il est dans l'avenir ».
je me dis de facto, que l'avenir de 1895, c'est maintenant, en 2022
il aura fallu 127 ans mais c'est accompli !
(non ?)
S’inspirant du paysage de Saint-Tropez, où il vit bien avant Brigitte Bardot, le peintre pointilliste décrit le bonheur éternel d’une humanité réconciliée.
à la barre d'Olympia, par Théo de Rysselberghe |
la Hune 1903 |
Il faut dire qu'en 1892, le peintre Paul Signac
débarque à bord de son voilier, l’Olympia, à Saint-Tropez. Ébloui par les
façades colorées des maisons de pêcheurs et la luminosité du ciel, il écrit à
sa mère : « C’est le bonheur que je viens de découvrir. » Il achète une villa,
La Hune, (nous sommes en plein vocabulaire nautique), où il va accueillir ses amis artistes, déjà célèbres ou destinés à le
devenir, tels Henri Matisse et Maurice Denis. Il consacre à la commune de
Saint-Tropez pas moins de 36 tableaux, dont cette toile monumentale de quatre
mètres sur trois. Il peint les plages, les bateaux, les scintillements de l’eau
dans le port… mais il met aussi en scène ses idées.
l'orage |
on écrit aussi "la Terrazza" |
Paul Signac est donc anarchiste, et cette œuvre se veut une ode à la fraternité et à l’amour libre. En cette fin du XIXe siècle, les idéaux communistes et libertaires se répandent en Europe, promettant au genre humain le bonheur et l’égalité. Le peintre participe à ce vaste mouvement. Et, libérant sur ses toiles les couleurs et les lignes, il annonce également l’avènement de l’art moderne et de l’abstraction.
j'en reviens à la toile de Montreuil
Où sommes-nous ? Justement : sur les hauteurs
de Saint-Tropez, face à la plage des Graniers. Et ce paysage idéalisé
représente aussi le paradis terrestre. S’inspirant de l’artiste symboliste
Pierre Puvis de Chavannes, Signac revisite le mythe de l’âge d’or, cet éternel
printemps qui suivit, selon les croyances antiques, la création du monde. Pour
le peintre, l’âge d’or n’est pas perdu dans un lointain passé : il nous attend
dans l’avenir – d’où les vêtements et les activités modernes de ses
personnages.
Que fait donc là ce coq ?
Il chante la naissance d’un monde
nouveau – c’est notre symbole révolutionnaire. Derrière la banale scène de plein
air se dessine une utopie politique, comme l’indique le titre original du
tableau, « Au temps d’anarchie ». Voyez la manière dont une société idéale est
résumée en quelques gestes, sous nos yeux. On s’y baigne, on s’y cultive en
lisant ou en peignant, on y joue. Et derrière un couple qui s’aime, un
cultivateur sème…aujourd'hui, c'est la "souveraineté alimentaire" (1)
Qui est cet homme cueillant une figue ?
Le jardinier de Signac – il a également posé pour l’homme en
train de lire et l’un des boulistes. Ici, son regard levé vers le ciel illustre
l’aspiration à l’idéal. Les autres protagonistes figurent eux aussi des valeurs
fondamentales. Allongée, l’épouse du peintre, Berthe, donne la figue à leur
enfant nu, symbole d’une ère nouvelle. Quant au bouliste penché en avant, son
corps tendu et ses yeux rivés sur l’objectif incarnent sa foi en l’avenir.
sous l'immense parasol du pin Bezrtaud, une ronde heureuse, pendant que si les agriculteurs bossent, ils sont soutenus par la mécanisation dont la locomobile à vapeur |
Pour quelle raison le tableau est-il parsemé de minuscules points jaunes ?
Ces points figurent la lumière du
soleil. À distance normale du tableau, on ne les distingue pas. Mais si l’on
regarde de plus près, on voit que la surface de l’eau, par exemple, en est
constellée. C’est ce que l’on appelle le pointillisme, une technique mise au
point par Georges Seurat et Paul Signac en 1886. Les pointillistes apposent
côte-à-côte sur la toile de petits points de couleurs pures, tels des pixels.
Et la rétine du spectateur opère, à distance, le mélange de ces tons. Résultat
: sous le travail de l’œil, les paysages semblent vibrer, comme sous un soleil
intense.
Pourquoi le tronc d’arbre et les vêtements ont-ils une
teinte pourpre ?
C’est l’ombre qui les colore
ainsi. Dans la peinture de Signac, le noir est absent. Des variations de
couleurs traduisent le passage de l’ombre à la lumière. Ici l’artiste utilise
les couleurs primaires (rouge, bleu, jaune) associées à leurs complémentaires
(vert, orange, violet) en faisant varier leur intensité. Notez comme à
l’arrière-plan les couleurs perdent leur force. Elles semblent étouffées par la
chaleur de l’été. Le ciel devient transparent, le paysage évanescent.
En 1840, Pierre-Joseph Proudhon
est le premier à se réclamer anarchiste, c'est-à-dire partisan de l’anarchie,
entendu en son sens positif. À l'origine, ne faisant que se réapproprier
l'insulte qui était proférée à l'égard des républicains de son époque : « La
liberté est anarchie, parce qu'elle n'admet pas le gouvernement de la volonté,
mais seulement l'autorité de la loi, c'est-à-dire de la nécessité ».
s'agissant de Proudhon, on peut lire ces lignes aujourd'hui ...scandaleuses, qui font penser à l'action de Vladimir Poutine en Ukraine :
... « L'Éternel est un guerrier », lit-on dans la Bible. «
L'homme est avant tout un animal guerrier », réplique Proudhon. Le pillage des
territoires conquis, le viol des femmes et l'asservissement des populations
vaincues, sont, dans la logique guerrière, les tributs normaux que les vaincus
doivent aux vainqueurs. C'est ainsi que l'humanité reconnaît leur gloire. La
reconnaissance du droit de la force fait le prestige de la guerre. C'est
également ce qui permet le développement des peuples. L'enlèvement et le viol
des Sabines leur a permis d'accéder au statut de matrones romaines. La
colonisation et l'esclavage élèveront les peuples sous-développés à la
civilisation....
comme quoi un grand et bien vieux tableau accroché en maire de Montreuil
peut faire réfléchir à la situation actuelle :
avons nous vraiment atteint le stade de... l'harmonie ?