jeudi 10 novembre 2022

Paul Signac, "au temps d'harmonie" : y sommes-nous ? (1)

"Au temps d'harmonie" est un tableau du peintre Paul Signac réalisé en 1895 à Saint-Tropez. On ne peut plus "made in France", salon ouvert en ce moment porte de Versailles dix ans après la déclaration d'Arnaud Montebourg ! Cette huile sur toile pointilliste, énorme avec ses 312 x 400 cm,  représente un bord de mer où de nombreux personnages se livrent à différentes activités relevant essentiellement du loisir, parmi lesquelles la cueillette, la pétanque, la lecture, la danse ou la peinture. Exposée au Salon des indépendants de 1895, elle l'est désormais dans l'escalier d'honneur de l'hôtel de ville de Montreuil, en Seine-Saint-Denis. La voici rénovée.


dans l'escalier, à la sortie de la grande salle du Conseil


Le titre de l'œuvre était originellement "Au temps d'anarchie". Il a été changé par l'auteur, transformant l'anarchie en harmonie, soucieux de la véritable interprétation de ce qu'est éthymologiquement ... l'anarchie ! Mais la peinture conserve un sous-titre utopiste à défaut d'être ouvertement anarchiste : « L'âge d'or n'est pas dans le passé, il est dans l'avenir ».

je me dis de facto, que l'avenir de 1895, c'est maintenant, en 2022

il aura fallu 127 ans mais c'est accompli ! 

(non ?)

S’inspirant du paysage de Saint-Tropez, où il vit bien avant Brigitte Bardot, le peintre pointilliste décrit le bonheur éternel d’une humanité réconciliée. 


à la barre d'Olympia, par Théo de Rysselberghe 


la Hune 1903

Il faut dire qu'en 1892, le peintre Paul Signac débarque à bord de son voilier, l’Olympia, à Saint-Tropez. Ébloui par les façades colorées des maisons de pêcheurs et la luminosité du ciel, il écrit à sa mère : « C’est le bonheur que je viens de découvrir. » Il achète une villa, La Hune, (nous sommes en plein vocabulaire nautique), où il va accueillir ses amis artistes, déjà célèbres ou destinés à le devenir, tels Henri Matisse et Maurice Denis. Il consacre à la commune de Saint-Tropez pas moins de 36 tableaux, dont cette toile monumentale de quatre mètres sur trois. Il peint les plages, les bateaux, les scintillements de l’eau dans le port… mais il met aussi en scène ses idées.






l'orage



on écrit aussi "la Terrazza"


le vieux et immense pin Bertaud est peint sous tous les angles



Paul Signac est donc anarchiste, et cette œuvre se veut une ode à la fraternité et à l’amour libre. En cette fin du XIXe siècle, les idéaux communistes et libertaires se répandent en Europe, promettant au genre humain le bonheur et l’égalité. Le peintre participe à ce vaste mouvement. Et, libérant sur ses toiles les couleurs et les lignes, il annonce également l’avènement de l’art moderne et de l’abstraction.

j'en reviens à la toile de Montreuil

Où sommes-nous ? Justement : sur les hauteurs de Saint-Tropez, face à la plage des Graniers. Et ce paysage idéalisé représente aussi le paradis terrestre. S’inspirant de l’artiste symboliste Pierre Puvis de Chavannes, Signac revisite le mythe de l’âge d’or, cet éternel printemps qui suivit, selon les croyances antiques, la création du monde. Pour le peintre, l’âge d’or n’est pas perdu dans un lointain passé : il nous attend dans l’avenir – d’où les vêtements et les activités modernes de ses personnages.

Que fait donc là ce coq ?

Il chante la naissance d’un monde nouveau – c’est notre symbole révolutionnaire. Derrière la banale scène de plein air se dessine une utopie politique, comme l’indique le titre original du tableau, « Au temps d’anarchie ». Voyez la manière dont une société idéale est résumée en quelques gestes, sous nos yeux. On s’y baigne, on s’y cultive en lisant ou en peignant, on y joue. Et derrière un couple qui s’aime, un cultivateur sème…aujourd'hui, c'est la "souveraineté alimentaire" (1)

Qui est cet homme cueillant une figue ?

Le jardinier de Signac – il a également posé pour l’homme en train de lire et l’un des boulistes. Ici, son regard levé vers le ciel illustre l’aspiration à l’idéal. Les autres protagonistes figurent eux aussi des valeurs fondamentales. Allongée, l’épouse du peintre, Berthe, donne la figue à leur enfant nu, symbole d’une ère nouvelle. Quant au bouliste penché en avant, son corps tendu et ses yeux rivés sur l’objectif incarnent sa foi en l’avenir.

sous l'immense parasol du pin Bezrtaud, une ronde heureuse, pendant que si les agriculteurs bossent, ils sont soutenus par la mécanisation dont la locomobile à vapeur

Pour quelle raison le tableau est-il parsemé de minuscules points jaunes ?

Ces points figurent la lumière du soleil. À distance normale du tableau, on ne les distingue pas. Mais si l’on regarde de plus près, on voit que la surface de l’eau, par exemple, en est constellée. C’est ce que l’on appelle le pointillisme, une technique mise au point par Georges Seurat et Paul Signac en 1886. Les pointillistes apposent côte-à-côte sur la toile de petits points de couleurs pures, tels des pixels. Et la rétine du spectateur opère, à distance, le mélange de ces tons. Résultat : sous le travail de l’œil, les paysages semblent vibrer, comme sous un soleil intense.

Pourquoi le tronc d’arbre et les vêtements ont-ils une teinte pourpre ?

C’est l’ombre qui les colore ainsi. Dans la peinture de Signac, le noir est absent. Des variations de couleurs traduisent le passage de l’ombre à la lumière. Ici l’artiste utilise les couleurs primaires (rouge, bleu, jaune) associées à leurs complémentaires (vert, orange, violet) en faisant varier leur intensité. Notez comme à l’arrière-plan les couleurs perdent leur force. Elles semblent étouffées par la chaleur de l’été. Le ciel devient transparent, le paysage évanescent.

 cent vingt sept ans plus tard, le Progrès a fait son office ...

... deux guerres mondiales aussi ! 

comme IL le disait récemment, l'Abondance a accompagné les trente glorieuses

et 75 ans de paix ont accompagné l'essor du nucléaire

il parait donc légitime de parvenir au temps de l'harmonie

de prôner l'individualisme, le développement personnel

et un décent revenu universel pour tous

.../...

et si c'était tout cela, l'utopie de notre époque ?

(à suivre)


ah oui !

le pin de Bertaud est mort en 1924




En 1840, Pierre-Joseph Proudhon est le premier à se réclamer anarchiste, c'est-à-dire partisan de l’anarchie, entendu en son sens positif. À l'origine, ne faisant que se réapproprier l'insulte qui était proférée à l'égard des républicains de son époque : « La liberté est anarchie, parce qu'elle n'admet pas le gouvernement de la volonté, mais seulement l'autorité de la loi, c'est-à-dire de la nécessité ».

       s'agissant de Proudhon, on peut lire ces lignes aujourd'hui ...scandaleuses, qui font penser à l'action de Vladimir Poutine en Ukraine :

... « L'Éternel est un guerrier », lit-on dans la Bible. « L'homme est avant tout un animal guerrier », réplique Proudhon. Le pillage des territoires conquis, le viol des femmes et l'asservissement des populations vaincues, sont, dans la logique guerrière, les tributs normaux que les vaincus doivent aux vainqueurs. C'est ainsi que l'humanité reconnaît leur gloire. La reconnaissance du droit de la force fait le prestige de la guerre. C'est également ce qui permet le développement des peuples. L'enlèvement et le viol des Sabines leur a permis d'accéder au statut de matrones romaines. La colonisation et l'esclavage élèveront les peuples sous-développés à la civilisation....

comme quoi un grand et bien vieux tableau accroché en maire de Montreuil 

peut faire réfléchir à la situation actuelle : 

avons nous vraiment atteint le stade de... l'harmonie ?