...par Ingres !
Ce matin 1er février, on dirait que le temps s'arrange : Vénus dont je vous ai parlé brille davantage dans la nuit. Par contre, de nouvelles révélations sur Pénélope laissent augurer de funestes conséquences pour Ulysse, on dirait qu'Athéna l'a laissé tomber, et que le temps (pour lui) se couvre ?
Je n'ai donc, pour le moment, plus d'autre issue que me rapporter à des Héros incontestables, et -oubliant pour un moment Ulysse moi aussi-, je vais me référer à l'auteur de l'Odyssée : Homère. Ingres autrefois l'a déifié. Personne, ni aucun Canard, n'a pour le moment contesté sa suprématie...dans la littérature bien entendu !
Puisque je fais dans le Grec, autant approfondir : se rendre au Louvre, et regarder de près l'Apothéose d'Homère ou Homère déifié, par Jean-Auguste-Dominique Ingres, 1827. C'est une très grande Huile sur toile de 3,86 cm x 5,12 cm. A l'origine, elle était destinée à un plafond. Heureusement, on peut la voir debout sans se tordre le cou !
Fortement inspirée du Parnasse de Raphaël, cette peinture, figure Homère divinisé recevant
l'hommage des grands hommes de l'Antiquité et des artistes des Temps modernes. Modernes de 1827 bien entendu. Aujourd'hui, beaucoup les ont oubliés. À ses pieds, deux allégories figurent l'Iliade et l'Odyssée. L'Odyssée fait la gueule, drôle de coïncidence !
A partir de 1826, l'architecte Fontaine aménagea au premier
étage de l'aile sud de la Cour carrée neuf salles qui furent inaugurées en 1827
par Charles X. Pour orner ces salles, destinées aux collections égyptiennes,
grecques et romaines, médiévales et Renaissances, des plafonds furent commandés
aux meilleurs artistes de l'époque, décor complété par celui des voussures et
la réalisation de bas-reliefs peints en haut des murs, au dessous des
corniches. Les sujets représentés s'inspiraient des collections qui y étaient
exposées. Ainsi les plafonds peints des quatre premières salles évoquent
Homère, Pompéi, Herculanum tandis que ceux des quatre salles suivantes
illustrent l'Egypte, l'architecture de la Renaissance à Rome et rendent hommage
à Charles X.
Le tableau fait référence à l'une des œuvres les plus
connues de Raphael, L'école d'Athènes. Comme lui, Ingres à recours à
l'architecture classique. Il organise sur différents niveaux, un rassemblement
de personnages historiques, des auteurs, des penseurs et artistes d'époques
diverses qu'il assemble en groupes autour d'Homère qui domine la scène sur un
trône de bois, son bâton à la main.
Dans cette apothéose artistique, Homère se voit élevé au
rang des dieux. Une Victoire ailée, en rose, (Niké) pose une couronne de lauriers sur la tête du poète. Tous les personnages
manifestent leur allégeance à Homère. Le projet d'Ingres est explicite : il
s'agit d'affirmer la prééminence du modèle classique pour toute entreprise
artistique, en art, en littérature aussi bien dans l'Antiquité que dans le
présent : ce sont les racines grecques de notre Civilisation. Elles précèdent nos racines chrétiennes.
Apelle tient Raphaël par la main droite Virgile complètement à gauche patronne Dante en rouge à la droite d'Apelle, Euripide, Ménandre et Démosthène |
Les auteurs et poètes classiques sont placés toute en haut
de la hiérarchie, juste sous Homère. Ils sont visibles en pied, en haut des
marches. Ingres dispose les personnages par paires : à la gauche d'Homère se
tient Eschyle. Il tient un parchemin où figurent les titres de ses tragédies,
référence à la tradition littéraire classique. En regard à droite, Pindare lève
son luth, pour montrer l'importance de la poésie chantée. Aux côté d'Eschyle,
Apelle, peintre à la cour d'Alexandre le grand et artiste le plus célèbre de
l'Antiquité, est représenté ses pinceaux à la main. Le vis-à-vis d'Apelle, à
droite est Phidias, sculpteur renommé d'Athènes, vêtu de rose, ses maillets
tenus à bout de bras, pendant des pinceaux d'Apelle. Les personnages non
classiques sont admis dans ce cénacle semi-divin par leur mentor : Raphaël est
précédé d'Apelle et c'est Virgile, au-dessous qui introduit Dante, en manteau rouge,
facilement reconnaissable avec son nez busqué et son menton saillant.
Comme Ingres a fait ses portrait d'après des modèles
classiques, des bustes par exemple, les personnages de la rangée médiane sont
identifiables également. A gauche de Phidias, casqué se tient Périclès, haute
figure Athénienne du Ve siècle, il initia la construction de l'Acropole.
Derrière lui conversent Socrate (crâne chauve, robe bleue, posture
argumentative) et Platon (tourné vers l'extérieur). Alexandre le grand se tient
à l'extrême droite. Lecteur d'Homère dans sa jeunesse, il tient un coffret qui
contient les manuscrits de ce dernier. A gauche derrière Raphaël, on reconnait
Sappho et Alcibiade ; à la droite d'Apelle, Euripide (dont le poignard
symbolise la tragédie) Ménandre et Démosthène. A gauche d'Homère, Hérodote.
En bas, et visibles jusqu'à la taille, se tiennent les
artistes et auteurs contemporains du peintre. Quoique dignes de figurer ici,
ils ne peuvent prétendre au rang élevé de leurs prédécesseurs. Le peintre
Nicolas Poussin domine le groupe à gauche ; derrière lui se tiennent Pierre
Corneille et un personnage qui pourrait être Wolfgang Amadeus Mozart. On reconnait à gauche William Shakespeare et le Tasse. A droite, Molière tient un
masque qui symbolise l'art de la scène, et Jean Racine (derrière et vêtu de
bleu) montre un feuillet où figurent les titres de ses œuvres. Ces personnages
établissent le lien entre l'âge classique, célébré ici et le prestige de la
littérature française "moderne" de l'époque.
Enfin, assis sur les marches se tiennent deux personnages
qui représentent les textes inspirateurs de l'Apothéose : à gauche L'Iliade en
rouge, porte une épée en référence à la guerre de Troie ; à droite l'Odyssée
dont l'aviron servant de gouvernail évoque l'éprouvant voyage d'Ulysse. Entre eux, gravé en
grec sur les marches, on lit le texte suivant : " Si Homère est un dieu
qu'il soit vénéré parmi les immortels / et s'il n'est pas un dieu, qu'il le
soit tout de même dans les esprits." Le caractère divin du fondateur de la
tradition classique est donc affirmé avec force.
Le tableau d'Ingres se distingue par son sérieux absolu,
dans la conception et l'exécution. Ingres principal partisan du classicisme et
disciple fervent de l'Académie française, tente de définir ici l'art suprême :
la recherche du style juste et des thèmes susceptibles d'édifier le public.
Quoique admiré à sa première présentation, le tableau d'Ingres allait devenir
l'exemple même du classicisme stérile et éculé de l'académie. Pour Ingres
cependant, c'était à travers l'héritage sérieux, digne et raffiné de l'âge
classique que le monde moderne pouvait être transformé. Promouvoir un monde
meilleur : telle était la finalité de son art.
Nous avons la chance de pouvoir nous rendre à Montauban tout proche :
la vraie référence : l'Ecole d'Athènes :
ne cherchez pas Homère : il n'y est pas ! |