lundi 4 janvier 2016

Vanitas au Machaon (26)

Tomas Yepes 1650
encore Machaon passant au-dessus de la mèche fumante
de Jan Sanders van Hemessen

Jan Sanders van Hemessen, peintre de sujets religieux, de scènes de genre et de portraits, né à Hemiksem vers 1500 et mort à Haarlem vers 1566, est un peintre flamand maniériste de la Renaissance du Nord.

Avec Aertsen, Bueckelaer et Van Reymerswale, il appartient à ce groupe de peintres anversois qui s'inspirent de la réalité quotidienne. Par sa manière directe et par la plasticité de son langage, il est considéré comme l'un des principaux précurseurs de Pieter Brueghel l'Ancien.

Je vous avais déjà montré sa vanité au  Palais des Beaux-Arts de Lille, peinte en 1535, mais ne vous l’avais pas détaillée comme maintenant :

L’ inscription autour du miroir est une phrase-choc :

« Voici la rapine de toute chose ». « Ecce Rapinam Rerum Omnium. »




Précisée par  la  banderole qui s’enroule autour du poignet de l’ange :

« Contemple la fin de la Force, de la Beauté, et de la Richesse ».

« Inspice Roboris Formae opumque finem »


Pourquoi ces ailes de Machaon ?

Cette iconographie unique reste difficile à interpréter : les ailes font-elles référence à la fugacité, comme c’est en général le cas pour les papillons dans les Vanités ? Mais  un ange éphémère serait contre-intuitif .

Font-elle plutôt référence à l‘immortalité de l’âme ? Je vous ai déjà raconté comment les Grecs  utilisaient le même mot « Psyché », pour désigner l’âme humaine et le papillon. Et la symbolique chrétienne avait développé une métaphore en trois phases : la chenille, c’est la vie terrestre ; la chrysalide, c’est le linceul ; et le papillon, c’est l’âme immortelle qui rejoint le ciel.

Un panneau orphelin ?

Par analogie avec les autres miroirs macabres, on a supposé  que cette oeuvre formait la partie gauche d’un diptyque, la partie droite étant le portrait d’un personnage vivant,  homme ou femme, auquel l’ange montre son futur dans le miroir.

La difficulté étant que le reflet présente sur sa gauche une fenêtre à meneaux : le personnage hypothétique se trouvait donc dans une pièce assez obscure, le spectateur étant supposé se situer lui aussi à l’intérieur de la pièce, entre le personnage et la fenêtre, tandis que l’ange est à l’extérieur : ce qui rend la composition difficilement concevable.

Par ailleurs, remarquons que les inscriptions ne comportent aucun élément personnel. La première     « la rapine de tout » est portée par deux nus, homme et femme.


Et la formulation  de la seconde (« la fin de la Force, de la Beauté, et de la Richesse ») semble choisie pour ratisser large : jeunes hommes, jeunes femmes et personnes aisées.

Une explication plus simple est donc de considérer que ce panneau :

-ne faisait pas partie d’un diptyque,
-avait été conçu pour le lieu précis qui est montré dans le miroir (une chapelle funéraire ?),
-était accroché assez haut.

Ainsi, le visiteur de la chapelle, quel qu’il soit, voyait en levant les yeux :

-en premier, une tête de mort surgissant du miroir ;
-juste derrière, un ange, équipé  d’ailes de papillon qui semblent les excroissances du crâne ;
-et encore derrière, trouant le mur par la fenêtre du tableau , le ciel, les bois et une église lointaine.

Ainsi le spectateur pouvait-il,  médusé,


assister en 3D à l’envol de sa propre âme immortelle.

Aquid sund aliud, quum breve gaudium
y a-t-il autre chose qu'une joie brève ?

le billet qui dépasse du livre porte en Français : "mourir pour vivre"

contraste entre la mouche (la mort) et l'écaille martre, l'âme envolée