mercredi 8 juin 2016

Smiles à Valcabrère (2)

le sarcophage de St Just au-dessus de la
crypte, on passe dessous
Saviez-vous que la cathédrale de Narbonne était dédiée à Saint-Just et Saint-Pasteur deux jeunes martyrs chrétiens, Justo et Pastor en latin, originaires de l'antique Complutum romaine devenue aujourd'hui Alcala de Henares, à l'est de Madrid ? La patrie de Cervantès né en 1547 (1).

Pour avoir osé braver le consul Dacien, (nous sommes sous Dioclétien qui persécute les chrétiens) ces deux jeunes écoliers de 8 et 13 ans sont flagellés puis décapités le 6 août 304 sur ce qui est nommé aujourd’hui campo laudable, le camp des martyrs.

Ce n'est pas tout : pour faire bonne mesure, Eglius, le consul romain de Burgos, prend en otage des jeunes filles : la même année 304, sont tuées Hélène et Centolle, qui deviendront saintes elles aussi. Mais il s'agit d'une autre histoire comme dirait Kipling !






Tout d'abord dérobées en 714 par le moine saint Urbice et mises à l'abri des Maures près de Huesca dans les Pyrénées, les reliques des deux garçons auraient été ramenées à Narbonne en l'an 1058 par l'archevêque Guifred de Cerdagne. Cependant le culte des jeunes martyrs espagnols est attesté à Narbonne depuis le VIII° siècle, date à laquelle la cathédrale leur est dédiée. La fête votive est aujourd'hui célébrée selon la tradition le 6 août : Cérémonie de la Veraison. Il faut être viticulteur pour comprendre cette  date décisive où les grappes de vin changent de couleur préparant la maturité précédant la future récolte.

Vous savez que les reliques pouvaient être multiples : les revoilà à Saint Just, le nôtre, celui de Valcabrère, "le val de la chèvre", toute proche de Saint-Bertrand de Comminges à tel point que l’on collectionne les photos des deux églises ensemble.

l'Est de St Bertrand est
légèrement différent de
Valcabrère
Le portail d’entrée Nord est justement entouré de Saint-Just, représenté adulte, et de Saint Pasteur. Mais ils ne sont pas seuls puisque Just est accompagné ... d’Etienne (ou Stephen en anglais, les deux issus de Stephanus latin).(1) Et Pasteur, d’Hélène, les pérégrinations ou le martyre de tout ce monde étant représenté sur leurs têtes par des chapiteaux spécifiques.

C'est là qu'il ne faut pas se tromper : des "Hélène" il y en a eu des tonnes. Il ne s'agit pas de l'Hélène de Burgos vers laquelle je vous aiguillais à tort tout à l'heure.

Notre Hélène porte la couronne de reine. Et une croix autour du cou qu'elle tient ostensiblement entre le pouce et l'index de la main gauche. Cela vous fait penser à la Légende dorée ? Le livre le plus connu au Moyen-Age avec la Bible ? La légende qui rapporte la quête d'Hélène, (la nôtre, née en 250, concubine de l'empereur Flavius Constantius), découvrant à l'âge de 80 ans la vraie croix, les instruments de la passion, et permettant de répandre ces illustres reliques dans tout le monde chrétien. Il est normal que son chapiteau évoque le pélerinage qu'elle dut accomplir pour redécouvrir le Golghota, et faire faire les fouilles qui révélèrent les trois croix enfouies vingt pieds sous terre. Pour repérer la bonne des trois croix, il fallait un ange, qui l'invite à monter sur un cheval, juste sur le chapiteau au-dessus. Or..., Valcabrère était dépositaire d'un morceau de la vraie croix. Hélène a bien là sa place ! (2)


En cette période précédant le solstice d’été, dans quelques jours, le temps est propice aux ballades et nous voilà à Valcabrère, au milieu des champs de foin encore vert. Sur les traces de la cinquième voie pour nous rendre à Compostelle passant par Saint-Bertrand. A tel point que l’on a découvert ici des  sépultures de pélerins morts pendant leur pèlerinage, mais reconnaissables par leur coquille Saint-Jacques.

Just et Etienne
Hélène et Pasteur
















Nous jouons donc au pélerin. Et découvrons que pour en endosser l'habit...il faut suivre les smiles. Vous sursautez ? Je ne me trompe pas : le smile d’aujourd’hui est un cryptogramme schématisant une figure humaine, un rond avec à l’intérieur la trace des yeux, du nez et de la bouche. De profil ça donne cela :  :- )  Selon qu’il rit ou pleure, il exprime les émotions minimales joie ou tristesse. Dans les années mille, les sculpteurs de pierre montraient le diable sous cette forme, avec les cornes de la chèvre ou plutôt du bouc. Et le bien sous cette forme souriante, trois biens faisant penser à la Sainte Trinité. Je retrouve ces smiles entourant l’enfeu Nord, comme la pierre de rosette qui va nous permettre de suivre le bon chemin.

à droite de l'enfeu Nord : la Sainte Trinité ? un pélerin ? Trois pélerins ?






des smiles partout !






L’ église présente une rareté, une petite cellule, aménagée sous le sarcophage placé, lui, au-dessus du maître-autel. Dans cette cellule (improprement appelée crypte), un malade pouvait venir passer une nuit en prières afin de se trouver pénétré par les ondes émanant du corps saint qui le surmontait. Comme on ferait une chimio de nos jours ! C’était là une coutume générale qui tomba ensuite en désuétude : dans son Dictionnaire raisonné d’architecture, Viollet le Duc, à l’article « autel », explique en effet qu’à partir du XVIe siècle, l’autel devint le tombeau du martyr, alors qu’auparavant il était une simple table posée devant lui. Cette construction reprend une organisation bien antérieure, remontant à l’époque carolingienne. La présence de ce tombeau et de cette "crypte" signent un sanctuaire de pèlerinage.

le smile à droite
Un smile côté Sud montre qu’il fallait traverser la nef depuis la porte d’entrée, après avoir descendu sept marches. On quittait le diable et les sept péchés capitaux, et on était protégé dans la maison de Dieu. Face au mur Sud on le longeait vers l’Est, passait devant la porte d’accès au cloître, pour arriver à la crypte. Premier smile, on passe sous la crypte, et on ressort au Nord. On est   passé sous le sarcophage, c’est là-dessous qu’il faudra passer la fameuse nuit. On se promet de revenir avec un duvet !

on est sorti du bon côté
Le sarcophage est gardé de part et d’autre par deux statues, représentent-elles les deux frères espagnols ? On y accède par un escalier, sans rampe, sans doute ne respecte-t-il pas les normes de sécurité, ouf ! le classement à l’UNESCO va nous éviter la pose d’un ascenseur. Pareil pour accéder au beffroi énorme, l’escalier de bois étant lui aussi hors normes,  le mieux est de ne pas tenter de monter. Dommage, cela a l'air énorme là-haut ?


dangereux d'accéder au septième ciel ?

On peut passer là un bon moment : en effet, une fois sorti

on se retrouve dehors... guéri...réconforté...

...pour éviter le diable !

le voici le diable, avec des cornes (de bouc) à droite.
Il reste à l'extérieur, nous sommes bien à  Val_cabrère
la façade Nord ; l'entrée, et l'enfeu à l'Ouest

 le meilleur des époux  fait un smile à son épouse...!


(1) je vous ai montré en son temps la mosaïque des quatre saisons de Complutum :

http://babone5go2.blogspot.fr/2012/05/aion-dieu-du-temps.html

variante de la route d'Arles vers Compostelle
par Saint-Bertrand : c'est le chemin du piémont pyrénéen, (el cami du pé de la coste) 

qui passe pas St Bertrand et Valcabrère après la Collégiale de St-Gaudens

(1) la prochaine fois je vous explique la présence d'Etienne



(2) je vous ai montré un morceau de la vraie croix dans : http://babone5go2.blogspot.fr/2015/07/mon-beau-chapiteau_15.html

Un tel morceau, c'est le cas ci-dessus, est protégé dans une "staurothèque". On en trouve la liste sur internet, et il en existe en France, avec les reliques rachetées par Saint-Louis dont la couronne d'épines conservée à Notre Dame de Paris. Ce document ne mentionne pas de staurothèque à Valcabrère.