mardi 23 août 2016

Pinup beach (3)

Pourquoi le burkini suscite-t-il  l’émotion sur les plages ? Il fallait bien se poser la question, et tenter d’y répondre ! Je tombe sur cette réflexion de Christine Mirgalet : « Comment le goût esthétique vient aux enfants » ?

Car les enfants étant destinés à devenir adultes, il est amusant, en effet, de se souvenir de la manière dont s'est formé leur goût, pour qu’ils se fassent leur jugement, sur ce qui est bien ou mal. Beau ou laid. Convenable ou non. Avec leurs copines ados. Avec plus tard leur femme.

Non ?

« Comment se construit la sensibilité artistique des enfants ? L'évolution psychologique se conjugue avec l'influence du milieu familial, dans un contexte culturel donné. L'école prend une large part dans cette éducation du goût. Qu'en est-il de la question de la transmission d'un héritage culturel, quel en est le bien-fondé ? Comment et selon quels critères définir cet héritage ? Quelle attitude peut-on avoir envers des enfants étrangers à cette culture (issus de l'immigration, ou de classes sociales très modestes) ? Quel projet culturel national peut se donner l'école » ?

Voilà les questions que pose Christine Mirgalet

Je ne vais pas vous raconter le bouquin. Il aborde l’approche psychologique ; l’approche sociologique : le contexte familial, et l’école. L’héritage culturel : le nôtre est ce qu’il est :

« Ce qui relève de l'histoire correspond en gros à la connaissance d'un certain nombre de références culturelles communes : j'appartiens à une société de tradition catholique, je suis donc entouré de tous les témoignages de cette culture religieuse (le calendrier, les églises, chapelles, cathédrales, oratoires et tous ces objets architecturaux témoignant d'un récent passé chrétien, les œuvres contenues dans les musées, la musique, la littérature, etc). Les enfants reçoivent une éducation scolaire qui tient compte de tout ce passé fondateur. Ainsi, on enseigne l'évolution de l'architecture religieuse depuis le Moyen-Age jusqu'à nos jours, même si l'école est laïque. On enseigne également ce qui provient de notre passé gréco-latin, les vestiges de cette époque et le renouveau d'intérêt à la Renaissance. L'enfant est donc nourri de cet apprentissage d'un patrimoine commun, dont il est à proprement parler l'héritier, même lorsqu'il ne s'y reconnaît pas vraiment, avec la disparition quasi-totale de l'éducation religieuse dans les familles. Ce faisant lui sont fournis toutes sortes de repères pour son jugement esthétique : il découvre la notion de « chef-d'œuvre », apprend qu'il a existé des « génies » artistiques, et c'est donc à l'école que se fabriqueront quelques-uns des piliers de notre patrimoine artistique : la Joconde, archétype du chef-d'œuvre pictural, Van Gogh, le génie ignoré de son vivant et consacré à titre posthume, Picasso, fondant le cubisme. Versailles ou Notre-Dame de Paris comme perfections architecturales. Le jugement esthétique de l'enfant va se trouver fortement guidé par l'apprentissage scolaire. Il apprend ce qu'il convient de trouver beau dans l'art.

























« A côté de ce qu'apporte l'école, il faut prendre en compte le groupe social auquel appartient l'enfant. Ceci est du ressort de l'enquête sociologique (le travail de Pierre Bourdieu dans les années 70, est encore d'actualité). En effet, ce qui est enseigné s'articule de diverses manières avec ce qui lui est apporté dans l’environnement familial. Il va de soi que si la famille se désintéresse totalement des questions d'ordre culturel, l'enfant a bien peu de chances d'être capable de réinvestir à son propre compte les informations apportées par l'école. Il apprendra peut-être par cœur que « la Joconde est un chef-d'œuvre et Vinci un génie », sans plus d'intérêt que pour une formule grammaticale. En revanche il pourra alimenter tout un champ de réflexion, toute une approche d'ordre esthétique pour peu que le milieu familial l'y ait déjà préparé.

« Et puis il y a l’héritage culturel : l'on peut considérer que la transmission de l'héritage culturel répond à un idéal républicain qui se fit jour dès les débuts de la Révolution de 1789. A cette époque, il s'agissait de « rendre au Peuple » ce qui lui revenait de droit, les biens culturels de la noblesse et de l'église, afin de permettre l'éducation du goût, la délectation esthétique et la formation des peintres. Ceci se traduisit par l'édification, pendant tout le XVIIIe siècle, de nombreux musées à Paris et en province. La pensée jacobine, nourrie des idées des encyclopédistes, conduisit à concevoir que tous les musées se devaient de présenter une sorte d'échantillonnage des diverses époques et écoles. Il s'agissait en effet de rendre au peuple son bien (indûment acquis par la noblesse et le clergé grâce au labeur des plus pauvres) sur tout le territoire national, et de permettre aux futurs écoliers et aux futurs artistes de se former au contact des chefs-d’œuvres.





« Cette conception est encore très présente dans les esprits de cette fin de XXe siècle, à la fois dans le milieu scolaire et dans le milieu muséal. L'accès aux œuvres est considéré comme relevant du service public, supposé s'adresser à tous dans un esprit égalitaire et démocratique. Depuis une vingtaine d'années, de plus en plus de musées se dotent de services pédagogiques. De leur côté les enseignants du primaire et du secondaire utilisent volontiers ces structures, ce d'autant qu'ils y sont encouragés de manière explicite par les programmes et instructions officielles, et par de nombreux discours des ministres de l'Education Nationale aussi bien que de la Culture. Tout porte à croire que les musées trouvent, dans une large ouverture au public scolaire, une légitimation (concernant leurs budgets de fonctionnement, entre autres) et une réponse d'ordre démocratique à l'accusation d'élitisme qui leur fut longtemps faite, cependant que l'école prouve de son côté son souci d'ouverture au monde (réponse à l'accusation d'être un milieu clos). La transmission du patrimoine artistique et l'éducation du goût sont donc partie intégrante du projet éducatif national.



















« Reste que le consensus qui prévalait il y a peu sur la définition de notre patrimoine artistique a été fortement malmené par la succession des avant-gardes, puis par la naissance de la pensée postmoderne dans les années quatre-vingt. Les critères et les hiérarchies ayant été bousculés, la juxtaposition des genres dans la présentation de l'art contemporain, qui procède de plus en plus de l'échantillonnage indifférent et de moins en moins de la confrontation, conduit à un réel désarroi. Comment définir ce qu'il est bon d'appréhender au titre de l'art ? Convient-il, et comment, de mettre les scolaires en relation avec l'art actuel, faut-il reconduire les catégories anciennes , ou accepter le risque de la dispersion et de l'éclatement du sens ? L'Inspection Générale en Arts Plastiques encourage depuis dix ans l'ouverture à l'art contemporain. Il n'en demeure pas moins que la plupart des enseignants continuent à véhiculer l'art selon les anciens critères, à la fois parce qu'ils leur semblent encore valides, mais aussi à cause du sentiment d'incertitude dont on sait qu'il provoque généralement un repli conservateur. Divers niveaux de l'enseignement ont la charge de susciter la rencontre des élèves avec l'art et la culture. Toutes les classes sont concernées, de la maternelle jusqu'au lycée, mais également de nombreuses disciplines : si l'instituteur est par définition pluridisciplinaire, au collège ce sont les professeurs d'Arts Plastiques, d'Histoire, de Français, voire de langues étrangères qui aborderont la question, chacun avec son angle de vue. Au lycée on retrouve les mêmes, auxquels vient s'ajouter l'enseignement de la Philosophie dont une partie du programme est consacrée à l'Esthétique….

Vous devinez qu’après ce long préambule, puisse se poser la question initiale de
l’interculturalité.

« Si, au début de ce siècle, on punissait les élèves lorsqu'ils parlaient patois, car il fallait qu'ils soient français avant d'être limousins ou bretons, on rencontre aujourd'hui la même question s'agissant des enfants de parents non français. Deux courants de pensée contradictoires s'affrontent. Les uns considèrent que des enfants de culture familiale non française doivent recevoir une information sur leur culture, voire un enseignement de leur langue d'origine, faute de quoi ils ne parviennent pas à créer de racines, se sentant « de nulle part ». L'autre tendance estime que les enfants appartiennent d'abord à l'endroit où ils grandissent. Par exemple, un enfant d'origine marocaine a plus de points communs avec ses camarades français qu'avec un autre enfant de même origine élevé, lui, en Allemagne. Il convient à ce titre de lui donner toutes les chances de s'intégrer dans une perspective française, plutôt que de l'isoler dans une particularité culturelle. Après le « droit à la différence » c'est le « droit à l'indifférence ».

« La réponse pourrait être dans la prise en compte du concept d'interculturalité. Pas plus que de « races pures » il n'existe, au regard de l'histoire, de « cultures pures ». Toutes les formes d'expression artistique témoignent d'échanges, d'influences, de porosités entre les cultures (l'influence de l'Islam sur l'art médiéval, le Japonisme de Van Gogh, Picasso et l'art nègre). C'est même pour une large part le ferment de leur évolution. Si l'école prenait en charge de porter un regard sur d'autres cultures que la nôtre, et d'étudier les cas d'influences réciproques, peut-être pourrait-elle jouer son rôle fédérateur autour d'une identité commune, la culture transmise comme un patrimoine, tout en proposant un point de vue qui en relativiserait le côté monolithique et ethnocentriste. L'on peut considérer d'ailleurs que bien des enfants français sont étrangers à leur propre culture « haute ». La leur, celle dont ils se revendiquent, qualifiée de culture populaire, de masse, n'est même pas évoquée à l'école. Elle croise pourtant fréquemment l'art contemporain (Pop Art, Graffitis et Tags d'artistes). On s'orienterait peut-être vers une éducation à la tolérance dans le domaine de l'esthétique, rompant ainsi avec le « bon goût » convenu, la rigidité, l'académisme.

La conclusion de Christine ?

« S'il existe une éducation au jugement esthétique, elle passe par plusieurs chemins, la famille, l'école, mais ne s'y réduit nullement. La connaissance n'est rien sans la sensibilité, l'essentiel est peut-être ailleurs, dans un libre choix de l'individu. Car, en définitive, la relation avec l'art ne se décrète pas de l'extérieur. Elle ne peut être que le fruit d'une démarche solitaire, procédant de la passion au moins autant que de la raison ».




















J’ai égrené au cours de cette réflexion les images la plupart du temps américaines, de la femme à la plage, en tenue des années 50. Pinup beach. Elles nous servent encore d’archétype, de la femme occidentale à laquelle la culture, les journaux, les dessinateurs, nous ont accoutumés : libre ; égale de l’homme ; indépendante, jeune fille universitaire, conduisant son automobile. Elégante à la ville, élégante à la plage.


 Je ne vois nulle provocation dans son attitude, la plupart du temps, elle porte un maillot une pièce. Pour se protéger du soleil, elle porte un chapeau. Elle porte des couleurs assorties, vives. Quand elle ôte le haut, on devine le clin d’œil un peu coquin de l'artiste, mais rien destiné à choquer. 

Elle, c’est Eve la femme, et Psyché l'âme rendue immortelle par Cupidon, à la fois. C’est LA femme à la plage, comme on la représente ailleurs à la campagne, à la ville, en soirée. L’artiste toujours la met à son avantage, la magnifie.


Notre œil a été habitué à la voir belle ainsi.

Voilà pourquoi le burkini nous interpelle :

il ne met pas la femme en valeur

il l'enferme !