Picasso 1901, l'ombre et la lumière dans l'arène |
question (audacieuse)…
…inspire-t-il la
corrida ?
On s’interroge avec Roger sur
l’origine de la corrida : ce combat, dans l’ombre et la lumière, d’un
héros (humain) contre le taureau (sauvage) a-t-il du sens ? Pour les
détracteurs, c’est une tuerie méchante, sans aucun fondement. Les aficionados
parlent de tradition, et d’art. Leurs arguments restent assez pauvres, ils ne
nous racontent aucune histoire ancienne, et pourtant … ?
Le culte de Mithra, même s’il
n’en reste presque plus rien aujourd’hui, fut pourtant une religion importante
dans le monde romain. Ce culte fut l’une des premières grandes religions
monothéistes. Réservée uniquement aux hommes, (ce qui naturellement la rendit clivante comme on dit aujourd’hui, auprès
des femmes), secrète et fortement hiérarchisée, avec sept degrés d’initiation (ce
qui la fait comparer aux rites des franc-maçons par exemple), cette croyance ne
put résister au christianisme. Le mithriacisme a tout de même laissé des traces
permettant de reconstituer l’histoire d’une religion complexe qui aurait
peut-être pu devenir la nôtre.
Dans l’Antiquité, la Perse
comptait trois grandes religions: celle des mages, celle du peuple et celle du
roi où Mithra apparaît pour la première fois sous le règne d’Artaxerxés II. En
védique (forme archaïque du sanskrit), Mitra signifie « ami » ou « contrat »,
il est ainsi pris à témoin des serments et engagements, mais à cette époque
Mithra n’est pas encore adoré dans un culte consacré à lui seul.
Plusieurs circonstances permettent
au culte de Mithra de s’étendre. La conquête de l’Empire perse par Alexandre
amène le culte dans le monde hellénistique grâce aux aristocraties de souches
iranienne qui gardent leurs anciens dieux. Les pirates ciliciens (région du sud
de la Turquie asiatique), capturés par Pompée, sont les premiers à introduire
dans le monde romain le culte de Mithra, en 67 avant J.-C. d’après Plutarque.
Ils pratiquaient en effet des sacrifices et un rituel initiatique dans les
grottes de leurs montagnes. Puis les légionnaires importent Mithra en Italie à
l’époque flavienne.
Les soldats considéraient Mithra
comme leur protecteur. Ainsi, au 2ème siècle après J.-C., le culte s’implante à
Rome et en Italie, et surtout dans les colonies militaires, les villes de
garnison, en Afrique, en Bretagne, en Gaule, sur les bords du Rhin et du
Danube. Pour plaire aux soldats, Commode se fait initier au culte, suivit par
ses successeurs. Le culte faillit devenir la religion officielle sous Aurélien.
L’empereur Julien fut aussi un adorateur de Mithra et il essaya, un peu tard,
de substituer le culte de Mithra au christianisme, qui connaît lui aussi une
grande expansion à cette époque. Le culte n’acceptant pas les femmes, n’ayant
pas réussi à trouver beaucoup d’adeptes dans les couches populaires et étant un
culte de petites sociétés, ne peut devenir une religion de masse. De plus on
reproche aux mithriastes d’adorer un
dieu venu de Perse, ennemi héréditaire des Romains.
L’empereur Constantin, le premier
empereur chrétien, interdit, en 324, les sacrifices. Comme le culte de Mithra
reposait essentiellement sur le sacrifice (sanglant) d’un taureau, (nous y
sommes), le culte fut poursuivi systématiquement. Les chrétiens accusaient
aussi le culte d’être une religion des ténèbres puisqu’il se passait dans des
cryptes souterraines. Le culte de Mithra déclina peu à peu. Puis il dut laisser
sa place au christianisme et disparaître au 4ème siècle.
Le culte de Mithra se déroulait
dans un Mithraeum, un endroit
généralement souterrain de la forme d’une caverne en souvenir de l’époque où
les pirates pratiquaient le culte dans des grottes.
Le Mithraeum était aménagé comme
une salle à manger avec des bancs de pierre le long des murs. On en retrouve
même en France, en 2010 à Angers par exemple. Au bout du couloir formé par les
bancs se trouvait la statue ou le bas-relief représentant le sacrifice du
taureau, comme la salle intacte sous l’église de Latran à Rome. Selon un récit
reconstruit à partir des images et de quelques témoignages écrits, le dieu Mithra
nait d'une pierre (la petra generatrix)
près d'une source sacrée, sous un arbre lui aussi sacré. Au moment de sa
naissance il porte le bonnet phrygien, une torche et un couteau.
felicimus pater, le dernier grade, à Ostie |
Adoré par les pasteurs dès sa
naissance, il boit l'eau de la source sacrée. Avec son couteau, il coupe le
fruit de l'arbre sacré, et avec les feuilles de cet arbre se confectionne des
vêtements. Il rencontre le taureau primordial quand celui-ci paissait dans les
montagnes. Il le saisit par les cornes et le monte, mais, dans son galop
sauvage, la bête le fait tomber. Cependant, Mithra continue à s'accrocher aux
cornes de l'animal, et le taureau le traîne pendant longtemps, jusqu'à ce que
l'animal n'en puisse plus. Le dieu l'attache alors par les pattes arrière, et
le charge sur ses épaules. Ce voyage de Mithra avec le taureau sur ses épaules
se nomme transitus. Ne pas confondre
avec intestinal.
Quand Mithra arrive dans la
grotte, un corbeau envoyé par le Soleil lui annonce qu'il doit faire un
sacrifice, et le dieu, enfonce le couteau dans le flanc du taureau. Je ne suis
pas vétérinaire, mais j’ai l’impression qu’il tranche la jugulaire, ce que va
tenter le toréador dans son coup d’épée extrêmement précis. De la colonne
vertébrale sort du blé, et du sang coule du vin. La semence, recueillie par la
lune, produit des animaux utiles aux hommes.
Arrivent alors le chien qui mange
le grain, le scorpion qui serre les testicules avec ses pinces, (pour faire
sortir la semence ultime) et le serpent (on ne sait pas précisément ce qu’il fait,
mais la Bible nous donne une autre version avec Eve).
Une des images centrales du culte
de Mithra est donc la « tauroctonie »,
(à ne pas confondre avec la tauromachie),
qui représente avec des caractéristiques iconographiques constantes le
sacrifice rituel du taureau sacré par Mithra. Tout cela a lieu au solstice
d’hiver, donc le 25 décembre, les saturnales
des Romains, vous voyez que les mêmes dates produisent les mêmes effets !
Mithra est ainsi le Bien, opposé
au Mal, représenté par le taureau. Le sacrifice du Mal permet d’expier les
fautes des hommes, selon la théorie classique du bouc émissaire. La religion
chrétienne dépasse ces notions primaires, puisque d’une part les femmes sont
associées aux hommes dans le culte. Elles ont bien besoin d’être sauvées de
leurs péchés elles aussi ! Dieu ne se contente pas de faire expier les
fautes des hommes (et donc des femmes) par un animal fût-il sacré, mais par un humain, son propre fils Jésus-Christ,
fait d’autant plus injuste qu’il prêche l’Amour et la tolérance. On comprend
que le Christianisme ait surpassé le Mithriacisme.
Alors la corrida est-elle une certaine survivance de cette
religion ?
je serais aficionado, je l’affirmerais avec force.
Ce qui me fait douter
est qu’ils n’y ont jamais pensé… !
(sauf s’ils ignorent qui était Mithra, bien entendu !)