TECLA 4 chez Osenat :
400 000 - 500 000 €
(quand-même !)
Chassis 37291 moteur 192
Cette voiture a une histoire : elle nous est racontée
dans le catalogue de la vente par Pierre-Yves Laugier. Histoire extraordinaire.
La voici :
Elle commence dans les Pyrénées à Pau. Continue dans les Landes, se termine en Normandie...vous pensez si j'ai été passionné, et ai ajouté quelques photos personnelles aux commentaires d' Osenat, décidément très précis !
Elle commence dans les Pyrénées à Pau. Continue dans les Landes, se termine en Normandie...vous pensez si j'ai été passionné, et ai ajouté quelques photos personnelles aux commentaires d' Osenat, décidément très précis !
"La Bugatti Type 37, 1500cc Sport, dite TECLA 4, est produite
de 1925 à 1929. En juin 1927 sont mises sur le
marché les premières voitures à compresseur basées sur ce modèle : Le type 37A
ne sera produit qu'à 76 exemplaires.
Après juillet 1927, seront encore
fabriquées 40 voitures du modèle type 37 sans compresseur dont les quatre
dernières en juillet 1929.Les ventes sont s'échelonner jusqu'en 1931, avec une
production totale d'environ 210 voitures. Le moteur numéro 192 est assemblé
entre le 20 et le 30 juin 1927 ainsi que les moteurs 191 à 194. Les
vilebrequins ne sont pas en acier trempé comme le sont ceux des type 37A
produits à partir de juin 1927. Les voitures à moteurs 191 à 195
sont assemblées en juillet 1927.
Le Registre de Facturation de l
'Usine indique que la voiture est facturée 46.400 ff le 25 juillet 1927 à JOUGLA
et DELANOUE.
Le Registre de Vente Mensuel
mentionne pour le mois de juillet 1927 : « Jougla Delanoue 37291 /192 le 3
août 1927 ». La voiture est expédiée, sans
doute par chemin de Fer, à Pau chez le commanditaire qui est l'agent Bugatti
pour les Pyrénées.
Le garage Jougla & Delanoue
se trouve au 19 Cours Bosquet. Il est également agent des automobiles Brasier
et Mathis car les clients Bugatti ne sont pas la majorité du genre, même si les
riches anglais et espagnols sont des amateurs de belles sportives françaises.
Jeunesse à l'ombre des Pyrénées
et des pins des landes.
Le véhicule est immatriculé neuf
dans le département des Basse Pyrénées, trois semaines plus tard. Cela semble indiquer que le
premier propriétaire privé n'a pas commandé la voiture à l’Usine, mais aurait
plutôt succombé aux arguments du vendeur palois. La Bugatti est immatriculée le 23
aout 1927, sous le numéro 4020 K 1, au nom de Carlos ACUNA, 19 rue Samonzet à
Pau.
A cette adresse se trouve un bel
immeuble à l'architecture fin XIXème, qui devait abriter un appartement au nom
de cet espagnol en villégiature, confiant sans doute aux bons soins du « Garage
de La Poste » tenu par Delanoe, l'entretien de sa Bugatti car la rue Samonzet
donne sur le Cours Bosquet ! La tentation était peut-être en vitrine au coin de
la rue. C.Acuna ne semble pas avoir
engagé l'auto dans des épreuves locales pendant son année de possession du
véhicule.
Le 15 octobre 1928, la voiture
est revendue dans le département des Landes sous le numéro 81 HU. Elle est immatriculée au nom de
André BARTHE à Saint Vincent de Tyrosse. Ce jeune passionné de mécanique
est natif du village, dont il est une figure locale : Jean Leon André BARTHE (1910-
1990). Il nait le 11 avril 1910 à Saint
Vincent de Tyrosse. Son père, Jean Paul Camille Barthe exerça plus de quinze
métiers dont celui de concessionnaire Terrot dès 1907. Il possédera le premier
garage des Landes, sera un des premiers dépositaires Michelin avant 1914 et agent
Renault pendant les années vingt. La fortune familiale reposait aussi sur les
terres de la grand mère maternelle. Cet environnement fut propice au jeune
André qui dès sa sortie du collège bilingue San Bernardo de San Sebastian, apprend
la mécanique auprès de son père. Il passe son permis moto en 1926, et reçoit une 350 Terrot à
moteur J.A.P culbuté. En 1929, il reçoit une Terrot culbutée à moteur Terrot et
une 1000 Koehler -Escoffier. En 1931, A. Barthe finit par acheter une 175 Monet et Goyon
à moteur Villiers Brooklands.
Entre temps, le garage familial,
le CENTRAL GARAGE, avenue Nationale 10, à Saint Vincent de Tyrosse a vu dès
1928, défiler des Bugatti acquises par le jeune André Barthe. Pas moins de deux «Tecla 4 Type
37 », puis un Type 38 ,2 litres et une 5 litres d'occasion brulée, passent
entre ses mains, au gré des envies de ce passionné de mécanique. Il rencontre Ettore Bugatti à
plusieurs reprises et se rend à Molsheim prendre possession de l'une ses
voitures. La photo de la Bugatti Tecla
d'André Barthe, retrouvée dans les archives familiales montre bien la plaque
minéralogique 81 HU.
Le cliché est pris sur le sable
de la plage de Cap Breton en 1929. Il montre son jeune frère Maurice, âgé de
quinze ans, à coté du véhicule .Celui -ci ne possède pas d'ailes ni de pare
brise, mais une calandre pare-pierre et une mascotte de radiateur difficilement
identifiable.
Au Printemps 1931, tous les Pur
Sang sont déjà revendus car il faut quand même financer les achats et courses
de moto débutées en 1932 par une victoire au Kilomètre lancé de Tarbes à
132km/h sur sa Brooklands ! A. Barthe est un pur pilote privé. Cette même année, il remporte le
GP de Bordeaux et celui de Carcassonne. En 1933, sur les 21 Grands Prix
qui avaient lieu en France, il en remporte 5 sur sa nouvelle Monet Goyon à ACT
et 3 vitesses. La saison 1934 le voit au guidon d'une 175 Monet Goyon à 4
vitesses et d'une 250 Aquila. En 1935 la Monet Goyon est remplacée par une 175
Aquila à moteur ACT O.M.B et en fin d'année il achetait une 500 Saroléa. Ayant
conservé sa 350 Terrot,il pouvait faire les 4 montées ! La saison 1936 voit la
consécration de ce pilote talentueux, qui selon les experts fut un des rares
pilotes moto français, à même de battre à la régulière les meilleurs pilotes
européens. Après sa victoire à Albi, sur la
Saroléa, Mr Monet le contacte pour courir le championnat de France sur Monet et
Goyon. Barthe accepte et pilote la fameuse 500 à ACT cylindre vertical. Il remporte l'épreuve sur le
circuit de Montlhéry à 116,5 km/h de moyenne, après avoir parcouru plus de 300
km. En 1938, A. Barthe troque sa Terrot pour une Norton Inter et conserve sa
fidèle Sarolea qu'il cachera pendant la guerre pour reprendre du service dès
1946.
Pour la saison 1949, il achète une 350 Velocette dont il
garde le meilleur souvenir. Il arrête de courir en 1952, après la plus belle chute de sa
carrière au TT de Bilbao. A.Barthe , ami de Pierre Bonnet l'importateur Suzuki
,devient agent officiel de la marque. Il travaillera dans son garage au milieu de ses chères motos
jusqu'à ses dernières années. Il décède à Bayonne le 31 mars 1990. A. Barthe aura donc conservé sa
Tecla 4 châssis 37291 pendant environ trois ans, avant que nous retrouvions la
trace du véhicule à Paris au Printemps 1931. Mais avant de revendre sa
Bugatti, il démonte la plaque de propriétaire en laiton qui se trouvait sur le
tableau de bord depuis 1927. Cette plaque sur laquelle figure
l'inscription « CHARLES G. de ACUNA Biarritz. » est parvenue jusqu'à nous,
préservée dans le garage familial par Michel Barthe.
Nous l'avons convaincu de la
céder au nouveau propriétaire à l'occasion du retour de la Bugatti à Saint
Vincent de Tyrosse, pour un tour de roues à l'issue de la prochaine révision du
véhicule !
Intermède parisien.
La Bugatti est en circulation
dans le département de la Seine sous le numéro minéralogique 9063 RE 7, au nom
d'un parisien dont le nom nous restera inconnu tant qu'une photo ne sortira pas
d'un album de famille, car les dossiers de Police sont détruits dans notre
belle capitale. Il n'en reste pas moins que cet amateur va conserver l'auto
pendant six ans, ne la revendant qu'en avril 1937.
Débarquement en Normandie :
Ainsi le 25 mars 1937, la Bugatti 37291 quitte la capitale
pour la Normandie. Elle est immatriculée sous le
numéro 7666 CT 3, le 5 avril 1937, au nom de Georges ROBERT, né le 3.9.1908 et
propriétaire de son état, domicilié dans le petit village de Lison à 27 km de
Bayeux. La voiture change de propriétaire
quatre mois plus tard, le 28 juillet 1937, en la personne de Mme Marie-Louise
VANDERGUCHT, née le 8.12.1884, également domiciliée à Lison. Celle -ci est en fait la mère adoptive du précédent, déjà
veuve à cette période. Au sortir de la première guerre
mondiale, un couple de belges fortunés, les Vandergucht, s'installent dans le
petit village de Lison et y acquièrent plusieurs propriétés et de nombreuses
terres. Ils adoptent un enfant de
l'assistance du nom de Georges Robert. Celui-ci, de nature bohème, ne
travaillera jamais et vivra de ses rentes en laissant dans l’aventure au moins
deux fermes et les terrains en rapport. Les vieux du village se
souviennent encore de G.Robert qui était une sorte de héros local, se promenant
souvent en agréable compagnie au volant de sa Bugatti. Célibataire endurci, ce
grand gaillard avait monté avec un ami un garage au village de Grandcamp les
Bains, en bord de mer distant de 20 km, mais n'y travailla pas plus que sur ses
terres.
Les allemands occupèrent Lison
dès 1940. Plus aucune voiture ne circulait dans le village et les rares
véhicules furent mis sur cales, mais la Bugatti fut bien cachée, sans doute
dans l'un des hangars de la propriété du Haut du Chêne qui s'étendait sur une
douzaine d'hectares et dominait la vallée. Le 24 février 1948, est demandé
un certificat de non gage pour le véhicule, traduisant l'intérêt d'un acheteur
potentiel. En effet le 17 août 1948, la
Bugatti change de mains et de département pour se diriger dans la Manche.
Elle trouve un nouvel acquéreur en la personne de Georges
MALBEAUX. Le véhicule est immatriculé sous le numéro 4048 KF 5. Le document de Police indique : « Malbeaux. Chauffeur
S.A.C.E.R. Saint Lô. » Celui-ci est également mécanicien ainsi que son jeune frère
Adrien (1918-1992). Georges possède un garage dans le village de Villiers -
Fossard ou sera remisée la Bugatti.
Son fils Daniel, né en 1929, se
souvient de la voiture : « La Bugatti avait été achetée dans le petit village
de Lison, chez un propriétaire qui habitait à la sortie du bourg, au lieu dit «
le Haut chêne ». La voiture n'était pas tournante mais mon oncle Adrien s'est
occupé de la remettre en état et en route. Elle possédait de petits phares très
près du radiateur en cuivre». Adrien Malbeaux avait aussi ouvert son petit garage route de
Carentan à Saint Lô. « Après restauration, la Bugatti
fut exposée dans la vitrine d'un magasin de la rue de Neufbourg à Saint Lô.» Elle sera conservée plusieurs années par les frères
Malbeaux. Selon Daniel Malbeaux, elle aurait été revendue sur Paris.
Mais la voiture réapparait dans le Calvados au début des
années soixante : Le véhicule est alors acheté par
Jean-Claude AUBRIET (1933-1987) alors propriétaire d'un garage à Caen. Celui-ci
originaire de l'Orne, dirige une concession Panhard à Nonant le Pin. Il s'y
marie en 1959 puis tient un garage à Caen jusqu'en 1972. L'achat de la Bugatti
correspond à cette époque de son activité. Il est mentionné comme
propriétaire de « 37291 » dans la liste des membres du Club Bugatti France
publiée en 1967.
Une retraite en bord de Loire.
Avant 1970, selon les souvenirs
familiaux, la voiture est acquise par Pierre Pautet et immatriculée sous le
numéro 325 BK 41, à la préfecture de Blois dans le Loir et Cher. Il va conserver le véhicule
pendant près de 45 ans, en laissant l'usufruit et l'entretien à son ami Michel
Menirer. Ce dernier ouvre le GP de Monaco 1976 au volant de la Bugatti 1927, et
participe aux 3 Heures de Contres en
1980, dont il remporte le 21ème Grand Prix. Le rideau tombe ensuite sur la
collection Pautet et le type 37 ne reverra plus la lumière du jour avant ce
Printemps 2015.
Nous avons examiné en détail
cette voiture dont la redécouverte pourrait être suite à une annonce dans
l'esprit du Chasseur Francais :
« Occasion : à vendre Bugatti Tecla
4, bon état, non roulée depuis 30 ans, faire offre à J-P Osenat, rue Royale
Fontainebeau. Prix à débattre.».
Si la voiture est parvenue
jusqu'à nous en aussi bon état d'origine, il faut reconnaître qu'elle eu bien
peu de propriétaires avant-guerre et passa une bonne partie de son existence en
Normandie, cachée pendant la guerre loin des villes bombardées que furent Caen
et Saint Lô. Dans le petit village de Lison, à
l'abri, et à distance de la gare qui fut l'objet d'attaques ciblées des alliés
en juillet 1944, la Bugatti fut préservée et ressortie intacte avant revente en
1948. Presque aucun des propriétaires
après 1937 ne semble avoir vraiment utilisé le véhicule, qui se présente plus
comme une voiture d'occasion en état roulant que comme une voiture de collection
ayant subi d'irréparables modifications.
Son inspection réalisée en avril
2015, nous confirme dans ce sentiment :
La plaque châssis gravée « 37291
10 HP » est d'origine et ne semble jamais avoir été dérivetée de son tablier en
aluminium. Le moteur porte les numéros 37291 et 192 sur sa patte
arrière gauche. Le numéro du moteur 192 est rappelé sur la boite à cames. La voiture a conservé son essieu
avant d’origine, bien qu'oxydé, il laisse deviner son numéro de fabrication «
314 » rarement vu sur une Bugatti de course. La boite de vitesse et son couvercle portent le numéro 322. Le pont arrière et sa jambe de force sont gravés 327. Ces deux numéros sont exactement dans la logique du véhicule
au moteur 192. Le cadre du châssis repeint en
rouge, sans doute au début des années soixante, laisse lire sous une épaisse
couche de peinture décapée pour l’occasion, un numéro d'assemblage « 498 » qui
est exactement dans la série attendue.
La carrosserie montre un galbe
harmonieux avec une pointe très arrondie, bien difficile à copier. Les instruments sont anciens:
Manomètre de pression d’huile, d’essence, ampèremètre, compte tour et montre. Un rare commodo Scintilla pour
l'éclairage mérite notre attention. La voiture n'a pas été mise en
marche et une révision s'impose avant qu’elle retrouve la route .Le chapitre
suivant de son histoire d'automobile sportive reste à écrire.
Un grand merci à N.Brondel pour
nous avoir mis sur la piste d'André Barthe, à B Salvat pour son savoir
encyclopédique et M.Barthe pour ses souvenirs familiaux si précieux.
Pierre-Yves LAUGIER