jeudi 29 novembre 2012

Harengs de Rouen


Nous sommes de retour de Bretagne, mais pas vers le Sud, comme à l’aller : vers l’Est en passant par Paris. Grande joie de remonter les Champs Elysées. De tenter de stopper rue de la Paix…je dis bien tenter, car malgré les parkings vides de la cour intérieure de l’endroit (prestigieux) où nous nous rendons, les étrangers (nous) ne peuvent pénétrer, et il faut aller chercher le parking public en contournant la colonne Vendôme. Prendre la rue St Honoré, puis entrer place du marché (du même Saint) pour trouver le parking public. Il appartient d’ailleurs à un descendant du grand peintre Léonard, celui qui a inspiré Da Vinci Code ! De retour (rendez-vous tenu), descente des Champs, dans l’autre sens ; contournement de l’Arc de Triomphe, et destination Porte St Cloud (que des Saints). Autoroute familière, jusqu’à l’arrivée à Rouen, entrée obstruée depuis que le Pont Ste Mathilde (encore un Saint mais du sexe opposé) a sauté. Avec de la patience, on arrive à nos fins : rejoindre notre point d’accueil. Je ne vous dis pas où pour que cela reste secret : on ne dévoile pas ses sources !

il est interdit de téléphoner au volant, pas de photographier ?

Ah oui : le titre a du vous intriguer : que vient faire le hareng dans cette histoire ?

Il se trouve que le hareng (Clupea harengus) est une espèce de poissons vivant en grands bancs, dont les déplacements dans les eaux froides, à la fois fortement salées et oxygénées, ont été étudiés de près par les scientifiques, car il constitue une base alimentaire énorme, en tous cas pour les pays du Nord. J’inclus la Normandie dans le Nord, et j’ai été imprégné de hareng dans ma petite enfance. J’utilise le terme « imprégnation » dans le sens de Lorenz, décrivant comment on devient le papa d’une oie si on lui fait croire à la sortie de l’œuf qu’on est son père en lui donnant le biberon, question d’éducation tout simplement. Elle le voit, elle le croit. En Normandie, on apprend aux enfants à manger du hareng, en leur rappelant que leurs ancêtres Vikings en raffolaient. J'ai été moi-même imprégné. Bref ! Le paradoxe, c’est qu’il reste un poisson d'un prix très abordable car facile à pêcher. Dans le midi, vous aurez beau chercher (comme je le fais obstinément) dans les poissonneries, vous ne trouvez que le bouffi, le hareng saur. Aucun rapport ! Dans mes souvenirs de gosse, le hareng est frais. Beau comme un miroir, il éclate d’argent. Et ma maman (je rêve que je suis petit) le transforme en hareng mariné, après l’avoir laissé mariner (of course) dans une marinade. Quand on tombe sur un mâle, on découpe le ventre pour trouver la laitance. Pas forcément fameux. Mais si l’on tombe sur une femelle, et si celle-ci a des œufs (question de saison), les œufs en question forment la rogue, et on la dévore avec appétit car sous les dents se brisent les œufs juxtaposés, et c’est bon comme des œufs de hareng. Je vous ai déjà parlé de caviar. Ainsi que de poutargue. Vous mangez des oeufs de saumon. C’est le quatrième poisson (à ma connaissance) dont on mange les œufs.

Mon frère (qui est imprégné de hareng) revient de Dieppe, où l’on fête le hareng comme le melon à Cavaillon, ou la truffe à Nyons ( Drome). C’est lui qui me ré-initie, mon logiciel comme on dit à Paris quand on veut avoir l’air savant, étant légèrement empoussiéré.


Alors il me fait partager ses secrets : avant de pouvoir marcher à pied vers la place Saint Marc (nous ne fréquentons que des Saints), encore faut-il parquer son véhicule. Vous avez noté comme ce sujet était primordial tout à l’heure. Ici, mon frère sait comment s’affranchir de la tutelle de Vinci, et contourner Da Vinci Code. Il faut se rendre sur les quais. Les quais de Seine, car on n’y applique pas le code de la route, mais le code des péniches. Ce code a oublié (pour le moment) d’appliquer une taxe de stationnement sur l’endroit où les mariniers garent leurs chaloupes. La SNCF a oublié les voies de chemins de fer (rouillées) qui parcourent les quais. Et la voirie a oublié les quais (qui ne sont pas des routes), oubliant par là même d’en reboucher les trous (pleins d’eau boueuse car il pleut ici), trous que l’on peut légitimement qualifier de «nids de poules » (d’eau)). Je mets les parenthèses comme en mathématiques quand on veut décrire une fonction.

Il suffit de trouver une place (car de nombreux dissidents se battent contre Vinci). D’avoir chaussé des bottes étanches. Et un escalier judicieusement placé (pour permettre aux mariniers d’aller boire dans un bouchon) vous permet de remonter en haut, là où se côtoient trottoirs et routes. La circulation est dense (tous ces automobilistes qui n’ont pas trouvé de parking), il faut appuyer sur les gros boutons rouges des feux (verts pour les voitures) pour qu’ils passent au vert (des piétons que nous sommes, ça met une heure pour s’allumer, et après ça crée un bouchon).


Ouf ! Quelques minutes plus tard, on arrive au Chalut. C’est une poissonnerie comme on en a ici, je veux dire approvisionnée par des pêcheurs du Nord. Petite angoisse : en auront-ils ?

YES : ils ont du hareng, du frais, vous voyez c’est du canot frais. Ca veut dire qu’il n’a pas été pêché par l’un de ces harenguiers géants qui raclent les fonds, mais par de gentils pêcheurs écolo qui n’ont qu’un canot, et pratiquent donc une pêche attentive aux stocks, pour laisser les mamans (harengs) éclore leurs gentils œufs pour produire beaucoup de descendance, assez pour qu’on puisse prélever, nous les hommes, de quoi nous restaurer.

Le Chalut est sympa : il pratique ce qu’on appelle dans les filières la valeur ajoutée. Je vous explique : je doute que vous mangiez, malgré votre imprégnation infantile, le hareng cru. Vous le faites donc mariner. Comme la vie moderne (trépidante) ne permet pas à votre compagne de le faire (je ne vois pas pourquoi vous le feriez vous-même), le Chalut le fait pour vous. Et vous le vend comme vous le voyez sur la photo 12,90 Euros le même kilog. La différence, 10,90 Euros, c’est la « valeur ajoutée ». Il vaut mieux vendre (pour le vendeur) le hareng mariné que cru. Il faut toutefois déduire de la valeur ajoutée la TVA, le prix de la marinade, composée d’eau ; de vin blanc (de table) ; et de vinaigre (blanc lui aussi, celui qui sert à détartrer la cafetière).

Le pire c’est le salaire du marineur, payé aux 35 heures avec les charges sociales que l’on sait. In fine, vous calculerez vite que si ça a payé, dans des temps reculés, le Chalut ne fait plus aujourd’hui qu’un maigre bénéfice. On dit d'ailleurs : une marge. En fait, il réalise une vraie mission de service public, en faisant en sorte que nos enfants de la génération actuelle, s’adonnent eux aussi au hareng, plutôt que de recourir à des drogues bien plus chères, et plus nocives pour leur santé.













Merci donc au Chalut,

Pour m’avoir autorisé à photographier (puis dévorer) ses harengs-canot

Je dois vous dire que c’était bon, et même beau

D’autant qu’on a niké Vinci (comme diraient nos ados)