Poursuivant notre route des Pyrénées,
qui nous emmène si souvent au pays basque, nous décidons de nous rendre de l’autre
côté, en Méditerranée, à Cerbère. L’idéal, vous allez comprendre pourquoi, n’est
plus d’emprunter l’autocar disparu depuis des lustres, mais la voie ferrée si
propice à la méditation : au bout, à deux minutes de la gare, un hôtel domine les voies. Il faut retenir de ce côté : c'est le côté silencieux : de l’autre côté, la route sépare l’hôtel
de la mer, certes on a la vue sur la grande bleue, mais la circulation est très bruyante.
Nous avons réservé à l’hôtel du Belvédère, sur les conseils d’Evelyne, qui revenant du Japon, s’y connait en voyages pittoresques : je suis sympa comme toujours, je vous file le numéro :
L'hôtel du Rayon vert du Belvédère
doit son nom au roman de Jules Verne. Il fut construit sur une parcelle
triangulaire minuscule, en surplomb de la voie ferrée, de 1928 à 1932.
Développé selon un concept à l'époque nouveau : le béton brut. Dessiné par
l'architecte Léon Baille, il se destinait à accueillir les voyageurs aisés, les
transitaires et agents de commerces ainsi que leur famille qui effectuaient
souvent les liaisons France/Espagne par le rail. Léon Bataille (1962-1951) était
architecte à Perpignan, et l’idée en créant un hôtel à cet endroit était de
permettre aux voyageurs d’attendre le changement des boggies des wagons,
puisque ce n’était pas le même écartement en Espagne à Port Bou qu’en France à
l’époque, à tel point qu’il fallait une nuit pour cette adaptation assez lourde. Je vous
rappelle que l’écartement espagnol était de 1.668 mm contre les 1.435 mm de
voie normale des chemins de fer français, (reprenant le standard anglais de 4 pieds et 8 pouces).
l'entrée à l'arrière, entre voie ferrée et route sur mer |
L'hôtel doit, paradoxe cocasse de la langue, son appellation au dernier rayon de soleil de la journée, lorsque ce dernier se couche et qui, s'il on en croit Jules Verne, serait vert. Or, sur Cerbère, situé au sud-sud-est de la méditerranée, le soleil se lève face au Belvédère mais il ne s'y couche jamais. En effet, il se couche de l'autre côté des Pyrénées, à quelques centaines de kilomètres de Cerbère d'où, depuis l'hôtel, l'on ne peut jamais observer le fameux rayon vert...
D'histoires cocasses, de drôleries, de paradoxes, l'hôtel en est rempli ; de ses plus intimes et secrètes fondations jusque à son immense toit-terrasse sur lequel, autrefois, était installé un jeu de quille, un cours de tennis à une époque et un petit solarium face à la grande bleue.
L'hôtel du Rayon Vert est en lui-même un véritable belvédère. Perché tel un paquebot échoué là, un jour de grand frais, Il aurait du devenir un hôtel de luxe, le joyau de la ville. Sa splendeur durera en tout et pour tout 4 ans. De 1932 à 1936, date du début de la guerre d'Espagne et de la fermeture de la frontière entre Cerbère et Port-bou comme de l'autre côté au Boulou et au Perthus. Les voyageurs n'affluent plus aux portes de l'hôtel. Très vite c'est la faillite. En 1939, éclate le second conflit mondial et le belvédère va devenir la Kommandatur des Allemands. Il verra une parti de son mobilier pillé... avant que le reste soit vendu... et qu'il soit peu à peu reconstitué.
L'hôtel du belvédère pourrait très bien s'appeler l'hôtel maudit. Les hasards malheureux de l'histoire l'ayant relégué plus au rang de curiosité architecturale qu'à celui d'hôtel de prestige. Malgré ce destin pour le moins inattendu, pour une bâtisse qui se voulait rayonner sur la Méditerranée, l'hôtel n'en garde pas moins ses mystères et de son charme, notamment des carrelages restés d'époque.
Peu à peu, des années 1970 à la fin des années 80, l'hôtel va tomber dans l'oubli. Il va tour à tour gêner les Cerbèriens eux-mêmes qui demanderont sa démolition pure et simple au motif qu'un balcon s'est effondré sur la voie ferrée et que l'édifice, fermé et quelquefois même squatté par des routards de passage présente un réel danger.
Puis, les propriétaires se sont retroussés les manches et ont à nouveau ouvert. Le lieu peut non seulement se visiter, mais vous pouvez même y dormir. L'ambiance est un peu surréaliste. Tant mieux ! Aussi proche du pays de Dali il n'en faut pas plus pour plonger le voyageur de passage dans l'atmosphère d'un film de Hitchcock... D'ailleurs, tous les ans, au mois d'octobre, l'hôtel qui possède une magnifique salle de cinéma organise un festival du film Port-Bou/Cerbère.
Un hôtel qui du temps de sa grandeur à accueilli Maurice Chevalier, Fernandel, des princes et autres personnalités connues de l'époque tant du show-business que du monde des grands. Des représentations avaient lieu et des films muets en noir et blanc, des premiers temps du cinématographe se tenaient alors dans l'immense salle de cinéma tout en haut de l'escalier italien en colimaçon situé à la proue de ce navire immobile...
Cet hôtel, il en vu passer du beau monde... Il en garde même son lot d'anecdotes comme celle de cet artiste, incapable d'honorer ses repas et sa chambre et qui, avant de partir, a réglé sa note par des peintures murales, encore visibles. Des oeuvres que le maître actuel des lieux, Jean-Charles Sin protège comme de véritables trésors et compte bien faire restaurer un beau jour...
Actuellement, l'hôtel est en cours de restauration. Vu l'histoire des lieux, et la situation inhabituelle de cet établissement, je vous conseille la visite : dépaysement garanti !
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