lundi 9 mars 2020

Un Van Gogh chez Dickinson



Cette histoire se passe à Maastricht : coronavirus ou pas, l'argent est l'argent, l'Art est l'Art, et de l'art, il s'en expose des monuments à la 33ème édition de la foire hollandaise, les initiés disent "la Tetaf".  The European Fine Art Fair. C'est énorme, 275 galeristes, tous ont emmené des merveilles... dont Dickinson, de Londres, un Van Gogh ... estimé 15 millions ! ! 





Van Gogh a commencé à peindre bien avant Arles en 1888 : nous sommes trois ans auparavant, dans le plat Pays, celui des semeurs de pommes de terre, du temps gris, des chaumières recouvertes ... de chaume, et des paysans et paysannes pauvres : pour l'ambiance, voici ce que cela donne, on redécouvre les tableaux ruraux de Van Gogh avec leur précision étonnante : tout y est : le paysan à la chaumière ; la chaumière (une autre) avec une paysanne ; deux femmes-sarcleuses inspirées de Millet ; des chevaux labourent, conformes aux sculptures d'André Abbal chez nous. Et puis bien évidemment, il y a les lettres à Théo, illustrées de dessins, la lettre 515 notamment, elles sont numérotées, ici une moisson d'été.








Est donc en vente chez Dickinson (vous connaissez forcément cette grande galerie londonienne) un tableau d'assez grande dimension : 112 x 63 cm, cadre doré inclus, dont l'histoire est étonnante ! 


En quelques décennies, un tableau à l'origine insignifiant aura pris une valeur considérable : en 1967 il est acquis pour la somme de… 45 livres sterling, soit à peine 50 euros. Personne ne remarque la signature, Vincent, et personne ne se passionne pour le sujet : une chaumière mal en point ! 

Or, cela me semblait évident, mais sans doute pas dans les années 60 ! Paysanne devant une chaumière est authentifiée comme étant bel et bien une œuvre de Vincent Van Gogh. Mieux encore, il s’agirait d’une de ses premières peintures, peinte en juillet 1885. C’est en tout cas ce que confirme le Musée Van Gogh d’Amsterdam. Le moins que l’on puisse dire c’est que ce tableau a voyagé ! "Après de longues recherches, il semblerait que Van Gogh ait peint plusieurs tableaux de chaumières dans les années 1884-1885", attestent plusieurs lettres.  Je reprends les propos des experts eux-mêmes, mais je vous montre deux chaumières plus haut. Van Gogh aurait reçu une commande de la boutique d’art d’un certain Leurs, à La Haye. Ce dernier lui aurait expliqué qu’il y avait à l’époque pas mal d’étrangers (peut-être des Anglais) en ville. Il semblerait que Leurs ait vendu ce tableau à un Britannique. Par conséquent, il pourrait s’agir du premier tableau du peintre à avoir traversé la Manche.


Dans les années 1920, John Holme, un agriculteur modeste du Staffordshire, en Angleterre, reçoit la toile en guise de paiement d’un client dépourvu de monnaie. John Holme se moque de cette peinture qu'il abandonne au fond de sa grange. C’est son fils, Charles, lui aussi agriculteur, qui tombe dessus quelques années après sa mort. Charles vend la peinture lors d’un vide-greniers qu’il organisait régulièrement pour se débarrasser d’objets et d’outils inutiles. Le tableau part pour 4 £.



En 1968, Luigi Grosso, un Italien qui travaillait pour la BBC tombe sur la toile, chez un antiquaire londonien. Le tableau est signé d’un simple « Vincent ». L’antiquaire ne s’y connaissait visiblement pas et n’avait pas fait le rapprochement avec Van Gogh. Luigi Grosso, quant à lui, tilte immédiatement et achète la toile ... 45 £. Grosso vend aux enchères le tableau, sans avoir été réellement authentifié.

Voilà que Sotheby’s arrive, permettant à Grosso de gagner ... 110 000 dollars. La peinture est achetée par le producteur hollywoodien Joseph Levine. À nouveau, ce dernier se débarrasse de la toile, via Sotheby’s qui la revend 390.000 $ à Roberto Polo, un collectionneur américain d’origine cubaine, soupçonné de malversations en Suisse. Polo revend la toile en 1985. Elle est achetée par un collectionneur de Montréal qui la garde jusqu’en 2001. Il la vend ensuite à un acquéreur anonyme aux États-Unis, pour 1,7 million de dollars. Belle plus-value. Pourtant, c’est ce dernier, qui finalement touchera le jackpot d’ici quelques semaines. Maintenant que la peinture vient d’être authentifiée, elle vaudrait entre 12 et 15 millions €. C’est 15 fois le prix d’achat en 2001, 100 fois le prix reçu par Grosso lors de sa vente, plus de 300 000 fois le prix vendu par l’antiquaire et 3 millions de fois le prix reçu par l’agriculteur lorsqu’il s’en est débarrassé la première fois.



On sait que le pauvre Vincent, lui, n'aura jamais vendu une toile !

la vie peut être d'une injustice totale pour les artistes !

https://www2.tefaf.com/fairs/tefaf-maastricht


demain : un autre Van Gogh à Maastrich