Je viens d’entendre Alain Badiou dans l’émission de
dimanche C politique sur la 5. Alain Badiou qualifié de "philosophe révolutionnaire" ! Je
découvre ce qu'il désigne comme les limites de la démocratie et de notre système de
représentation, (si contesté par les gilets jaunes), quand est cité Isaac Asimov : « mon ignorance
vaut autant que tes connaissances ».
C’est la difficulté du premier de la classe, qui se fait
chahuter par ses copains et copines au dernier rang, l’accusant de chouchouter,
et le conduisant, s’il veut rester dans le groupe, à cacher ses acquis, à simuler l’ignorance, à minimiser ses connaissances : le
nivellement par le bas. C'est précisément la même chose dans un conseil municipal, si l'on veut proposer une objection positive au projet majoritaire, mais où l'on passe pour opposant dès que l'on voudrait amender l'avis du plus grand nombre, et où la réprobation générale te dit :
"mon ignorance vaut
largement tes connaissances"
Surtout dans un CV n'affiche pas tes
diplômes universitaires,
si contraint par les circonstances tu brigues un poste de second rang !
... encore plus vrai si tu veux prétendre représenter le plus grand
nombre ! Montrer son ignorance, affecter une certaine vulgarité, la brutalité, c’est la
thèse d’Alain Badiou expliquant l’émergence de Donald Trump aux Etats Unis
Il existe en effet aux États-Unis, depuis toujours, un culte de l’ignorance. Le courant anti-intellectuel trouve son chemin sinueux dans la vie politique et culturelle, renforcé par l’idée (fausse) que la démocratie signifie “mon ignorance vaut bien autant que ton savoir“
Quand Isaac
Asimov accusait les Américains de vouer un culte à l'ignorance ! Je
retrouve un article de Julien Helmlinger en 2016 :
Le très prolifique auteur de science-fiction Isaac Asimov,
incontournable pour les amateurs du genre mais également scientifique reconnu
par les gens sérieux, publia le 21 janvier 1980 un essai intitulé A Cult of Ignorance, dans les pages de
Newsweek. Il y partage une vision pessimiste de la place du savoir parmi les
valeurs de l'Oncle Sam, une réflexion toujours d'actualité, alors que de
nouvelles élections présidentielles s'annoncent à coups de tweets : nous
sommes quelque temps avant l’élection de Donald Trump.
Avec ce pamphlet Isaac Asimov suggèrait qu'il y aurait « un culte de l'ignorance aux Etats-Unis
», ajoutant même qu'il en a toujours été ainsi. Il estimait que la société
américaine n'est pas avide de connaissances en mathématiques, en sciences ou en
langues étrangères.
« La tendance à l'anti-intellectualisme a été un fil
directeur constant lézardant son chemin jusqu'en notre vie politique et
culturelle, nourrie par la fausse idée que la démocratie signifie que "mon ignorance est tout aussi bonne que
ton savoir" » écrivit-il.
Invoquant des exemples
croustillants l'auteur du cycle de Fondation diagnostiquait à l'Amérique comme
une forme de virus stimulé par certains effets de routine, voire de
démagogie. Il évoquait ainsi des hommes politiques qui en viennent à parler la
langue de Shakespeare «le plus grammaticalement incorrect possible, dans
l'optique d'éviter d'offenser leurs auditoires en ayant l'air d'avoir été à
l'école», pointait des slogans invitant à se méfier des experts, ou encore la
propagation de l'adjectif « élitiste ».
Pour Asimov, sur plus de 200 millions d'Etats-uniens d'alors,
passés au cours de leur vie par une salle de classe et déclarant savoir lire,
seul 1% de la population devait réellement exercer son « droit de savoir ».
« Je
soutiens que le slogan “America’s right to know” est dénué de sens alors
que nous avons une population ignorante, et que le rôle d'une presse libre est
pratiquement nul quand presque personne ne peut lire. [...] Je crois que chaque
être humain doté d'un cerveau normalement constitué peut apprendre et devenir
surprenamment intellectuel. Je crois que ce dont nous avons terriblement besoin
est l'approbation sociale pour apprendre, ainsi qu'une rétribution sociale pour
avoir appris» concluait Asimov.
Les esprits éclairés aiment à se moquer de Donald Trump. Il
serait le symbole d'une forme de stupidité politique qui n'attendrait que le
réveil des gens de bonne volonté pour s'évanouir comme un mauvais rêve.
Mais rien n'est plus faux. Plutôt qu'un symbole, Trump est un
symptôme : celui de la disparition progressive de la politique dans un
gigantesque processus d'unification, où les camps en apparence les plus
hostiles se tiennent en réalité la main. Pour en finir avec Trump, c'est cette
disparition qu'il convient de combattre, en restaurant les possibilités d'une
opposition qui résiste au consensus fondamental de notre temps. Ce consensus
porte un nom : capitalisme démocratique. Son opposition aussi : une idée du
communisme. Toute la difficulté tient donc dans la façon dont Trump et ses
semblables rendent chaque jour plus impossible de la rendre effective - au
moment même où nous en avons le plus besoin.
Telle est la teneur des propos tenus par Alain Badiou ce
dimanche. Avec la disparition du communisme, a disparu l’hypothèse que face au
système triomphant du capitalisme d’aujourd’hui, affichant l’implacable
nécessité de poursuivre dans la voie actuelle, manque une autre voie, un nouveau communisme, manifestant de nouvelles
solidarités humaines.
Alain Badiou conclut en assumant le fait qu'il ne vote plus ...
... puisque cela n'aboutit pas à faire prévaloir les savoirs
ni une gouvernance basée sur les savoirs
il explique ainsi l'émergence générale de monstres à la tête des Etats, et il énumère Trump ; Bolsonaro ; Erdogan, Johnson...
l'avenir de la planète l'inquiète au plus au point : il y voit un surprenant rapprochement avec les années précédant la guerre de 14...
... il n'est pas seul !