lundi 28 août 2017

Moeche veneziane

Crabes à la vénitienne

Je suppose que Salvo Montalbano connait  ce plat…réputé à Venise : le crabe mou. Je suppose que Guido Brunetti, lui qui vit sur place, apprécie à sa juste valeur ! Astuce même en Français, ce crabe est  mou parce qu’il a mué,  a perdu sa carapace,  et est donc bon à mâcher ! Il s’agit du Carcinus aestuarii, autrement dit « crabe d‘estuaire », une espèce exclusive à Venise et à sa région, où convergent – fait exceptionnel – le delta du Pô, ainsi que six autres fleuves et des torrents mineurs. Les crabes sont extrêmement sensibles à la pollution, mais ils ont réussi à se maintenir dans la lagune, malgré la présence de deux pôles industriels majeurs (Porto Marghera et Mestre). Les pêcheurs spécialisés ont compris comment respecter ce gisement et y puiser avec parcimonie. Ils en pêchent aujourd’hui, dans des quantités moindres que par le passé, et les vendent à prix d’or, comme du caviar.

tel une chenille, le crabe mou sort de sa vieille carapace pour grandir dur

Normalement, les crabes font leur mue de la fin de janvier au mois de mai et de la fin de septembre à la fin de novembre. Les pêcheurs, appelés moecanti du nom vernaculaire de l’animal, moeca (voire mol’eca), littéralement « molle », capturent d’abord les crabes avec un filet spécial et des nasses. Après quoi, ils les amènent dans des sacs de jute jusqu’au lieu où des experts (50 sur 3.000 pêcheurs…) font le tri à l’oeil nu entre les moeche (aptes à la vente) et les mazanete (les femelles gravides). Les femelles sont relâchées et les moeche (ou les crabes qui s’apprêtent à muer) sont élevés quelques temps dans des viviers en bois (les vieri) fixés sous l’eau à des poteaux en bois…



ce n'est pas Venise, mais Chioggia
La région de Vénétie a pris conscience (tardivement) du risque de disparition des crabes et du métier traditionnel de pêcheur (activité pratiquée de Burano à Chioggia depuis des générations). Ella a donc favorisé l’adhésion des moeche au mouvement international Slow food, et les a protégés avec le label ministériel P.A.T. (produit agroalimentaire traditionnel), réservé aux produits simples ou élaborés dont l’appellation d’origine bénéficie d’une reconnaissance particulière au sein de l’Italie.

Vous comprendrez alors que vous retrouver au marché de Rialto, en plein coeur de Venise, face à ces petites bestioles, vivantes, coûte un certain prix (56 euros…). À Venise, encore maintenant, le symbole de la ville, le lion de Saint Marc, quand il est représenté de face, est appelé in moeca, parce que les ailes ouvertes rappellent l’aspect du crabe mou avec ses pinces menaçantes…



La ville de la lagune la plus liée à cette tradition est sans aucun doute Chioggia, à quelques kilomètres au sud de Venise. A l’inverse du chef lieu vénitien, Chioggia n’est pas envahie par le tourisme de masse et conserve encore le charme des villes d’autrefois. Venir à Chioggia signifie vivre la mer en plein, la principale activité économique étant encore la pêche. Les canaux sont presque entièrement occupés par les pêcheurs, accolés les uns aux autres. Entre les ruelles l’air est imprégnée d’odeurs violentes d’iode et de poisson sec. Tout à Chioggia est intense……



On mange ce crabe par petites bouchées. Il est trempé dans l’œuf où il faut le laisser macérér une nuit, pendant laquelle il se gave du jaune ! Puis frit dans de l’huile bouillante. En croquant la chair moelleuse du crabe, explosent en bouche les senteurs de la mer. Saveurs uniques, incomparables, il faut découvrir ce plaisir unique.


On y va en 2018 ?