lundi 10 février 2014

Ca marche au CHU

vers Bois Guillaume, la route de Neufchâtel

On est venu pour ça, naturellement on passe nos après-midi au CHU. A la longue, ça fait une immersion assez considérable : je calcule 4 heures (quatre heures, c’est une moyenne) l’après-midi multiplié par 31 jours (je dis trente-et-un) font quelque 120 heures (cent vingt). Un beau stage professionnel ! Normalement, je devrais avoir un diplôme. Validation des acquis professionnels ! J’écris les chiffres et les lettres comment font les Notaires pour bien auto-censurer mes propos, connaissant ma propension naturelle à raconter des blagues.

Ici, on ne fait pas des blagues, l’atmosphère ne prête pas à rire. Comme on arrive à 3 heures (je devrais dire quinze heures), on n’a pas le droit d’entrer dans le parking qui n’est ouvert aux familles qu’à 17 heures (dix sept heures). Bien légitimement, le personnel soignant a priorité pendant les heures ouvrables. Vous allez me dire que je n’ai qu’à venir plus tard, après 17 heures, et que je pourrais garer mon véhicule sur la place réservée à un Médecin, jubilation garantie. Oui mais le malade que je visite dort après son repas, aucun intérêt à le déranger pendant sa sieste. Par contre, il commence à s’éveiller entre 3, 4 heures (seize heures), et c’est là que j’espère le faire marcher, quitte à commencer un peu plus tôt. Plus tard il va être fatigué de son exercice physique, mais au moins, il aura marché.
  
Quand mon papa (qui a un âge assez avancé pour être centenaire au début du second mandat de notre Président) s’est cassé le col du fémur le jour de Noël (pas de chance alors qu’il était resté chez lui par précaution), j’ai demandé conseil à mon kiné. Mon kiné est devenu comme moi un Homme de la Montagne, sans excès de fioritures. Quoique né en Bretagne ce qui nous rapproche. Plus précisément à Matignon, Côtes d’Armor, où vivent sa mère et son frère. Il connaît le Cap Fréhel ; la pêche à pied ; les galettes saucisses, c’est donc un Homme bien né allant droit au but. Il pratique la méthode Mackenzie, qu’il m’a imposée alors que je me croyais disciple de Mademoiselle Mézières. Ma foi, il avait raison et je me porte beaucoup mieux, grâce à des mouvements que je croyais brutaux, avant que je comprenne que c’était pour mon bien.

Donc je lui demande :

-« comment remet-on un vieux monsieur debout, après rupture du col du fémur ? « 
-« il suffit de le faire marcher » !
-« alors si je le fais venir, vous le faites marcher » ?
-« pas de problème, ma dernière patiente avait cent ans, je l’ai menée à 106 ans sans difficultés »


Je me mets à la recherche d’une ambulance, pas très sûr de mon idée, un peu farfelue j’en ai conscience : pensez : faire venir mon père de quasiment mille kilomètres, ça fait une drôle de trotte, (et doit coûter un max) !

Je la trouve facilement, l'ambulance, et me faisant tout humble, pose le problème.

-« aucune difficulté Cher Monsieur, nous avons trente ambulances, des Mercédès, et soixante chauffeurs ! Vous n’imaginez pas le nombre de skieurs qui se cassent la jambe dans les Pyrénées et demandent à être rapatriés à Paris ! Alors Rouen, c’est à une heure» ! Il suffit de me donner un certificat médical, et l’accord de votre mutuelle ». Je ne vous donne pas le prix, c’est confidentiel.

Vous devinez que ça n’a pas marché : papa était intransportable : la cicatrice. Il fallait donc le laisser sur place, dans un établissement de rééducation. Laisser cicatriser. Et donc rééduquer. Au CHU de Boisguillaume. C’est nous qui nous sommes déplacés.
je recommande cet engin, solide, léger,
en ABS, très roulant, je l'utilise comme
précaution !

Notre cher pays possède une avancée sociale indéniable. Ainsi que professionnelle. Vous n’imaginez pas que la rééducation soit laissée dans les mains d’amateurs comme moi. Pour rééduquer, il faut être rééducateur. Diplômé (d’Etat) naturellement. Les meilleurs, sont les kinés. Dans une maison de rééducation, il faut donc des kinés, j’ai bien dit plusieurs, car d’abord il y a beaucoup de malades qui se sont cassés le col du fémur. Ici, il en est prévu 3 (trois kinés). En pratique un poste n’est pas pourvu, et il n’y en a donc que deux en état de marche (si l’on peut dire). Ensuite, ceux qui restent doivent faire face à des aléas multiples :  il y a les RTT. Le vendredi est par exemple un jour très exposé, puisqu’il précède les deux jours du week-end (les kinés vont au lavomatic aussi). Et puis le lundi est un jour exposé (aussi), Dieu sait ce qui a pu se passer durant le week-end, comme activités physiques à risques, en plus de repasser le linge. Le risque, il est permanent dans ce métier physique, typique de ce qu’on nomme chez nous  la « pénibilité ». Tout cela pour vous dire que la rééducation ne s’exerçant, dans l’emploi du temps journalier du CHU, que le matin, il faut bien (et croyez que c’est vraiment à regret) sacrifier la rééducation, heureux les malades qui flemmardent au lit toute la journée.


Réfléchissant au fait que marcher n’exige pas des compétences titanesques, car même un bébé réussit l’exercice d’une part. Et que depuis l’énigme du Sphinx une personne du troisième âge s’aide d’une cane, aujourd’hui suppléée par l’appareil dénommé déambulateur d’autre part, je fais l’hypothèse que marcher peut se faire dans le couloir, d’autant que la salle de kiné est tout le temps fermée, pour ne pas en abimer les tapis et autres accessoires, en l’absence des kinés (et de leurs clés).

Je fais donc marcher papa dans le couloir de l’étage, et depuis qu’il a compris qu’il ne sortirait pas tant que les autorités médicales ne seraient pas assurées de son autonomie, il devient autonome. Nous marchons, et devant les personnels (non kiné) qui pourraient contester mes capacités, je me trimbale ostensiblement avec un fauteuil roulant derrière pour respecter le principe de précaution. Ca amuse tout le couloir, ce mec qui fait marcher son père, au lieu de flemmarder.
  

J’ai des loisirs ici, je me promène dans les chambres, visite les malades, me fais des copines. Voici une dame qui marchait toute seule avec un déambulateur, celui du second type : à roulettes à pneus : d’où une démarche huilée qui faisait mon admiration ! Jusqu’à ce que j’apprenne qu’elle ne s’était pas cassée la jambe, mais le bras ! On voit bien quel amateur je suis !

Repassant le lendemain, je la vois affalée dans son lit, recroquevillée, gisante, le nez appareillé de ces tubes que je connais bien qui lui inhalent (me dit-elle) des aérosols.

Aujourd’hui, c’est pire, son lit est vide, en position haute, pour que personne ne monte dedans (c’est vrai les visiteurs pourraient jouer avec). Alors je demande à une Dame dans le bureau-interdit-des-infirmières –« où est passée ma nouvelle amie » ? –« secret médical , je n’ai pas le droit de vous répondre » ! –« alors, si elle n’est pas morte, dites moi qu’elle est vivante, qu’elle a été transférée ? » -« je ne puis répondre qu’à la famille, vous en êtes » ?

Cassé le mec, j’ai honte, j’ai été intrusif, je stresse pour ma copine !

C’est un gros stage : j’apprends. J’apprends les grades. En bas (dans la caste d’en bas), un liseré violet marque la blouse blanche : c’est le (petit) personnel chargé du ménage : apporter les repas, desservir les enveloppes de plastique qui les enferment. Faire la vaisselle. Au-dessus, le liseré devient jaune : c’est une assistante médicale. Elle vous fait sortir, pour les soins du corps. Mieux vaut ne pas voir ! Au-dessus encore, le liseré devient vert : c’est presque le top : l’infirmière. Elle distribue sentencieusement les médicaments, assistée d’un ordi-pliable disposé dans le couloir. Difficile pour le malade de comprendre ce qu’il prend et pour quelle affection. Difficile d’obtenir à temps avant le service de nuit le cachet prévu pour dormir : le patient est l’objet, sommé d’obéir. Il faut reconnaitre qu’on l’appelle : « Monsieur », quel progrès ! De temps en temps je vois des mecs, je veux dire du sexe masculin comme moi : combinaison noire genre CRS (sans cocarde), des bandes réfléchissantes aux chevilles : ce sont des-gros-bras, ils poussent les civières : on devine un métier pénible destiné aux mecs-du-genre-physiques, des mecs quoi !

Au-dessus encore, pas de liseré du tout : c’est la docteur. Elle est surchargée. -« Oui, vous l’aurez votre ordonnance de sortie pour un déambulateur ! Attendez, je n’en suis pas à ma première sortie ! Vous verrez, vous l’aurez à temps » !

Et l’infirmière d’ajouter : -« vous vous rendez pas compte : elle a quarante malades ! comme si elle avait le temps (un vendredi soir) de vous signer votre ordonnance. Nous n’en sommes pas à notre première sortie ! vous l’aurez votre ordonnance ». Devant mon air ahuri, elle ajoute : « vous  vous rendez pas compte : un déambulateur est un appareil médical, adapté aux soins : je n’ai pas le droit de vous le prescrire. C’est la médecin. Elle est surchargée » !

Je me rends chez Bastide, un des rares magasins ouverts le lundi matin, jour de deuil à Rouen. Je suis connu ici, lits médicaux, accessoires divers, et j'en passe. Un déambulateur ? Pas de souci : on me montre un modèle superbe, hauteur réglable, fibre de carbone, modèle para-olympique, et en sus, il se replie ! S'il fallait l'acheter ? 53,81 Euros TTC nouvelle TVA incluse. Je le réserve ! Ca marche !

Etre tranquille,

seul, pouvoir méditer…

Vivre l’instant présent, réfléchir sur sa vie

chez soi

marcher… chez soi

Pouvoir mourir… chez soi…

…paisible…


PS : comme je suis un mec honnête, je dois bien reconnaitre que je l'ai eue, mon ordonnance. Je l'ai eue à temps, et même j'en ai eu 3 (trois). Une pour les médicaments. Une pour le déambulateur que je vais pouvoir me faire rembourser. Et la troisième est pleine d'humour : elle prescrit le recours...vous devinez à qui ? un kiné...! Dix séances...on va marcher dans l'appart'